Lundi de la vingt-quatrième semaine du Temps ordinaire (litco24l.10)
Luc 7, 1-10 : une indignité qui rend digne
Mon étonnement, ce matin, en écoutant ce récit du centurion romain, est de me retrouver devant une indignité qui rend digne, devant une pauvreté qui enrichit. En se disant indigne de recevoir Jésus chez lui - je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit- le centurion se montre digne de recevoir Jésus- je vous le dis, même en Israël, je n’ai trouvé une telle foi. Pour le dire plus clairement, Jésus n’entre pas dans la maison du centurion parce qu’il habite déjà son cœur. Parce qu’il est déjà chez lui, en lui.
À plusieurs occasions, les Évangiles nous présentent Jésus s’invitant chez des notables comme chez Simon, le pharisien. Bien qu’il fût à sa table, Jésus ne se sentait pas bien tant il ne savait pas où poser, reposer sa tête. Il n’était pas à l’aise. Il se savait épié, à l’étroit. Si cet homme était un prophète, il saurait (Lc 7, 39). Jésus se retrouve souvent chez quelqu’un, à leur table tout en n’étant pas dans leur cœur.
Ce matin, et c’est la subtile nuance que nous laisse voir cette page de Luc, en s’invitant chez le centurion, Jésus savait qu’il était déjà présent, bienvenu depuis longtemps dans son cœur. D’où l’émerveillement de Jésus – le texte dit admiration - qui s’enracine autant dans la foi de cet homme –je n’ai pas trouvé une telle foi – que dans sa capacité à demeurer petit, humble malgré ses responsabilités de commandant d’armée. L’émerveillement de Jésus ne souffre pas de myopie. Il nait de son regard posé sur le centurion. Si pour Jésus le plus misérable des humains est «regardable», «beau» à l’image du premier né, combien celui dont la foi est belle est-il «magni-fiable»?
Dans une formule simple mais combien riche et qui mérite du temps pour l’intégrer dans nos vies, Suzanne Testut (La déposition, parcours spirituel à l’école de François, Nouvelle Cité, 2009, p. 35), écrit (et cela exprime bien ce qu’a pu vivre le centurion) : quand on va vers ses limites, on progresse vers l’Illimité. J’ajoute et l’Illimité nous transfigure, nous gratifie en déposant en nous son identité divine.
Saintetés, en reprenant le chemin vers vous, et cela sera comme en filigrane tout au long de mon parcours de cette année, signons de nos vies cette belle attitude du centurion : notre indignité nous rend digne de Dieu. Notre Dieu n’a pas besoin de nos forces. Il a seulement besoin de nous voir marcher avec courage vers nos limites. Quand nous lui disons, comme le fils prodigue, je ne suis pas digne, il s’empresse de nous passer un anneau au doigt; quand, comme la Samaritaine, nous reconnaissons nos sept maris, nos failles, il se révèle à nous comme le je Le suis qui te parle;quand, comme Pierre, nous pleurons amèrement nos égarements, il remet entre nos mains ce monde qu’il a créé de ses mains. Son Église, qu’il s’est méritée, nous a dit Paul tantôt, en se donnant en nourriture. Accepter d’être imparfait, ne pas développer l’obsession de l’excellence qui est inatteignable et que nous désirons tellement, nous fait entendre Jésus nous dire : je vais demeurer chez toi.
Au nom de la grâce qui m’a été donné, je vous le dis à tous et à chacun : n’ayez pas de prétentions (une autre traduction dit : ne vous surestimez pas) au-delà de ce qui est raisonnable, soyez assez raisonnables pour ne pas être prétentieux, chacun selon la foi que Dieu lui a donnée en partage (Rm 12, 3).Comme le centurion, présentons à Dieu, présentons-nous à Dieu avec ce que nous sommes, nos misères, nos omissions, il en fabriquera un royaume nouveau. Il nous fabriquera en forme de «saintetés». Dans sa personne, Jésus signe ce qu’allait écrire au siècle dernier, le poète Camus : Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que des choses à mépriser. Qui donc sommes-nous, pour nous mériter une telle dignité? Comme l’exprime le langage des jeunes : plus que ça, tu meurs.
Ces mots du curé d’Ars pourraient aujourd’hui nourrir votre contemplation : celui qui écoute [cela] avec le désir d’en profiter est agréable à Dieu. Que ce regard de Jésus qui donne de la dignité à nos indignités nous transforme maintenant en nourriture pour que naisse «une telle foi», celle du centurion, dans le cœur de nos concitoyens et de nos jeunes. AMEN.
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