Année C : mercredi de la 6e semaine ordinaire (litco06me.19)
Mc 8, 22-26 ; Gn 8, 6-13 : nous sommes tous aveugles.
Aperçois-tu quelque chose ? Notre premier regard est souvent rapide. Il voit l’éphémère. Ainsi en est-il du premier regard de l’aveugle. Il ne voyait pas très clairement Jésus. J’aperçois des gens qui ressemblent à des arbres. Il voyait sans voir. Il a fallu un second geste de Jésus pour que son regard devienne clair. Il distinguait tout avec clarté. C’est progressivement que l’aveugle a vu Jésus, l’humain et le divin.
Ce double geste de Jésus sur l’aveugle confirme qu’il y a en nous deux sortes d’yeux : ceux du sensible- des gens qui ressemblent à des arbres- et ceux du cœur éveillé à une présence immanente en nous. Il distinguait tout avec clarté. Notre premier regard porte sur ce que fait Jésus. Nous sommes étonnés, désorientés devant ses gestes extraordinaires, mais nous ne voyons pas Jésus. Notre second regard imprime en nous cette certitude que si notre intérieur se tait, reste tranquille, je contemplerai Dieu. De mes yeux de chair, je verrai Dieu (Jb 19, 27).
Dans une société où tout se voit, nous oublions qu’il existe des yeux plus intérieurs que les yeux corporels. Des yeux pour voir l’invisible. La recommandation de Paul demeure d’une grande actualité. Nous regardons, non point aux choses visibles, mais à celles qui sont invisibles, car les choses visibles sont passagères, et les invisibles sont éternelles (2 Co 4. 18). Lors de la première prise de parole de Jésus dans le temple, les auditeurs ne voyaient que le fils de Joseph (Mc 6, 1-6). Et nous, qui voyons-nous en Jésus ?
Toute connaissance de Jésus est progressive. Notre désaveuglement sur Jésus se réalise en mode crescendo, dit Adolphe Gesché (cf. Dieu pour penser la destinée, p. 62-63), en mode cheminement non en raisonnant sur lui, mais en croyant. Il est venu pour ceux qui ne voient pas et que ceux qui voient deviennent aveugle (Jn 9, 39).
Étonnement. Jésus n’est pas pressé de se faire voir. Il n’agit pas comme un impulsif chronique désirant être reconnu tout de suite parce qu’incapable d’attendre un peu que l’œil soit purifié. Il refuse même à un possédé le droit de le faire connaître (cf. Mc 1, 24). Ce n'est qu'au prix de beaucoup de temps et d'un long apprentissage qu'on peut parvenir à la connaissance de Jésus. Il a longuement préparé ses disciples avant de les inviter sur la montagne du Thabor.
La première étape pour voir Jésus, c’est d’être en mode écoute de sa parole. Voir Jésus commence par prêter l’oreille, l’écouter avec attention. Il éduque l’ouïe avant de réjouir le regard, dit saint Bernard. Jésus commence par nous reconnecter à lui, il nous appartient ensuite de demeurer connectés à lui. Ne dit-on pas que la lumière est au bout du tunnel.
Jésus n'est pas pressé, mais il est soucieux de nous maintenir en route. Il lui impose les mains. Dans les mots de notre monde internet, Jésus est un connecteur incontournable pour télécharger en nous le désir de le voir. Il nous reconnecte à lui. Sans moi, vous ne pouvez rien faire (Jn 15,5). Sans mon Esprit, vous ne pouvez pas me voir. Jésus nous propose le cadeau de voir, de le voir.
Si la première étape pour voir Jésus est de reconnaître que nous avons des yeux et que nous ne voyons pas, la seconde est de sortir de l’emprise de notre égo, pour rejoindre ce Dieu plus intime à moi que moi-même (saint Augustin). En touchant à nouveau l’aveugle, Jésus a façonné en lui une créature nouvelle. Si quelqu’un [voit le Christ], est dans le Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées; voici, toutes choses sont devenues nouvelles (2 Co 5,17).
Le livre de la Genèse précise qu’il a fallu du temps à Noé, quarante jours, pour ouvrir la fenêtre de l’arche et d’y lâcher corbeau et colombe pour réaliser que la vie revenait sur la terre. Il nous faut du temps pour ouvrir nos yeux du cœur pour les dégager de la tyrannie du sensible. Il nous faut du temps pour ne pas s’autoregarder, mais Le regarder.
Par toute notre existence, allons dire au monde ce que nous voyons. AMEN.
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