Année B: Dimanche 17e semaine ORDINAIRE (litbo17d.12)
Jn 6, 1-15 : faims insatiables
Je vous pose cette question : dans cet évangile que nous venons d'entendre et que nous connaissons très bien, trop bien peut-être, qu'est-ce qui vous a le plus émerveillé ? Est-ce de voir Jésus prendre tant de temps pour guérir les malades et jusqu’au soir tombant, dit Matthieu ? Est-ce la demande surprenante de Jésus à ses disciples de nourrir eux-mêmes la foule avec seulement cinq pains d'orge et deux poissons (Jn 6, 10) ? Est-ce la surabondance des douze paniers qui restent ? Est-ce les prémisses de sa mort qu'il nous annonce dans ce geste, quand au soir du Jeudi saint il dira prenez et mangez, ceci est mon corps livré pour vous ? Sommes-nous étonnés, presque foudroyés, devant la démesure de Dieu qui, avec si peu, nourrit tant de monde ?
Chacun doit vraiment se poser la question : qu’est-ce qui m’émerveille dans cet évangile ? Quelle bonne nouvelle pour moi, personnellement, aujourd’hui ? Une foi sans émerveillement est une foi morte. Notre émerveillement peut mourir. Ce geste, connu comme la multiplication du pain et que rapportent les quatre évangélistes, est tellement connu qu'il est méconnu. Tellement connu que nous avons peine à entrer, selon les très beaux mots de Blaise Pascal, dans l'infiniment infini de son mystère. Sans émerveillement, nous ne pouvons pas comprendre la beauté du geste de compassion qui a poussé Jésus et Élisée, huit cents ans auparavant, à partager le peu qu'ils avaient. On mangera et il en restera. (1 R 4, 44). Ils ramassèrent et remplirent douze paniers (Jn 6, 13). Mystère de profusion de la générosité de Dieu devant nos faims humaines.
Ce qui est beau, c'est qu'Élisée en pleine période de famine, s'est refusé de garder pour lui l'offrande qu'on lui faisait d'une partie de la récolte comme l'exigeait la loi. Élisée demanda à son serviteur étonné de tout distribuer au peuple pour qu'il survive à la période de sécheresse. Ce qui est beau, c'est que Jésus plein de compassion, préfigure ainsi ce qu'il dira au soir du jeudi saint: prenez et mangez.
L'émerveillement commence quand nous prenons le temps de nous arrêter, de nous asseoir. Faîtes les asseoir. Pas facile aujourd’hui de prendre le temps de nous asseoir pour nous émerveiller de l'inouï que Jésus fait pour chacun d'entre nous. Ce geste dans le désert ne dit pas la grandeur de Dieu, mais notre grandeur. Ce geste de ce Dieu qui se fait miette de pain, disait Marie Noël, confirme combien précieux nous sommes pour Jésus.
Ce qui devrait nous émerveiller aussi, c'est que Jésus a mis ses apôtres dans le coup. Donnez-leur vous-mêmes à manger. Véritable épreuve que cette demande parce qu'humainement ça n'a aucun sens. Jésus invite ses proches collaborateurs non pas à aller chercher du pain pour tant de monde, mais à partager ce qu'ils ont. À donner, dit saint Hilaire, ce qu'ils ont reçu.
Et c'est là le vrai miracle. Au lieu de multiplier le pain, Jésus a divisé ce qu'il avait. Ne dit-on pas : quand il y en a pour deux, il y a en pour trois ? Plus on divise, plus il y a en jusqu'en avoir de trop. Jésus a donné ce qu'il avait non pas comme un geste de riche à pauvre, mais comme un partage. Notons que les évangiles ne parlent pas de multiplication du pain mais de partager le peu que nous avons. Distribue-les. Dieu ne donne pas à moitié si nous savons partager ce qu'il nous donne. Il donne au centuple à celui qui donne un simple verre d'eau.
Tous ceux qui entendent l'appel de Dieu, tous ceux qui acceptent d'être des lettres envoyées par Dieu (1 Pi 4, 11) font un jour l'expérience de cette démesure de Dieu à leur endroit, de cette disproportion entre les moyens dont ils disposent et ce qui leur est demandé.
Ce geste du pain partagé dit toute notre vocation de chrétien. Dieu a besoin du peu que nous avons. Il a besoin de nos vases d'argile pour porter son trésor comme l'exprime Paul (2 Co 4, 7). Il a besoin d’un peu de levain pour faire lever toute la pâte et de quelques pincées de sel pour lui donner du goût. Il a besoin d’une graine de sénevé, insignifiante et minuscule, pour abriter les oiseaux du ciel. Il a besoin de nous, tels que nous sommes. Avec réalisme, Augustin disait, et cela résume autrement les textes entendus ce matin: chrétiens, deviens ce que tu contemples [un peu de pain] et contemples ce que tu es, le corps du Christ. AMEN.
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