Année A : samedi de la 29e semaine ordinaire (litao29s.17)
Lc 6, 12-19 pour quelle raison, Seigneur, tu te manifestes à moi ?
Pour débuter, faisons une observation. Jésus s’en alla dans la montagne pour prier. De mémoire, je ne trouve aucun endroit dans l’évangile où Jésus est en prière avec ses apôtres. Les évangélistes ne présentent qu’un Jésus seul avec son Père. Étonnant.
Autre étonnement, il n'appelle pas les douze pour faire un travail de bras. Ce travail ne dure qu’un temps limité. On ne passe pas sa vie à jouer du coudre, à faire un travail de bras. Jésus appelle non pour un travail extérieur à eux, mais pour être avec lui tout le temps. Pour vivre avec lui, en lui et par lui toute la vie. Pour toute une éternité aussi.
Ce n’est pas non plus la condition sociale de Jude et Simon qui intéresse Jésus. C’est leur personne. Ils sont, dit Luc, zélotes ou dans la version de Matthieu, Cananéens. Les deux sont très religieux, des passionnés, des jaloux (audience de Benoît XVI, le 11/10/06), donc aux antipodes du publicain Matthieu. Jésus les appelle à former une équipe multiculturelle, dirions-nous aujourd’hui, autour de sa personne, donc à surmonter des difficultés inimaginables. Songeons à la demande des fils de Zébédée, Jacques et Jean (Mt 20,20).
Il les appelle à rester avec lui. Il n’y a rien de plus profond, de plus sûr, de plus consistant, de plus sage, écrit le pape François dans La joie de l’évangile (#. 165), que d’être avec lui, que de marcher vers Jésus et avec lui. Notons que je peux être de passage chez quelqu’un, demeurer quelques jours chez lui. Mais il faut plus qu’être de passage, il faut être en permanence avec Jésus. Cela change toute une vie. Ici, cet appel prend la forme d’un vœu.
Cet appel n’est pas réservé à des initiés de longue date, à des grands orateurs. Jésus n’aurait jamais trouvé quelqu’un apte à former son équipe, à parler comme lui. Il appelle pour former leur regard à vivre comme lui. Dans son équipe, le succès n’est pas évident puisque le Pierre l’a renié, les autres ont pris peur et ont déguerpi. Tous sont choisis, même ceux de la dernière heure du jour (cf. Mt 20, 1-16), même ceux avancés en âge.
Mais pourquoi Jésus appelle-t-il ? C’est la question que Jude, appelé aussi Thaddée, pose à Jésus, rapporte Jean, lors de la dernière scène. Seigneur, pour quelle raison vas-tu te manifester à nous, et non pas au monde (Jn 14, 22) ?
Laissons-nous interpeler par cette question. Elle nous va droit au cœur. Pourquoi nous a-t-il appelés à son service ? Pourquoi vous a-t-il choisis pour vivre ici, avec des personnalités diverses, d’une seule âme et d’un seul cœur (Ac 4, 32) ? Pourquoi vous a-t-il choisis? Pour vous appeler, dans les mots d’Isaïe (Is 62,4), ma préférence […] et cette terre deviendra l’épousée ?
Que ce soit Pierre, Jude, Simon ou chacun d’entre nous, notre réponse repose sur notre désir jamais parfaitement accompli de marcher en direction du Christ. Ce qui est premier, c’est d’être devant lui comme une terre assoiffée (Ps 142, 6), c’est de me revêtir de vous-même, de vous substituer à moi, afin que ma vie soit rayonnement de votre vie (prière d’Élisabeth de la Trinité).
Plus l’espace réservée à Jésus est grand, plus il pousse à ne plus nous appartenir, à sortir de nos habitudes, nos conforts pour aller vers ceux qui se trouvent en eau trouble. Le pape observe dans la joie de l’évangile (no 87) que sortir de soi-même pour s’unir aux autres, fait du bien. S’enfermer sur soi-même signifie goûter au venin amer de l’immanence, et en tout choix égoïste que nous faisons, l’humanité aura le dessous.
Vous êtes choisis pour être ici, sur cette montagne, afin de n’être plus des étrangers ni des gens de passage, mais concitoyens, membres de la famille de Dieu. AMEN.
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