2020-A-Luc 18, 1-8- samedi 32e semaine ordinaire-J'étouffe
Année A : samedi de la 32e semaine ordinaire (litao32s.20)
Luc 18, 1-8 ; 3 Jn 1, 5-8 : j’étouffe.
Il y a le cri de Moïse (Ex 17, 8-13) qui n’en pouvait plus de porter le bâton de la prière, de tenir les mains en l’air. Quand il baissait les bras, l’ennemi gagnait du terrain.
Il y a le cri de Bartimée qui crie à tue-tête, à pleine gueule : Jésus, fils de David, aie pitié de moi (Mc 10,47). Jésus l’appelle : maître, faîtes que je voie (Mc 10, 52).
Il y a le cri in extremis du larron crucifié avec Jésus (cf. Lc 23, 43). Aujourd’hui, tu seras avec moi au paradis.
Il y a le cri de la Cananéenne qui refuse de ne pas être écoutée par Jésus (cf. Mt 15, 21-28).
Il y a le cri de Paul pour qui la création tout entière gémit, passe par les douleurs d’un enfantement (Rm 8, 22).
Il y a le cri de Georges Floyd, j’étouffe, qui a inauguré un vaste mouvement de libération Black Lives Matters.
Il y a le cri de la veuve, ce matin, dérangeant ce roi inique qui finit par lui faire justice pour avoir la paix.
Voilà bien le sens de la prière. Ouvrant un cycle de catéchèses sur la prière, le pape la définit comme un cri qui sort du cœur de celui qui croit et se confie à Dieu. Elle est la respiration et l’expression de la foi chrétienne. De la foi aussi de tous les croyants comme l’atteste la rencontre d’Assise d’octobre 1986 et reprise régulièrement depuis.
Crier comme la veuve, méprisée en raison de sa situation. Crier comme Bartimée, identifié à un pécheur. Crier sa foi comme cette femme païenne. Autant de cris pour plus d’équité, d’attitudes de pauvres sans défense, sans autre moyen pour se faire entendre et montrer qu’ils existent aussi. Les deux ne se sont pas apitoyés sur leur sort. Ils ont foi dans leur cri qui sort de leur cœur. Ils ne craignent pas de faire du bruit comme lorsqu’on frappe à une porte avec insistance.
La foi est un cri. La prière est un cri. Le croyant est un crieur comme Moïse implorant Dieu d’apaiser sa colère (cf. Ex 32,7-14), comme Pierre marchant sur la mer (cf. Mt 14, 30). Cette femme ne faisait pas sa prière. Elle ne rabâchait pas comme les païens (Mt 6, 7). Elle n’était que prière et élan, citant ainsi la petite Thérèse. Son geste est audacieux, a quelque chose de grand. Il exprime sa capacité de verbaliser sa faim de justice et d’équité. N’étouffez pas vos rêves, écrit le pape dans son exhortation apostolique (Le Christ vit) adressée aux jeunes. Crier est quelque chose de très humain qui exige beaucoup d’authenticité et de courage (cf. Lc 18, 1). Crier, c’est noble.
Ne pas crier, c’est vivre étouffé. Celui qui ne prie pas se damne, écrit saint Anselme qui ne parle pas de la prière dans le secret de sa chambre. On rapporte que dans une communauté quand on voit une sœur se retirer dans le bois, on la laisse seule. On sait qu’elle va crier, sortir d’elle-même ce qui l’étouffe dans sa vie personnelle, communautaire. Crier, ça sauve des vies. Ça libère. Il y a des gens qui disent que c’est inutile de consulter quand on a mal, que ça ne sert pas à grand-chose. Ces gens ont peur de crier. Ils vivent étouffés.
Le cri-prière n’est pas pour autant une sorte de baguette magique. Jésus crie vers son Père sans réponse apparente (cf. Héb 5, 7) en ajoutant non comme je veux, mais comme tu veux (cf. Mt 26,39). Dans son style imagé qui lui est propre, le pape décrit que la prière ne passe pas par l’estomac qui la digère. Elle sort crue. Elle est un cri avant digestion. Un cri avant diplomatie. Elle commence avec la vie elle-même. Jésus ne veut pas éteindre l’humain, il ne veut pas l’anesthésier. Il ne veut pas que nous modérions les questions et les requêtes en apprenant à tout supporter[1].
Je termine par une image. Il faut une longue piste à un avion pour décoller du sol et prendre son envol. Il faut beaucoup de temps pour décoller de nos cris, prendre notre envol vers le Père qui sait ce dont nous avons besoin. Notre vie est faite d’alternance entre notre envol paisible vers le Père et notre longue marche pénible sur le sol. Elle est un perpétuel recommencement à rouler sur la piste pour finalement prendre notre envol vers le Père. AMEN.
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