2019-C-Mc 6, 30-34 - samedi 4e semaine ordinaire- apothéose de la rencontre
Année C : samedi de la 4e semaine ordinaire (litco04s.19)
Mc 6, 30-34 ; He 13,15-17.20-21 ; apothéose de la rencontre
Qui est celui qui nous invite à l’écart ? Qui est ce Père en qui nous remettons nos vies entre ses mains (Ps 36 1, 6) ? Celui qui nous invite à l’écart, celui qui est notre repos, est un condamné, un bafoué, mis au rang des malfaiteurs. Est-ce bien à ce Dieu crucifié, bafoué, mis au rang des malfaiteurs que nous nous en remettons ? Spontanément, nous nous en remettons au Dieu ressuscité et non à un Dieu bafoué.
Cependant, nous réalisons que ce Dieu, bafoué, détesté, qui n’a rien où reposer sa tête, nous invite à prendre une distance de notre lourd quotidien; il faut alors conclure qu’il ne nous traite pas comme des fonctionnaires, des «affairistes», des machines à rendement pour lui prouver le sérieux de sa présence dans nos vies. Jésus sait regarder tendrement et avoir de la compassion. Qui mieux que lui, le bafoué, peut nous comprendre ? N’est-il pas venu pour se mettre à l’écoute de nos besoins ? Pour habiter en nous ?
Marc, le seul évangéliste à rapporter cet épisode, ne pense pas tellement à un endroit précis. Jésus lance un appel à une expérience spirituelle en remettant nos vies entre ses mains (Ps 31, 4). Jésus ouvre un chemin pour soigner notre vie spirituelle, nous reposer en lui, et aussi, précise Ambroise de Milan, se reposer en nous. Je remercie, dit-il, le Seigneur, notre Dieu, qui a créé un tel être dans lequel il pouvait se reposer. Cet appel à se retirer en lui, d’être seul avec le seul, et aussi au désir de Dieu de se reposer en nous est la colonne vertébrale qui donne du poids d’être à ce que nous faisons, à ce que nous sommes. L’appel au repos est un appel à l’oubli lucide[1] de soi pour privilégier un sacrifice de louange [alors que] nos lèvres proclament son nom (He 13, 15).
Récemment, pour affronter la crise qui sévit dans l’épiscopat américain, le pape François a appelé les évêques à se mettre l’écart. À l’oubli lucide d’eux-mêmes. Pour lui, la solution à des problèmes profonds ne se trouve pas dans une meilleure organisation, dans l’amélioration des structures. L’évangélisation ne sera jamais une entreprise organisationnelle, même si cela est nécessaire. Le pape François invite à se régaler de Jésus en accentuant un nécessaire décentrement de soi-même pour favoriser une rencontre vraie avec Jésus afin de générer [un discours] fruit de l’écoute sincère, priante et communautaire de la Parole de Dieu et de la douleur de notre peuple.
Vous l’expérimentez, ici, quand vous partez en retraite, vivez à l’écart; cela soigne vos relations avec Jésus, avec les autres ; cela soigne les blessures du cœur, guérit ou, tout au moins, atténue la jalousie, des sentiments négatifs, des rancœurs. À l’écart, vous préparez l’apothéose d’une sortie, d’une communion plus riche entre vous. Il est bon quelquefois de s’ennuyer des autres. Cela féconde une meilleure relation. Ne pas savoir se reposer est plus grave encore; ne plus être capable de se reposer, c’est un mal qui affecte toute vie contemplative quand on ne ressent plus le besoin de se tenir en sa présence.
L’appel à l’écart est compris comme une fête, une apothéose de la rencontre après une période de sécheresse ou pour l’éviter. C’est un chemin qui facilite une plus grande intimité avec Jésus et Jésus avec nous. Un chemin qui, nous élevant au-dessus de soi, nous fait entrer dans son repos. Dieu seul est notre repos (Ps 61). Ce repos est autre chose que de l’inaction. En entrant dans le repos de Dieu et en laissant Dieu se reposer en nous, nous nous assurons de remettre en ordre nos vies spirituelles.
Ces derniers jours, en lisant le livre de Nathalie Nabert, Seuls avec le seul1, j’ai compris la profondeur de la grâce de l’appel à l’écart. Ce chemin de l’oubli lucide de soi n’est pas facile. Entendons cet appel comme un don de Dieu. Moi je vous donnerai le repos. Noter, je vous donnerai et non vous prendrez du repos. Ne pas savoir se retirer (la lettre du pape aux évêques insinue cela) est un grand mal qui affecte toute vie active et contemplative.
Quand on voit que Dieu est tout, le tout, alors on ne regrette pas ce chemin d’oubli lucide de soi. Puisse son être avec nous nous faire goûter le besoin d’être avec lui. AMEN.
[1] Nabert, Nathalie, Seuls avec le seul, éd. du Carmel, 2018, p. 65