Année B : Mardi 10e semaine ordinaire (litbo10m.12)
Matthieu 5, 13-16 : sel de la terre
Ceux qui écoutaient Jésus sur la montagne n'avaient pas un doctorat en théologie ni en christologie. C'étaient des gens ordinaires, des disciples ordinaires dont la vie prenait une autre tournure à l'écoute de Jésus. Sur la montagne, Jésus venait de dessiner pour eux un chemin de bonheur, heureux, disait-il, un chemin bourré d'explosifs tant il faisait voler en éclat leurs conceptions du bonheur. Un chemin véritable bombe du Verbe tant il réduisait à néant une manière de vivre où l'accent était mis sur l'accumulation, le profit, le pour soi.
Le bonheur que Jésus vient de leur présenter a un goût tellement pénétrant, transformant qu'il ajoute, si vous prenez ce chemin (vous avez bien compris), vous deviendrez comme moi le sel de la terre. Nous avons l'habitude d'affirmer que Dieu est lumière (1 Jn 1, 5). Nous affirmons peu que Dieu est sel.
Le sel est l'une des plus belles images pour dire Dieu. Dieu n'est que sel qui donne du goût, de la saveur. Dieu est saveur, plein de saveur pour qui l'accueille. Plus nous sommes avancés dans notre expérience de Dieu, moins nous sommes en mesure de parler de lui. Nous pouvons seulement en faire goûter sa présence. Jésus est non seulement lumière. Il est aussi sel. Comme le sel, il donne un goût raffiné à nos vies.
Le plus invraisemblable, c'est que nous sommes aussi sel de la terre.Jésus aurait pu dire: je vous confie le sel de la terre qu'est ma Parole. Il va plus loin en affirmant que, parce que mon bonheur est le vôtre, parce que votre vie est travaillée par ma parole, parce que vous êtes des baptisés, vous êtes le sel de la terre. Nous, peu nombreux, et justement parce que peu nombreux, nous sommes du sel. Trop de sel est aussi dommageable que pas du tout. Nous avons à rendre « goûteuse» la bonne nouvelle de Jésus.
À l'heure où, comme Église, nous connaissons un affadissement de la foi, à l'heure où la Parole de Dieu semble ne plus avoir d'audience, à l'heure où Dieu ne semble plus désirable, Jésus, comme hier sur la montagne, nous dit: vous êtes le sel de la terre. Avec réalisme, il ajoute que le sel peut se dénaturaliser, perdre sa saveur, s'affadir comme la lumière peut être mise sous un boisseau. Comme l'écrit Maurice Blondel : Quand le meilleur se corrompt, il en résulte le pire…
Comme l'affirmait Benoît XVI dans l'homélie lors de sa rencontre avec les familles présentes à la 7e rencontre mondiale des familles à Milan (3 juin 2012) (l'équivalent des JMJ, disait un participant), il faut évangéliser non seulement par la parole mais, je dirais même, par «irradiation».
Annoncer l'Évangile n'est pas une affaire de dogme ni de culte, mais une affaire de sel. Un «affaire» d'enfouissement dans le monde. Je ne vous retire pas du monde (Jn 17, 15). Comme le Père m'a envoyé dans le monde, je vous envoie dans le monde (Jn 17, 18) comme le sel. Pour être le sel du monde. Jésus ne dit pas vous êtes du sel pour la terre mais bien vous êtes le sel de la terre.
Nous vivons pour quelque chose qui va plus loin qu'une déclaration d'un credo qui soit purement routinier et dont nous ne comprenons que très peu la terminologie issue d'une autre culture. Nous sommes la seule bible qui donne du goût et du sens aux agir de Dieu dans l'histoire. La foi grandit quand elle goûte quelque chose qui a du sens. Dieu a [souvent] été travesti, disait Marcel Légaut au siècle dernier, par ceux qui l'affirment mais dont la vie ne fait pas sens tant elle ne donne pas de la saveur à leur entourage.
Une vie qui fait sens, une vie qui goûte quelque chose, cela existe autour de nous. Chaque dimanche l'émission le jour du Seigneur nous présente de ces vies qui font sens, qui nous font goûter que la foi donne de la saveur à notre quotidien.
Comme le sel, acceptons moins de visibilité. Comme le sel, acceptons de mener une vie enfouissement comme le grain de blé enfoui dans la terre et qui engendre, nous le saurons peut-être pas, peut-être jamais, de beaux fruits. Avant d'être un véritable croyant, il faut être un véritable humain qui fait sens. AMEN.
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