Année A : samedi de la 20e semaine ordinaire (litao20s.17)
Mt 23, 1-12 : Attention ! Danger!
Vous connaissez l’expression «je ne porte pas à terre». Elle signifie que je suis tellement enthousiasmé par un projet, une découverte, un événement qui m’arrive que rien d’autre ne m’attire. Rien d’autre que ce qui m’arrive ne me distrait.
Cette semaine, tout m’invitait à ne pas porter à terre. Tous les textes s’apparentaient avec un projet merveilleux qui m’enthousiasmait; je le trouvais trop beau pour être vrai.
Lundi dernier, j’entendais un appel à désirer la vie éternelle. Je ne portais pas à terre; cet appel était inimaginable à moi, lourd de mes acquis terrestres. Mais la réalité m’a ramené à terre devant le chemin: si tu veux être parfait, vends ce que tu as.
Mardi, je ne portais pas à terre en entrevoyant à travers le trou de la serrure la beauté ineffable de cette vie éclatante qu’est cette Jérusalem céleste, l’horizon ultime qui m’est offert, là où dit l’Apocalypse (21,4) qu’il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur. Je la désirais avec folie. La réalité de mon quotidien m’a vite rejoint quand ce renouvellement exige d’avoir des mains nues, détachées, de prendre une distance devant mes attachements familiaux, mes possessions terrestres.
Mercredi, je ne portais pas à terre en entendant que même si je suis aux différentes heures de la journée de ma vie, paralysé par toutes les choses d’en bas, qu’il me sortira de ma léthargie, de ma pesanteur à la onzième heure, pour m’offrir le même salaire qu’aux autres qui ont subi le poids du jour.
Vendredi, je ne portais pas à terre devant ce projet d’une terre harmonieuse, sans haine, sur clivage, sans dualité parce que Dieu ne cessait de me surprendre par son amour à mon endroit et son appel à faire de même. Mais la réalité, ma réalité me faisait perdre mes rêves.
Aujourd’hui, je ne porte pas à terre quand une vie désencombrée m’enthousiasme, m’ouvre sur un bonheur insaisissable, imprenable. Je ne porte pas à terre quand pour un instant je saisis par l’intérieur qu’une vie heureuse se trouve dans l’abolition de nos murs de droite extrême ou de gauche extrême, dans le délestage du bien paraître, de la recherche de la célébrité, de la première place ou des poignées de mains protocolaires sur les places publiques. Ici encore, la réalité me rattrape; bien paraître fait du bien à ma personne; je préfère glaner dans un autre champ aux fruits juteux plutôt que d’apprécier le mien.
Je ne porte pas à terre devant ce Dieu qui ne peut se contenir en lui-même, qui ne peut garder pour lui-même sa beauté et qui sort de lui-même pour nous sortir de notre bassesse en demeurant en nous, en y faisant sa demeure. Étourdissement de joie.
Je ne porte pas à terre quand je réalise que Dieu nous a créés parce qu’il nous veut heureux, quand je réalise que Jésus a tout fait pour me rendre heureux, que nous sommes davantage des personnes du printemps plutôt que de l’automne (audience de François du 23 aout). Et pourtant je suis bien un terre-à-terre quand j’ai le visage tourné vers le bas, aigri et, comme je l’ai dit, parfois [quand j’ai] le visage des piments au vinaigre .
Laissons croître en nous cette beauté dont nous font miroiter les paraboles entendus même si au milieu de nous se trouve de l’ivraie. AMEN.
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