Année B : samedi de la 19e semaine ordinaire (litbo19s.18)
Mt 19, 12-15 : vision de la noisette
Quelle est la surprise que ressort de ce bref passage ? Qu’est-ce qui étonne dans ce regard de Jésus sur les petits ? Le message est clair. Celui qui ne s’appuie que sur ses propres forces ne grandira jamais. C’est une réalité incontournable : ne s’appuyer que sur soi-même conduit à une vie sans issue. Nous sommes des êtres faits pour la relation aux autres.
Le mot qui définit le mieux ce regard de Jésus sur les petits, sur tout ce qui est faible, sans renommée, je l’emprunte à Gui Lauraire, c’est déchirure. Jésus déchire les comportements usuels de son temps. Devant les puissants leaders religieux et politiques, Jésus n’éprouve aucune sympathie visible. En présence des enfants, il déborde de reconnaissance à son Père. À eux, il a été donné de connaître. Le prolifique théologien méthodiste américain Stanley Hauerwas écrit que Dieu a du temps pour l’insignifiant, pour ceux qui dégagent une odeur repoussante, citant Joseph Fradette, dans son livre, le Prix à payer, où il décrit son itinéraire pour devenir chrétien.
Ne prenons pas ce mot insignifiant dans son sens injurieux. Entendons-le dans le sens de l’évangile de ce matin : les petits émerveillent Jésus. Il les fréquente, les côtoie, les «renippe». En leur présence, il se sent plein de vie, revigoré. Ils deviennent tellement sa priorité qu’il leur révèle le Père et qu’il est dans le Père.
Vous n’aimez pas ce mot insignifiant. Je vous propose alors cette vision que Dieu a donnée à Julienne de Norwich, recluse anglaise du XIVe siècle, et connue sous le nom de vision de la noisette. Dieu lui a montré quelque chose de pas plus grand qu'une noisette qu’il tenait dans la paume de sa main.
Cette vision de la noisette représente l'infinie petitesse de tous les êtres créés. Je m’étonnai, dit Julienne de Norwich, que cette chose-là pût subsister, car, me sembla-t-il, un si petit rien pouvait être anéanti en un instant. Il me fut répondu dans mon entendement : II subsiste et subsistera à jamais, parce que Dieu l’aime. À comprendre : ce qui est petit ne tombe pas dans le néant parce que petit. Ce qui est petit est regardable par Dieu.
Je m’étonne de ce regard de Jésus sur les petits; en effet, il n’a pas traité tout le monde de la même façon. Il est sorti de son Père pour rendre dignes ceux qui sont sans noblesse pour éviter la banqueroute de l’humanité (Mgr Hiéronymos à Lesbos, le 16 avril 2016). Jésus nous a montré les bonnes manières de vivre en allant vers tout le monde, en s’arrêtant pour saluer même ceux qui ne sont pas de notre ville. De notre ethnie. De notre religion. Il veut nous éviter le communautarisme, une sorte de groupement protectionniste.
Au centre de l’évangile, il y a les petites noisettes. Sur la montagne dans sa chartre du bonheur, Jésus s’incline devant cette civilisation des déchets (EG, no 53) que sont les personnes oubliées, opprimées, même pour des raisons religieuses. Dans son discours ouvrant la deuxième session du concile en septembre1963, Paul VI déclarait que ces petits appartiennent à l’Église par droit évangélique. C’est très fort. Chiara Lubich a compris la profondeur de ce droit quand elle dit que le royaume consiste à être un avec eux.
Le prophète Ézéchiel ne craignait pas d’affirmer au nom de Dieu : toutes les vies m'appartiennent, la vie du père aussi bien que celle du fils, elles m'appartiennent ; celui qui n'exploite personne, qui restitue ce qu'on lui a laissé en gage […], qui donne son pain à celui qui a faim et couvre d'un vêtement celui qui est nu ; celui qui ne prête pas à intérêt […], qui détourne sa main du mal […], qui marche selon mes décrets et observe mes ordonnances pour agir avec vérité : un tel homme est juste, il vivra, oracle du Seigneur Dieu.
Quelle belle manière de vivre que cet oracle qui ne vieillit pas et qui ouvre sur la joie d’être sauvé (Ps 50) AMEN!
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