2016- Mt 25, 31-45- une femme de service
HOMÉLIE FUNÉRAILLES DE ROSE MARIE
Matthieu 25, 31-45: choisie pour servir
Avec ses mains d’artistes, Dieu a créé une toile qui ne cesse d’émerveiller ceux et celles qui la regardent et l’admirent. Sous un ciel étoilé, il traça la lumière qui donne à la toile un effet de beauté éclatante. Le peintre Dieu y plaça des montagnes jalonnées de cours d’eau, de la verdure qui offre des abris fruitiers aux êtres vivants, bêtes et bestiaux selon leur espèce.
Dieu, qui est regard de beauté et d'émerveillement, a peint au centre de la toile un autre lui-même. Nous sommes à son image et à sa ressemblance, dit le livre de la genèse. Maurice Zundel, mystique du siècle dernier qu'aimait beaucoup Rose-Marie, ne cessait de redire qu'au centre de sa toile, Dieu inscrivit cette prodigieuse équation: l'homme=Dieu. La personne humaine =Dieu. Le livre de la Genèse écrit dans sa version hébraïque : toi, homme, et moi Dieu, faisons l'humain ensemble.
Nous ne sommes créés non pas de rien, mais de l'émerveillement de Dieu sur nous. Au premier matin du monde, Dieu est sorti de lui-même afin de nous faire exister comme lui-même. La Bible est le récit ininterrompu d'un Dieu qui s'émerveille de la vie, de Sa vie qu'il a déposée en chacun d'entre nous. Nous, humains, sommes créatures créatrices de sa Beauté (Bergson). Nous sommes comme Dieu des êtres d'émerveillement. Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi ?
Voilà qui dit toute la vie de celle qui nous rassemble maintenant. Faisons l'effort de dépasser sa manière bien à elle de s'exprimer pour nous arrêter à contempler cette vie donnée, livrée, engagée à désirer voir son Église devenir Évangile. Contemplons son désir de faire bouger l'Église, pour citer le titre d'un livre de Joseph Moingt.
Femme consacrée au service des autres et de l'Autre. Femme qui était de l'étoffe de Dieu. Elle l'a revêtu toute sa vie, elle a signé de sa vie le lègue testamentaire de Jésus au soir du jeudi saint: celui du service par en bas représenté par l'abaissement et le lavement des pieds et celui du service par en haut en le servant dans son eucharistie quotidienne. Elle est demeurée même aux heures de grandes souffrances devant le vécu humain, devant les atrocités des comportements de destruction que nous observons, en tenu de service. En tenue de foi.
L'évangile que nous venons d'entendre photographie bien ce que fut sa vie. Rose-Marie ne refusait jamais rien, ne s'arrêtait jamais. On pouvait lui demander n'importe quand n'importe quel service. On la retrouvait au bazar. Sa joie était grande de faire naître à la foi les enfants qu'elle accompagnait dans leur confirmation, leur communion, leur première confession.
Elle prit au sérieux ce qu'écrit l'apôtre Matthieu. J'étais malade, et vous m'avez visité, pauvre, et vous m'avez vêtu. Sa manière de vivre était signée Jésus venu pour servir. Son service a mis au monde beaucoup de personnes. Elle a ressuscité beaucoup de monde. Comme l'exprime un Père de l'Église naissante, Origène, ce que nous faisons pour Dieu reste à nous.
La Bonne Nouvelle de l'Évangile que nous venons d'entendre se ramasse dans les mots du saint pape Jean-Paul II : quand on quitte cette terre, il ne reste que ce que l'on a donné. L’aviateur français Guynemer, héros de la Première Guerre mondiale, disait : quand on n’a pas tout donné, on n’a rien donné. Questionné sur le sens de la mort, un enfant qui suivait les cours de catéchèse de sa paroisse a donné cette réponse inouïe : la mort, c’est ce que l'on donne quand on a tout donné. Rose-Marie vient de signer de sa vie ce que disait cet enfant. Elle vient de donner, de nous donner ce qu’il lui restait à donner : sa vie.
