2009-B : Dimanche 14e semaine ordinaire- Mc 6, 1-6 Bien reçu chez lui?
Année B : 14e dimanche ORDINAIRE (litbo14d.09)
Mc 6, 1-6 Bien reçu chez lui?
Nous sommes façonnés par ce qui capte notre attention. Nous sommes sculptés par nos pensées en même temps que nos pensées nous sculptent. Gandhi exprimait que ce que nous sommes résulte de la somme de nos pensées. Nous sommes ce que nous voyons.
Si nous passons notre temps à étudier l’évolution du marché de la Bourse, à vérifier le taux de change ou à calculer la valeur de notre portefeuille, nous devenons lentement des hommes et des femmes d’argent. Ceux et celles qui nous regardent observent que nos yeux ne voient que des signes de piastre. Ils perçoivent que nous voyons tout qu’à travers la lunette de l’argent. Un hymne du carême chante : change ton regard et la vie renaîtra, change ton regard et la vie jaillira. Nos états d’âme reposent sur nos manières de voir la vie, la société, notre environnement.
La réaction de gens de la synagogue vient confirmer que nos regards sont la somme de nos pensées. Les auditeurs de la synagogue attendaient un libérateur de leur situation sociale. Les yeux fixés sur Jésus, ils n’ont vu que le fils de Marie. Ils manquaient de distance entre ce qu’ils voyaient et ce qu’ils attendaient. Faut-il nous en étonner : ils n’étaient pas des contemplatifs du mystère Jésus.
Permettez-moi de vous raconter une histoire indienne très ancienne où vivait un sculpteur renommé pour ses statues d’éléphant, grandeur nature avec leurs trompes dressées vers le haut et leurs grosses pattes qui écrasaient le sol. Un jour, un roi frappé d’étonnement devant la beauté de ces sculptures voulut en savoir le secret. Quel est votre secret demanda-t-il au sculpteur ? Réponse : Grand roi, j’extrais un gigantesque bloc de granit des berges. Je le place dans ma cour. Pendant des jours, je ne fais rien d’autre que d’observer ce bloc de pierre, de l’étudier sous tous les angles. Je ne laisse rien ni personne ne m’en distraire. Je ne vois d’abord qu’un bloc sans signification puis j’ai le pressentiment de voir se profiler dans la pierre une vague silhouette qui demande à vivre. Lentement, très lentement à regarder attentivement se dégage de la pierre une présence et j’y vois un éléphant qui veut vivre. À partir de là, avec mon ciseau et mon marteau j’enlève ce qui l’empêche de vivre.
Quelle belle image qui ramasse tout l’évangile que nous venons d’entendre! Les gens de la synagogue, chacun de nous ne voyons que l’homme Jésus. Le Nazaréen, le charpentier. Pour reprendre mon image indienne, nous avons à le regarder longuement, à ne nous laisser distraire par rien d’autre que cet homme, à entrer dans la Caverne, au plus profond de nos cœurs pour lentement y voir plus que ce que nous voyons, pour n’y voir que Dieu seul. C’est en donnant de la profondeur profonde à nos yeux que nous sculptons dans l’homme Jésus le fils de Dieu. En chacun de nous, une voix nous crie : convertie ton regard. Comme l’exprime un mystique d’une autre religion, ce Soi (voir la déité) ne peut s’atteindre par aucune exégèse ni par la vigueur intellectuelle ni par une grande érudition, celui qui peut l’atteindre est l’élu par le Soi qui lui dévoile sa nature.
Tous les textes de ce matin, nous disent que nous sommes envoyés (1re lecture) pour faire voir Dieu. Pour faire voir la beauté qui se cache dans tout être humain. Nous passons beaucoup de temps à déplorer que notre société est corrompue, que le consumérisme atteint des sommets inégalés, que l’individualisme nous empêche de répondre à la souffrance des autres, mais une réalité demeure : dans toutes les religions du monde, des mystiques témoignent le contraire. Dans toutes les religions du monde, ils se trouvent des hommes et des femmes, des mystiques capables d’un regard pénétrants, capables de voir vivre la vie qui se cache derrière les pires scènes de désolation, capables pour reprendre mon image du sculpteur, de sculpter la vie qui appelle à vivre derrière les horreurs de notre société. Voilà l’extraordinaire appel que nous lance l’évangile de ce matin.
Dans toutes les cultures du monde, dans toutes les sociétés qu’elles soient chrétienne, musulmane, hindouiste, bouddhiste, il y a des gens ordinaires qui ont relevé le défi de sculpter la vie, de lui donner forme. Ces hommes et ces femmes ont fait la découverte suprême : au profond de l’humain se cache la divinité. Au fond de l’homme Jésus, il y a le fils de Dieu.
Quelle est belle cette mission qui est la nôtre ! Quelle est lourde cette responsabilité de voir Dieu et de le faire voir. Il nous faut comme l’exprime le philosophe et poète William Blake, voir tout un monde dans un grain de sable, voir le paradis dans une fleur sauvage. Paul, dans la 2e lecture, avouait qu’il se sentait démuni devant une telle mission. Il n’avait que la force de sa faiblesse à offrir. Ce projet de se donner un regard « salut » « salutaire » contient tout un programme pour notre été.
Une eucharistie pour que ce réalise ces mots de Jean de la Croix : Regarde-le, celui en qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés. Regarde-le humanisé et tu y trouveras plus que tu ne penses. Amen