Année A : mardi de la 6e semaine ordinaire (litao06m.17)
Marc 8, 14-21 : pains multipliés, une thérapie de choc
Que Jésus explique-t-il ? Qu’il ne faut pas réduire sa parole et ses gestes à ce que nous en comprenons. Vous ne comprenez pas. Jésus fait comprendre à ses disciples que son geste du pain multiplié est plus grand que ce qu’ils en voient. Vous avez des yeux et vous ne voyez pas. Il ne suffit pas d’avoir des yeux pour voir. Il y a tant d’yeux qui ne voient pas, parce qu’éblouis par ce qui brille. Ces yeux n’atteignent pas l’immensité de l’insondable. Il ne suffit pas d’avoir des oreilles pour entendre. Nos oreilles ne sont pas toujours ouvertes à l’Esprit de Dieu. Et puis qu’écoutons-nous ?
Pour ouvrir les yeux de ses disciples, instruments choisis (cf. Ac 9, 15), pour leur faire comprendre le mystère de sa personne, Jésus leur offre dans le pain multiplié une thérapie de choc. Son geste nous projette dans l’infini de Dieu. Il fait sauter les limites étroites du langage humain. Nous sommes tous exposés en permanence au risque de réduire Dieu et sa parole à ce que nous en comprenons, à ce que nous croyons en comprendre et surtout à ce que nous voulons en comprendre. À ce que nous voyons ou croyons voir aussi.
C’est une tentation que de croire comprendre ce geste du pain et elle doit être combattue. Les gestes de Dieu sont plus grands que tout ce que nous pouvons en comprendre. C’est une trahison que de nous arrêter sur l’éblouissement de ce geste. En expliquant son geste aux disciples, Jésus les guérit de leur aveuglement.
Notre compréhension des gestes et paroles de Jésus est toujours partielle et n’est jamais acquise. Comprendre la parole par le cœur, et non la retenir par cœur, voir le geste de Jésus dans sa nudité sans s’arrêter à son éblouissement, demeurent un travail à plein temps et de chaque instant. La réalité du pain multiplié dépasse la réalité de ce que nous en comprenons, exprimons et voyons.
Nos yeux peuvent très bien voir une montagne sans être capables de l’embrasser dans nos bras. Chaque jour, ici sur cette montagne de l’Horeb, nous prenons ce pain dans nos mains, mais nous comprenons qu’il ne se comprend pas. Ce que nous exprimons dans nos conversations entre nous est peut-être juste, mais nous pouvons exprimer des choses sans en comprendre le sens. Sans en percer le mystère. Nous ne pouvons pas emprisonner ce pain multiplié dans nos mots. Il est grand ce mystère de foi.
Notre compréhension est soumise en permanence à notre identité de nature créée. C’est la marque de l’empreinte du Créateur en nous dont parle le livre de la genèse (première lecture) et elle est indélébile. Si, comme le démontrait, il y a quelques années, un « Best seller» de John Gray Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus, qu’hommes et femmes ne comprennent pas exactement la même réalité, faut-il se surprendre que nos regards sur ce pain de vie soient obstrués par cette empreinte de créature créée ?
Nous avons une compréhension de ce qu’est l’amour, mais nous ne comprenons pas l’amour de Dieu. Nous avons une compréhension de ce qu’est la toute-puissance de Dieu, mais nous ne comprenons pas comment elle peut s’exercer dans la faiblesse. Nous ne comprenons pas qu’un Dieu bon et tout-puissant puisse permettre au mal d’exister. Nous saisissons seulement qu’une force d’attraction terrestre, celle du Prince de ce monde qu’Origène appelle le nouveau roi d’Égypte en nous, travaille en permanence pour nous maintenir dans son orbite jusqu’à la dernière seconde de notre dernière heure.
Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu! Que ses jugements sont insondables, et ses voies incompréhensibles! Qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller? [...] C’est de lui, par lui, et pour lui que sont toutes choses. À lui la gloire dans tous les siècles! (Rm 11, 33-36). Ces mots sont à contempler longuement.
Que la prière de l’oraison d’ouverture se réalise en nous : ouvre nos cœurs à l’intelligence de ta parole: fais de nous un peuple de croyants. Amen.
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