Année C- Vendredi 3e semaine de Pâques (litcp03v.10)
Jn 6, 52-59 : trop, c’est trop
Nous pouvons avoir écouté un texte de très nombreuses fois sans en être «marqué». Nous pouvons poser des gestes rituels par habitude et puis, tout à coup, sans trop savoir pourquoi, ce texte ou ce geste se mettent à résonner, nourrissent notre contemplation et nous habitent sans explications, durant des jours.
Ce matin, nous sommes saisis d’étonnement devant ce moment où dans la célébration eucharistique, je cesse de prononcer des mots humains pour laisser toute la place aux mots mêmes de Jésus, à la parole de Dieu : Prenez et manger… [parce que] je suis le pain descendu du ciel [et] qui mange de ce pain vivra éternellement. Étonnant à entendre, bouleversant à vivre, ravissement à goûter.
Augustin ajoute une touche engageante quand il écrit : lorsque tu t’assieds à une table si somptueuse où l’hôte se fait nourriture, regarde bien ce que l’on te sert (entends bien les mots trop connus – ceci est mon corps– qu’Il prononcera pour qu’ils nous saisissent), car tu devras en préparer autant. Avouons-le, ce tu devras en préparer autant dépasse l’entendement parce que personne ici ne nourrit ses invités avec lui-même. L’hôte qui invite, est lui-même boisson et nourriture pour la vie éternelle. Un autre mot en perte de saveur aujourd’hui.
Nous connaissons –nous qui sommes d’en bas– le pain fruit de la terre et du travail humain, mais nous ne réalisons pas que ce pain, notre pain humain, le Christ s’en approprie –il prit du pain, notre pain–il en fait son Corps pour ajouter qui me mange de ce pain, vivra. Nous ne pouvons pas avancer plus loin dans le mystère car si le Christ demeure en nous que peut-il nous manquer et si nous demeurons dans le Christ que désirer d’autre? (Nicholas Cabasilas, La vie en Christ, Cerf, coll. Sources chrétiennes, # 355).
Cette union au Christ, union mystique, est nôtre au quotidien quand nous tendons nos mains et répondons AMEN pour recevoir le corps du Christ. Commence alors pour nous un véritable pèlerinage (Christian de Chergé)vers notre communion avec le Christ que nous vivons dans l’ordinaire de nos jours, faite de joie d’être communauté apostolique et du poids souffrant de nos âges. En répondant AMEN se réalise en nous ces mots qui risquent de voir leur sens perdu tant ils sont répétés et entendus : le Seigneur est avec vous!
Comme l’exprime le psalmiste, le pain raffermit le cœur de l'homme et le vin réjouit le cœur de l'homme (103,15). Pour ceux qui croient dans ce pain – es-tu sûre que c’est vrai, demandait l’enfant à sa grand-mère – ce pain devient vraiment nourriture et ce vin vraiment un breuvage au goût divin. Il nous fortifie, nous raffermit. Il nous réchauffe le cœur, nous réjouit. Il nous permet de vivre le poids de nos âges avec sérénité et abandon entre ses mains.
Saintetés, bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice (Mt 5, 6) que nous apporte ce pain. Aucun langage humain ne peut glorifier et exprimer la beauté de cette table qui nous est maintenant offerte, sans mérite de notre part. Aucun éloge humain ne peut rendre justice à ces mots que nous venons d’entendre : je suis le pain vivant qui est descendu du ciel, si quelqu’un mange de ce pain, il vivra. Comme l’exprime admirablement saint Pierre Damien, docteur de l’Église, nous qui avons été chassés du paradis de délices à cause d’une nourriture, c’est aussi par une nourriture que nous retrouvons les joies du paradis. Vraiment trop, c’est trop.
C’est ce trop qui est trop que Paul sur la route de Damas, a rencontré (1ière lecture). Comme l’exprimait le psaume tantôt, allons dans le monde entier, annoncer cette bonne nouvelle : Celui qui mange ce pain demeure en moi et moi en lui. AMEN.
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