Année C: samedi de la 5e semaine de Pâques (litcp05s.16)
Mt 5, 1-12a : Marie de l'Incarnation ou se contenter à dire Dieu
En ce temps pascal, il est bon de se rappeler ce qu'exprimait sainte Marie de l'Incarnation dans une lettre à son fils : ne pas ressusciter à sa première vie, ce misérable «nous-mêmes», qui nous fait faire ce que nous ne voulons pas. Nous le savons et surtout l'expérimentons, il y a toujours en nous un certain « nous-mêmes», qui est né avec nous (Lettre 123/1649). Il ne s'agit pas de détruire cet état naturel de créature, mais de lutter contre l'esprit de nature qui nous pousse à nous préférer à Dieu.
Dès son OUI à la demande de Jésus, voulez-vous être à moi, Marie de l'Incarnation a entrepris un chemin d'anéantissement d'elle-même. Un chemin de désencombrement, de dépouillement pour laisser lentement la vie trinitaire faire son chemin en elle. Depuis son «entrée» dans la vie trinitaire, elle ne voulait vivre qu'à la manière de Dieu. Quelqu'un a écrit que Dieu est Dieu, justement parce qu'il n'existe pas pour lui-même.
Toute sa correspondance, écrite dans un style «repoussant» aux yeux de notre culture, corrobore qu'elle n'a pas lésiné pour faire échec et mat à cette tendance à se préférer à Dieu. À la fin de sa vie, Marie de l'Incarnation n'avait plus de «moi»; le sien était celui du Dieu trinitaire en elle. Elle n'existait que dans le Père, le Fils et l'Esprit et eux en elle.
À l'âge de 28 ans, elle écrit, dans les 7e et 8e états d'oraison : n'étant plus moi, je demeurai lui, par intimité d'amour et d'union de manière qu'étant perdu à moi-même, je ne voyais plus, étant devenu lui par participation (relation 1654). Elle a mené une vie collée à Jésus. Une vie cachée au torrent de l'amour, pour citer Élie, une vie configurée au Christ. Elle vivait pleinement en quittant ce soi-même pour y mettre Dieu à la place (Correspon-dance 353); elle ne vivait plus par elle-même, mais elle voyait le Christ vivre en elle (cf. Gal 2, 20),
Ce matin, ne serait-ce pas un cadeau de l'Esprit que de laisser imprimer en nous, au sens fort du terme, cet appel à se perdre en lui. Pour nous aider, elle nous donne cette image très concrète: si tu avais une belle perle ou une pierre précieuse et qu'on vînt à la souiller dans un bourbier, serais-tu contente ? Sommes-nous contents de voir son moi divin devenir moins important que le nôtre ?
Ne serait-ce pas un beau cadeau de l'Esprit que de laisser inscrire dans nos oreilles que le bonheur, c'est plus que l'esprit des béatitudes, ces maximes de l'Évangile dont elle s'efforçait de vivre. Le bonheur à ses yeux, c'est de se contenter de dire : Dieu ! Dieu ! Car toute autre chose est moindre que ce qu’il faut dire de cette suradorable Majesté (Écrit, tome 1, p. 201).
Ne serait-ce pas un imprenable cadeau de l'Esprit qu'ici comme moniale, chacune puisse, et je cite une lettre de Marie à son fils, se plaire, plus à le caresser et l'aimer qu'à tant m'arrêter à considérer mes bassesses et mes indignités (Lettre à son fils, oct. 1645)
Ne serait-ce pas une véritable résurrection que de comprendre dans toute sa profondeur le sens de cette parole de Jésus, adressée personnellement par Jésus à Marie de l'Incarnation : si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui et nous ferons chez lui notre demeure (Jn 14, 23). Cette Parole nous rejoint aussi aujourd’hui.
Il a fallu à cette femme de passer par de grands travaux intérieurs et extérieurs qui épouvanteraient une âme si on lui faisait voir avant que de l'expérimenter (Relations de 1654) ce chemin pour revêtir Jésus. L'inouïe de cette vie perdue dans la trinité ne lui a pas enlevé la réputation d'avoir les deux pieds sur la terre. Elle fut une femme de miséricorde par la mise en œuvre de pratiques de miséricorde.
Nous sommes tous appelés à devenir des hommes et femmes au visage de la miséricorde en manifestant ten-dresse, caresse, proximité, partage et pardon, comme nous invite cette grande dame de chez nous. AMEN.
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