Elle vient de faire don de sa vie au Dieu de sa foi. Elle vient de passer de ce monde à son Père. Elle connait maintenant la grâce des grâces, le bonheur des bonheurs : une vie sans souffrance, une vie de plénitude. Tel est notre foi. Tel était sa foi.
Cette vie vécue en état de service, en état de course pour dépanner, toujours avec joie, s’est transformée ces dernières années en une vie offrande de sa souffrance de plus en plus pénétrante, insupportable aussi. Dieu voulait qu’elle termine sa vie dans son sacerdoce.
Rose-Marie vient d’entrer dans cet « espace neuf » - peu importe où, mais « neuf » - dans cette espèce de vie nouvelle, disent les Pères de l’Église, que sa foi lui assurait de rejoindre. Elle vient de changer d’adresse, de citoyenneté. Elle devient citoyenne du ciel, membre de la famille de Dieu (Ep. 2, 20).
Comme Marie, elle s'est fait visitation. Sur la route, elle n'a jamais perdu son enthousiasme, sa fougue, son empressement à s'offrir, à prendre les devants. Elle a prise au sérieux ce que demandait le catéchisme de notre enfance. Nous avons été créés pour Le connaître, L'aimer et Le servir. Je suis venu non pour être servi mais pour servir (Mt. 20, 28). Saint Jean disait tantôt : n'aimons ni de mots ni de langue mais en acte.
Dans le projet de Dieu, nous sommes créés pour bâtir entre nous une terre paradisiaque. Cette terre pour Rose-Marie n'était pas pour demain, ni après demain, ni pour dans dix ans, mais pour aujourd'hui.
Que ce soit au moment où la maladie faisait son œuvre, elle offrait son aide aux plus démunis en rédigeant plus de 130 rapports d'impôt. Que ce soit par sa disponibilité à s'occuper du service d'accompagnement, que ce soit sa fougue à montrer aux enfants la beauté de Dieu, que ce soit en offrant son temps au bazar, ou sa voix chantante pour élever les cœurs à la prière, elle n'était que service. Elle n'était que compassion. Elle préférait trébucher plutôt que de ne rien faire.
Loin de moi de la canoniser. Elle avait des us et coutumes étonnants. Un matin alors que je visitais Léo, je lui ai demandé un café. En lui demandant un peu de lait, j'entends cette réponse : Rose Marie ne veut pas que j'ouvre son frigidaire. Léo devra maintenant non seulement ouvrir le frigo, mais apprendre à se faire à manger.
Mais qu'est-ce que servir ? Pour elle, c'était plus que de faire quelque chose, que d'agir. Pour elle, servir était son être profond. C'était son ADN, sa marque de commerce. Elle avait des mains pour servir, un cœur pour aimer. Rencontrée à l'hôpital quelques semaines avant sa mort, elle me disait que cela la tenait en vie. Cette manière de vivre donne du poids de sens, du poids d'être à toute existence. Nous devenons humains en servant. Elle n'était pas, comme l'exprime le pape François, une chrétienne empesée, repliée sur elle-même, ratatinée.
Elle nous lègue ceci: tout chrétien est comme un livre ouvert dans lequel les jeunes générations peuvent trouver de précieuses indications pour avancer dans la vie.
Rose-Marie, ta communauté chrétienne te dit MERCI parce qu'elle a reconnu Jésus en toi.
Ton époux Léo que tu aimais, gâtait te dit, tes enfants, tes enfants Guylaine, Jocelyn, Dominique te disent malgré leurs douleurs et leur conviction que ta mort n'est pas une vraie mort, que la vie n'est pas détruite, mais transformée (préface) : maintenant, Rose-Marie, laisse-toi servir par Celui que tu as tellement servi. Pars en paix, entre dans la joie de ton maître et viens t'asseoir à la table de l'eucharistie sans fin.
Maintenant, devenons eucharistie pour ce qu'elle a été pour nous, eucharistie qui se prolongera après son inhumation autour d'une autre table, un buffet, qui vous sera offert au Centre communautaire sur la rue Ronaldo Bélanger. Pour cette vie qui s'achève: Magnificat. AMEN.