Année A : samedi de la 7e semaine du Temps Pascal (litap07s.20)
Jn 21, 20-25 ; Ac 28, 16-20.30-31 : Dieu a-t-il des préférences ?
J’ignore les émotions que Pierre vivait quand il a demandé à Jésus et lui, Seigneur, que lui arrivera-t-il? La scène laisse faussement entendre qu’il est un peu jaloux de la place qu’occupe Jean dans le cœur de Jésus. Pierre verbalise son monde intérieur. Il se demande comment être un disciple bien-aimé. Son ami Jean est-il le seul vrai préféré de Jésus ? Jésus l’aime-t-il plus que les autres en insinuant qu’il ne mourra pas ? En conclusion des quatre récits évangéliques, cette question n’est pas anodine.
Jean lui-même alimente cette question : comment être disciple bien-aimé quand par cinq fois (cf. Jn 13, 23 ; 19, 26 ; 20, 2 ; 21, 7.20 ; 21, 24), il écrit sans se nommer qu’il est le disciple que Jésus aimait. A-t-il l’impression que Jésus le préfère aux autres ? Exprime-t-il par là que l’amour de Jésus n’est pas universel et égalitaire ? La question de Pierre nous place au cœur du message de Jésus. Si notre réponse est oui, ce serait scandaleux, insupportable, inhumain et indécent; et la Déclaration des droits de la personne, fleuron légal de l’évangile, verrait ses fondations dilapidées.
Pourquoi Paul, Augustin, Marie-Madeleine et tant d’autres aux mœurs pas très catholiques ont-ils été choyés par Jésus ? Pourquoi préfère-t-il les petites gens, les enfants, les fragilisés de son temps ? Même la petite Thérèse se posait cette question quand elle se voyait privilégiée par Dieu en observant, à peine âgée de sept ans, que le «T» de son nom brillait parmi les étoiles du ciel (Manuscrit A, Folio 18 r). Longtemps je me suis demandé pourquoi le Bon Dieu avait des préférences, pourquoi toutes les âmes ne recevaient pas un égal degré de grâces.
Cette interrogation, Dieu a-t-il des préférés, continue aujourd’hui. Dieu ne m’aime pas. Il m’envoie toutes sortes d’épreuves. Pourquoi cela arrive juste à moi d’être malchanceux ? Est-ce moi qui me fais un film en pensant que Dieu m’en veut ? Les questions se bousculent. Elles surgissent aussi en nous quand nous songeons aux invités de la onzième heure qui reçoivent le même salaire que les autres (cf. Mt 20, 1-13). Impossible d’éluder la question : Dieu a-t-il des préférences ?
Cette question de Pierre, et lui, Seigneur, que lui arrivera-t-il, cache une autre question qui se pose à chacun de nous : Seigneur, comment fait-on pour devenir, comme Jean, disciples bien-aimés ? Pierre veut nous rendre participants de cet appel d’être privilégiés de Jésus, des amis de Jésus. Comment fait-on pour écouter, comme Jean, le battement de son cœur, pour ressentir ses sautes d’humeur émotionnelles, pour vibrer à sa joie ? Comment fait-on pour savoir que Jésus a une préférence «personnalisée» pour moi ? Qu’il me choisit personnellement ? Qu’il me fait grâce de son amitié ? La question n’est pas de se demander si Jésus a des préférences, mais plutôt si Jésus est ma préférence première.
Chacun de nous a du mal à saisir qu’aimer implique une préférence. Un couple qui s’aime se préfère mutuellement aux autres. On n’a qu’une faible idée de l’amour tant qu’on n’a pas atteint ce point où il est pur, dit Christian Bobin. Quand, ajoute-t-il, j’ai enlevé beaucoup de choses dans ma vie, Dieu s’est rapproché pour voir ce qui se passait.
Ainsi en est-il de Batista Varano qui accepte de tout délaisser. Pour elle, impossible de vraiment aimer sans se quitter elle-même. Dans sa quatrième recommandation, elle entend Dieu lui dire : toi, tais-toi et tiens-toi devant moi. Jésus n’est pas un concept, une belle théorie. Il est son meilleur ami et elle se ravit d’être disciple bien-aimé. Elle nous dit, et cela se découvre dans toute vie mystique, que Jésus lui est présent dans son quotidien. Sa vie met en évidence une présence invisible, une amitié invisible, mais combien profonde et réelle.
À la fin des Actes des apôtres, Luc nous décrit en la personne de Paul, un modèle de disciple bien-aimé qui malgré ses chaînes, continue à Rome d’annoncer Jésus. Jean, à la fin de son évangile, nous lègue un appel à devenir un disciple bien-aimé pour entendre Jésus nous dire : peu importe ce qui peut arriver aux autres, toi suis-moi.
Que l'Esprit saint nous aide à maintenir en état d'alerte en nous cet appel final de l'Évangile de saint Jean. Qu'il souffle en nous un vent de nouveauté assez puissant pour garder ouvert ce livre pour que se répande le bruit que nous ne connaîtrons pas la mort jusqu'à ce qu'il revienne. AMEN.
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