Année C : Vendredi 5e semaine de Pâques (litcp05v.10)
Jn 15 12-17 : l’amitié en héritage
Qu’est-ce qui meublent nos conversations lorsqu’il s’agit de Dieu? Les réponses sont nombreuses mais elles tournent autour d’un Dieu contrainte qui vient contrecarrer nos volontés, d’un Dieu réprobateur de toute vie sexuelle, d’un Dieu opposé à tous les plaisirs de la vie, etc. Bref, dans nos conversations sur Dieu, rarement, sinon jamais, nous entendons dire qu’il est notre ami, qu’il est «de notre bord». Il est tout, sauf notre ami.
Nous percevons peu cette amitié de Dieu à notre endroit parce que nous avons une connaissance toute extérieure de notre Dieu. C’est pour nous éviter une stérilité spirituelle que Dieu nous invite à nous convertir à son amitié. Véritable conversion que cet appel : vous êtes mes amis; parce qu’il n’y a pas si longtemps, toute notre théologie, notre éducation religieuse consistait à nous tenir loin de Dieu, à le craindre. Or voici qu’avant de nous quitter, Jésus nous supplie tendrement de devenir ses amis.
Ce soir, intériorisons ces mots : vous êtes mes amis. Ces mots appellent un changement de perspective et, pour utiliser un langage religieux, une conversion, mais pas n’importe laquelle. Il faut changer notre regard sur Dieu, notre mode de relation avec lui. Il s’agit de passer d’une relation d’employé, de maître à élève, à celle d’ami. Jean de la Croix affirme qu’arrivée à l’amour (l’amitié) parfaite, l’âme est dite l’épouse du Fils de Dieu, c’est-à-dire son égal. Dans cette égalité, tout est commun entre les amants, suivant ce que l’époux lui-même déclarait : je vous appelle mes amis (Cantique spirituel, 28,1). En se présentant comme notre ami, Jésus vit en mode horizontal avec nous. Il se révèle à nous, se dévoile- je suis dans le Père. Il nous dit des choses qu’il ne dirait pas à un employé (serviteur), mode vertical de haut en bas.
Prenons le temps de nous demander : comment avons-nous pu devenir les amis de Dieu? C’est en goûtant ces mots – Dieu nous a choisis pour amis – en les contemplant longuement, les mastiquant, les ruminant, disent les mystiques, que nous arriverons à comprendre que ce sont des mots salutaires, presque des mots mystères qui ouvrent notre existence sur une vie nouvelle. Aucun doute possible, ces mots sont des petits «pains de vie». Ils nous ressuscitent à une vie nouvelle.
Prenons le temps de nous demander : comment en sommes-nous arrivés à ne pas goûter la saveur de ses paroles plus douces que le miel? Il y a dans ces mots un vrai mystère, quelque chose qui demeurera toujours incompréhensible, mystère d’abaissement d’un Dieu. Jésus nous dit qu’il accepte même de payer de sa vie pour devenir notre ami. Comment en sommes-nous arrivés à ne pas savourer avec joie cette amitié qui naît de nos trahisons? À y regarder de prêt, seul un bon Samaritain soucieux de nous relever peut nous adresser ces paroles. Seul un bon ami peut les prononcer parce qu’il est prêt à payer notre amitié de sa vie. Qui peut comprendre cela?
Vous êtes mes amis : une belle manière de nous dire que le temps d’une vie sans avenir, sans horizon autre que nos déboires quotidiens, est terminé. Nous ne sommes plus appelés des serviteurs mais des amis (Jn 15, 15). Jésus nous ayant fait connaître tout ce dont le Père l'avait chargé, peut nous appeler ses amis (Jn 15, 14-15). Il ne s’agit pas d’une promotion pour nos ruptures à être des évangiles vivants, ni même d’une récompense pour nos efforts à vivre comme lui.
C’est une mission : celle de partager à notre tour les secrets de notre intimité avec Jésus. Celle de faire connaître les secrets de son cœur. L’ami, c’est plus fort que lui, partage avec enthousiasme ce que lui procure cette amitié. Notre religion chrétienne, malgré les erreurs inscrites dans son histoire, n’est pas une religion de salariés, de contractuels. Elle en est une de gratuite amitié mutuelle. Elle nous rend des amis de Dieu, des partenaires de son œuvre.
Qu’avons-nous fait de cette offre d’amitié? Vivons-nous mal cette amitié qui rend Dieu notre égal et nous l’égal de Dieu? Si quelqu’un reçoit mon offre, il gardera ma Parole, celle que le Père m’a donnée (Jn 14, 23-29). Avec saint Ignace d’Antioche, nous savons que nous ne serons vraiment, pleinement capables de savourer cette amitié qu’une fois entrés au séjour de la pure Lumière. Là,seulemen, se réalisera en nous, se consommera en nous le mystère pascal, parce que nous serons complètement morts à nous-mêmes pour n’être que lui éternellement. AMEN. Signé Jésus-Christ.
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