Année C : mercredi de la 23e semaine ordinaire (litco23me.19)
Lc 6, 20-26 ; Col 3,1-11 : pour qui vivons-nous ?
Jésus soulève une question de grande importance. Pour qui vivons-nous ? Non pas pourquoi, mais pour qui vivons-nous ? On peut bien vivre sans «pourquoi», mais peut-on vivre sans «pour qui» ? Corollaire à cette question, une autre est à soulever : de qui suis-je responsable ? C’est dans la réponse à ces deux questions que nous nous trouvons ou pas sur le chemin des béatitudes énoncées par Jésus. Non pas arrivés, mais en chemin.
Deux questions qui portent tout le projet social de Jésus qu’il nomme le royaume. Le bonheur à la manière de Jésus ne sera jamais au prix le plus bas à payer, en le réduisant au minimum. Cette page est un projet audacieux de bonheur. Jésus ne décrit pas seulement ce qu’il espère pour l’avenir. Il le voit déjà se réaliser autour de lui.
Pour qui vivons-nous ? De qui sommes-nous responsables ? Ces deux questions donnent un sens et une saveur à la vie. Elles maintiennent la vie en mode relation, en mode mouvement vers, en mode imitation de Jésus. Nous sommes faits, dit la foi chrétienne, pour vivre dans un mouvement permanent vers l’autre. La question posée à Caïn est incontournable : qu’as-tu fait de ton frère (cf. Gn 4, 9-10) ? Et le Cantique des cantiques (Ct 2, 16) dans un langage lyrique et amoureux tisse le chemin du bonheur : mon amant est pour moi et moi pour lui. Tout est dit.
Monte en moi ces mots de l’Apocalypse : tu t'imagines: me voilà riche, je me suis enrichi et je n'ai besoin de rien; mais tu ne le vois donc pas: c'est toi qui es malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu (Ap 3, 17).
Avec grande lucidité, Jésus reconnait et déclare heureux ceux qui œuvrent à rétablir la justice et vaincre l’iniquité (cf. Ps 10,14-15). Il déclare heureux ceux qui n’aiment pas en paroles ni par des discours, par des actes et en vérité (1 Jn 3, 18), ceux qui répondent aux cris des malheureux aux prix de leur propre bien-être. Ils ont en héritage le royaume de cieux.
N’accusons pas Jésus de ne jamais donner de réponses aux questions fondamentales de la vie. Il y a un proverbe qui dit : l’homme propose et Dieu dispose. Eh bien, c’est le contraire : Dieu propose, et l’homme dispose. Il offre un chemin non hypothétique, non un chemin de rêve, mais un chemin dont il voit déjà les prémisses. À preuve, Jésus offre l’exemple du geste de la veuve et son obole (cf. Lc 21, 1-4) qui sacrifie beaucoup de choses pour privilégier la joie du partage.
Il voit avec évidence quand il décrit la parabole du riche et du pauvre Lazare (cf. Lc 16,19-31) ou celle de cet homme remplissant ses greniers (cf. Lc 12, 13-21), qu’ils vivent sans «pour qui», sans «pour l’autre» et que l’abondance de leur bien ne les rend pas nécessairement heureux. Jésus voit l’arrogance de ceux qui les oppriment (Ps 10, 10).
Quand il s’arrête pour écouter le cri de Bartimée assis le long de la route (cf. Mc 10, 46-52), il souffre d’observer que beaucoup de gens le rabrouent pour le faire taire (v.48), mais se réjouit que le pauvre ne soit pas oublié […], que l’espérance des malheureux ne périt pas à jamais (Ps 9,19).
André CHOURAQUI traduit ce projet évangélique de Jésus par le mot en marche. En marche, les humbles; en marche, les affligés; en marche, les affamés; en marche, ceux qui pleurent. Dans une note en marge du texte, il précise : en hébreu, le mot qu’on traduit habituellement par bienheureux, évoque la rectitude de l’homme en marche sur une route qui va droit vers l’Eternel. Le Coran dit : Conduis-nous sur le chemin de la droiture.
Paul dans la lecture répond à sa manière aux deux questions quand il dit aux Colossiens : vous êtes ressuscités avec le Christ [quand] vous cherchez les choses d’en haut, là où se trouve le Christ. Il les invite comme chemin de bonheur à songer aux choses d’en haut, non à celles de la terre qu’il définit par l’idolâtrie, la cupidité.
À votre contemplation: faisons monter en nos mémoires ces humains, hommes et femmes, dont la vie donnée pour les autres nous fait entendre le roucoulement de la tourterelle (Ct 2,13). Amen.
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