Année C : samedi de la 11e semaine ordinaire (litco11s.19)
Mt 6, 24-34 ; 2 Co 12,1-10 : le langage de l’échec
Qui d’entre nous se vante avec une certaine jouissance de ses échecs ? C’est pourtant l’expérience de Paul. N’imaginons pas Paul comme un super héros, savourant victoire sur victoire. Paul raconte ce matin l’itinéraire d’une lourde déception, son écharde peut-être, celle de réaliser que la communauté de Corinthe qu’il a fondé, visité à plusieurs reprises, se met à écouter une autre voix que la sienne. Elle est déchirée entre écouter sa parole ou celle de prédicateurs qui vendent des rêves, dirions-nous aujourd’hui. Bref, le schisme n’est pas loin.
Paul se sent trahi. Il doute de son message. Il porte une écharde qui le paralyse. Que fait-il ? Et c’est là que son attitude doit nous aider aujourd’hui. Au lieu de se défendre en attaquant ses opposants, pour éviter tout orgueil en montrant que ses révélations sont plus extraordinaires que celles de ses concurrents, Paul prend le chemin de la folie. Il se vante de ses échecs.
Devant les déviances des Corinthiens, Paul énumère ses bavures, ses maladresses pour que se manifeste la force de Dieu. Nous n’avons jamais fini d’expérimenter que c’est quand nous sommes faibles que nous sommes forts, quand nous sommes pleins de doutes et que l’angoisse nous saisit, que nous entendons Dieu nous dire: n’aie pas peur, cesse de t’inquiéter, de vouloir tout contrôler; accepte et vis pleinement ce qui t’arrive, tu comptes pour moi. Ma grâce te suffit.
Paul n’opte pas pour le désengagement. Il refuse de baisser les bras. Il rappelle seulement que la bonne nouvelle sera toujours exprimée par l’apparence de l’échec. L’apparence de l’échec le motive à s’engager, à s’investir davantage en offrant, au milieu de tant d’opposition, une parole qui fait sens, une parole toute simple de grâce, de joie. Il garde le cap de la joie. Ce qui pour nous est dramatique, peu envisageable –l’échec- Paul estime que c’est un moment de grâce, de croissance. Pour lui, Dieu ne mesure pas ses largesses sur nos succès.
L’évangile ne promet pas que l’écharde nous sera enlevée, que le petit caillou qui nous blesse le pied disparaitra. Non, l’évangile nous dit simplement que l’écharde dans notre chair peut aussi devenir une promesse. C’est quand nous doutons de notre avenir en tant que communauté que nous pouvons vraiment rencontrer Dieu. C’est dans la pénombre que la lumière est belle, chante Fred Pèlerin.
C’est là dans nos doutes, au milieu d’opposants, que nous prenons le chemin de Jésus, non un chemin de succès, non un chemin où tout va pour le mieux, non un chemin de petites glorioles. Chacun de nous, chaque communauté, porte son écharde qui nous rappelle notre humanité profonde, nos fêlures. Dieu comprend le poids de nos échardes, car il a marché sur notre chemin jusqu’au bout, jusqu’à la croix avec son écharde, celle de ne pas être aimé pour lui-même. Question : quelle est notre écharde présentement ?
Tenir ce langage aujourd’hui apparaît comme une folie à bien de nos contemporains. C’est le langage pour dire Jésus. L’évangile parlait tantôt le langage de la confiance. Regardez les moineaux du ciel.
Devant les déchirements des Corinthiens, Paul parle le langage de la folie. Aujourd’hui, nous vivons beaucoup de déchirements. Nous avons beaucoup de choses pas très bonnes (pape François, 2/6/16). Comme Jésus s’adressant à la femme pécheresse, Paul refuse de condamner ses opposants. Il crée un chemin de relation en se présentant comme un fou. Il nous demande de devenir des fous, des fous de Dieu, des fous pour Dieu. Des fous ou plutôt, si vous préférez, des excentriques. Oui, nous sommes des excentriques parce que, justement, Dieu ne cesse de nous décentrer de nous-mêmes, pour nous tourner vers un autre langage : sa folie d’aimer même nos échardes.
Ne nous laissons pas voler nos échecs. Soyons fous et, surtout, réjouissons-nous de marcher à la suite de Jésus. AMEN.
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