Année B : Mardi 6e semaine ORDINAIRE (litbo06m.12)
Mc 8, 14-21 : LARGESSE ET NON ÉTROITESSE D'UNE PORTE NUPTIALE
Vous avez des yeux et vous ne voyez pas. Si nous percions le voile qui se cache sous les mots de notre évangile, notre regard ne verrait qu'une invitation à pendre part à une table seigneuriale, royale dont l'existence remonte au temps de l'Exode (cf. Lv 16, 15-20). Mais notre regard, toujours tenté par ses propres désirs qui le séduisent (Jc 1, 15), semble spontanément s’obscurcir et déprécier la richesse de ce beau passage de Marc qui raconte comment Jésus a nourri avec rien une foule qui n'était pas nécessairement une foule de «saintes personnes».
Voyons-nous que, selon l'analyse faite par Jésus de son propre comportement au désert, les invités ne sont pas tous des membres d'un club sélect de «bonnes personnes» ? Voyons-nous que, dans cette foule, se retrouvent des bandits... aujourd'hui tu seras avec moi dans mon paradis (Lc 23, 43), une femme contaminée par des relations malsaines, je le suis moi qui te parle (Jn 4),des saintes personnes aussi, celles qui font la volonté de mon Père ? Voyons-nous que se retrouvent assis l'un en face de l'autre, à côté de l'autre, croyants et athées, célèbres collecteurs d'impôt et apôtres, les premiers et les derniers, les religieux et les blasphémateurs, la victime et son assassin ? Et même si nous voyons cela, nous ne comprenons pas, ajoute Marc ce matin.
Nous ne comprenons pas que la porte de cette table n'est pas une porte étroite (Lc 13, 14) mais qu'elle le devient à cause de notre propre étroitesse d'esprit. Nous avons des malaises à inviter à passer par cette porte large ouverte toute cette foule assoiffée, affamée de sens, en recherche d'une terre paradisiaque plutôt que celle d'une frénésie étourdissante. Notre regard est trop souvent fermé et ne voit pas que cette table est une auberge qui accueille tout venant (Lc 10, 34). Il ne voit pas que cette table est nuptiale, ouverte : allez sur les places, [dans] les rues, [vers] les pauvres et estropiés, aveugles et boiteux (Lc 14, 21).
À écouter Marc nous présenter ce passage nourrissant parce qu'offrant avec tellement peu une nourriture sans limite et sans fin (préface du Christ-Roi), nous assistons à la réalisation de l'aujourd'hui de Dieu, au signe (évangile d'hier) qui nous montre le vrai visage de notre Dieu. L'apôtre Jacques affirmait tantôt que Dieu veut nous éviter de demeurer dans nos enfers, ceux ne nos propres désirs. Nous avons une image bien rabougrie de notre Dieu alors que Jacques éveillait les premiers croyants : [Dieu] a voulu nous donner la vie pour faire de nous les premiers appelés de toutes ses créatures.
Saintetés, nous sommes devant le bon plaisir de Dieu de réintroduire aujourd'hui, près de lui, ceux et celles qui vivaient dans leurs enfers, dans leur paradis de l'enfer. Aujourd'hui s'accomplit l'Écriture (Lc 4, 21).Mais cet aujourd'hui passe, pour nous, par la porte étroite d'une double épreuve : celle du peu de pain pour tant de monde, tant de besoins, la porte de la petitesse de la vulnérabilité et celle aussi d'une table largement ouverte, la porte de la joie de Dieu de nous offrir, au cœur de nos faims, un paradis accessible sans pré-condition d'une vie préalable de sainteté ou respectueuse de la loi de se laver les mains avant de manger.
Passage nourrissant et combien aussi déculpabilisant que cette scène où Jésus se sert de l'oubli d'avoir apporté du pain comme un motif de grande révélation : il est le pain qui nourrit. Il est, dans sa personne, paradis nourrissant, table nourrissante, table béatitude venu combler toutes les faims, toutes les divisions entre nous, réduire à néant les horreurs et les tragédies de notre quotidien.
Avec un tout petit peu, presque rien du tout, il transforme ce paradis de nos enfers quotidiens, de nos famines de toutes sortes en une table de joie et d'abondance. Ce Dieu nourrissant, qui nous nourrit, nous envoie avec la même attitude nous asseoir à toutes les tables, surtout celles de nos rues et des cœurs blessés. AMEN.
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