Année C: mardi de la 4e semaine de Pâques (litcp04m.16)
Jn 10, 22-30 : la faculté de voir
Vous me voyez sans me voir. Ainsi pourrait se comprendre l’attitude de Jésus devant ses opposants. De tout temps, les prophètes ont été perçus comme des « voyants ». Ils voyaient ce qui était caché et inconnu des autres. Ézéchiel a vu des cieux ouverts alors que le peuple ne voyait rien. Dans les Actes des apôtres, l’eunuque lisait le prophète Isaïe; pourtant il ignorait celui qu’il vénérait. Survint Philippe qui lui montre Jésus qu’il ne voyait pas sous la lettre (Ac 8, 26-40). Étienne a vu des cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu (Ac 7, 56).
Pour voir, il faut que soit enlevé le voile de nos yeux. David exprime clairement cela: ôtez le voile de mes yeux et je contemplerai les merveilles de ta loi (Ex 34, 30). C’est le même reproche que faisait Paul aux juifs qui, ne voulant pas reconnaître Jésus, voilaient le visage de leur cœur (2 Co 3, 13). Les écrits évangéliques ont enlevé le voile qui nous cache Jésus, ils nous montrent un Jésus venant de Dieu, un Jésus-Dieu, mais le visage de nos cœurs demeure voilé.
Pour voir Jésus, il faut être des « voyants ». C’est justement le reproche que fait Jésus à ses interlocuteurs ce matin. Ils le voyaient bien en chair et en os, devant eux; pourtant ils ne le voyaient pas. Pour voir Jésus, il faut le contempler. Il faut, comme Marie-Madeleine, au matin de Pâques, se tourner vers le Seigneur. C’est lui qui enlèvera le voile de nos yeux.
Jésus est une lettre écrite par le Père (2 Co 3, 3), envoyée pour nous montrer le Père, mais nous en demeurons à la lettre. Nos yeux ne savent pas le contempler. C’est par la conversion de la lettre à l’esprit que disparaît le voile qui était sur la lettre (Origène). Il faut contempler ce qui est écrit pour percevoir pleinement ce qui est voilé dans ce qui est écrit.
Pour les chrétiens aujourd’hui, Jésus s’apparente à un livre scellé que nul ne peut lire (cf. Ap 3). Jésus est « scellé », inaccessible parce qu’on ne peut pas en briser le « sceau » ouvrant sur sa personne. Dans ce sceau se trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance (cf. 1 Co 1, 24). Jésus cache un véritable trésor, mais l’accès est difficile (2 Co 3, 12-18). Il nous faut repenser Dieu dans un monde sécularisé (Musset, Jacques, éd. Karthala, 2015).
Une question surgit : est-ce bien Jésus qu’on ne sait pas voir ou est-ce notre incapacité de montrer Jésus, de présenter Jésus dans des mots d’aujourd’hui qui fait problème ? Le désenchantement actuel de Dieu ne viendrait-il pas de notre langage qui le rend méconnaissable ? Inaudible. Ce n’est pas logique, me dit quelqu’un qui lit mes textes chaque semaine. Je ne te comprends pas. Sa réaction honnête m’interpelle chaque fois. Elle rejoint l’évangile de ce matin où on demande précisément à Jésus combien de temps il va nous laisser dans le doute (Jn 10, 23).
Nous pouvons dire Jésus, ce Jésus qui nous est présenté dans ce que l’on appelle le dépôt de la foi. Mais ce Jésus-là, il est méconnaissable. Ce langage est inaudible aujourd’hui. Jean Sullivan a une formule lapidaire qui dit bien cela : ce qui est dit reste à dire. Si nous ne re-suscitons (avec un trait d’union) pas Jésus, à toutes les générations, à la longueur des siècles, il demeurera toujours une lettre à déchiffrer. Illisible.
Nous ne savons plus reconnaitre Jésus; nous avons perdu la capacité de prendre le chemin de nos profondeurs pour réveiller Celui qui dort en nous. Ce matin, entendons la question que posait Jésus à l’aveugle. Que veux-tu que je fasse pour toi ? Et la réponse de l’aveugle est d’une grande actualité: que je retrouve la vue (Mc 10, 51). Et si c’était chacun de nous qui faisait cette demande pour voir Jésus, chemin vers le Père. AMEN.
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