2019-C-Lc 18, 1-8 -samedi 32e semaine ordinaire- charisme de la prière
Année C : samedi de la 32e semaine ordinaire (litco32s.19)
Lc 18, 1-8 : la transmission du charisme de la prière
Croyants ou incroyants, nous avons tous en nous ce trésor de la prière. Mais qu’est-ce que la prière ? C’est la question que pose l’évêque de tradition anglicane John Spong, dans son livre Pour un christianisme d’avenir, Golias, 2019.
Quand on lui demande: Monseigneur, priez-vous? sa réponse se fait sèche : non. Après un instant de consternation chez ses auditeurs, il ajoute: si je vous avais répondu par “oui”, vous auriez pensé que j’acceptais votre définition de ce que signifie prier et votre définition de Dieu. Nos prières semblent supposer que Dieu peut changer d’avis […] C’est manipuler Dieu […]. Elles ne sont pas des pétitions à Dieu [...], elles ne font pas plier la volonté de Dieu. […] Avons-nous vraiment à l’idée que nos prières ont ce pouvoir ?
La question de la prière soulève la question de qui est Dieu. Prier n’est pas une requête adressée à une divinité pour qu’elle intervienne dans l’histoire humaine. Cette vision parle d’un Dieu extérieur, hautain. La prière n’est pas une tentative pour changer la réalité […]; elle est une pratique d’une présence à Dieu, écrit-il. Prier, c’est vivre une expérience de Dieu en nous et non d’une explication de Dieu.
Le risque est bien réel de nous endormir sur une conception de Dieu comme le rappelle la parabole des vierges folles (cf. Mt 25, 1-13). Le défi est de tenir en alerte notre expérience de Dieu, de ne pas en perdre sa saveur, de ne pas laisser refroidir en nous la prière qui est une question d’être plutôt qu’une question de faire.
Quand Paul enjoint de prier sans cesse (1 Thes 5, 17) ou Luc de prier sans se lasser (cf. Lc 18,1), ce serait faux de comprendre qu’il faut faire sans relâche des prières. De réciter des formules, jusqu’à nous épuiser. Paul signifie plutôt que nous devons avoir la pensée de Dieu (1 Co 2, 16). Toute notre vie, tout notre être doit être une entrée dans la pensée de Dieu, de sa présence en nous. Que je ne te laisse jamais seule au fond de mon être, dit Élisabeth de la Trinité.
Ce matin, ce qui sonne comme du harcèlement pour le juge inique, est pour la veuve sa manière de ne pas endormir en elle son expérience de Dieu. Elle rejoint le cri d'Habacuc qui n’a pas perdu de son actualité : combien de temps vais-je appeler sans que tu entendes (Ha 1, 2). Cette demande répétitive de la veuve est sa manière de raviver le don gratuit de la foi (2 Tm 1,6), de maintenir en elle son désir de Dieu que Paul traduit par la pensée de Dieu. Ce désir de Dieu s’anesthésie quand Dieu ne règne plus en nous, que nous ne sommes plus tendus vers Dieu en pensée, en affection, en attitude, en action. Bref, quand il n’est plus le mantra, le centre de nos vies.
La technique de greffage nous montre qu’une branche greffée change de nature. Elle prend celle de la plante sur laquelle elle est greffée. Notre prière entre en crise quand elle n’est pas greffée sur la petite plante qui vivait pleinement l’attitude de la veuve. Quand la sève ne passe plus du tronc aux branches, la greffe finit par s’assécher.
Chaque être humain, croyant ou pas, a en lui la capacité de greffer sa vie sur Dieu, d’expérimenter Dieu. Il a en lui la capacité de laisser Dieu se greffer à lui. La prière nous rend géocalisable à Dieu. Adam, où es-tu (Gn 3, 9). Dieu demande la permission de se greffer sur Adam. Prier, c’est vivre greffé non sur l’être suprême, mais sur l’Être même. C’est laisser cet Être se greffer à nous.
Que nous soyons croyants ou non croyants, un grand désir de prière couve en chacun de nous, comme une braise permanente qui n’est jamais totalement éteinte. Nous manquons de Philippe pour accompagner l’éthiopien que nous sommes. Il nous faut quelqu’un qui souffle sur la braise de notre foi (cf. Ac 8, 23-40). Tout accompagnateur ressent vivement que notre monde, sous différentes formes, harcelle Dieu parce qu'il a soif de vie. Il souhaite rencontrer des priants non pour se faire dire qu’il faut prier, mais pour dire aux cœurs fatigués et épuisés (cf. Mt 11, 28), à ceux qui souffrent d’une faim de Dieu, qu’ils font, de façon inaudible, l’expérience de la veuve.
Vous avez la vocation d’être ici ce Philippe qui accompagne sur la route ceux et celles qui crient leur désir d’entendre Dieu leur dire qu’il habite en eux, dans leur profondeur. Elle est belle votre vocation de mener une vie qui fait surgir le divin qui se cache dans chaque humain et que confirme l’attitude de la veuve dont la vie n’était que prière. AMEN.
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