2022 - Lc 10, 25-29 – une femme d'une simplicité évangélique
Liturgie de la Parole:
MOT D'OUVERTURE:
La mort, c’est la vie qui se recueille, recueille-nous
Je commence par deux affirmations qui disent bien ce que fut Gisèle : celle d’un aviateur français Guynemer, héros de la première guerre mondiale : Quand on n’a pas tout donné, on n’a rien donné. Celle d’une mère de famille, Jeanne Schmitz-Rouly, qui écrivait dans son journal spirituel découvert après sa mort : c’est quand je n’existe plus que j’existe.
Nous saluons ensemble une vie qui n’existait pas pour elle-même. Une vie de foi qui se refusait de se contenter d'un Dieu pensé, car lorsque la pensée disparaît, Dieu disparaît aussi (Maître Eckhart). Son Dieu était concret, un Dieu relation aux autres, un Dieu samaritain.
Je vous propose mon regard sur Gisèle : une petite merveille. Merveille de simplicité, merveille de relations, merveille de petits gestes pour aider les démunis, merveille d’une vie de foi à toute épreuve. Si nous nous laissons modeler par les mains de Dieu, nous devenons une merveille, disait le pape François.
Gisèle avait deux passions, celle de l’eucharistie qu’elle vivait chaque matin. Même si elle dormait peu, elle se levait très tôt pour écouter et vivre la messe à 6hrs 30 à Sel et Lumière. Je lui avais suggéré de vivre cette rencontre via internet à l’heure qui lui convient. Pour elle, je le dis dans mes mots, c’était du « réchauffé ».
L’autre passion de Gisèle était de prendre soin de Jésus, pour citer ce jeune de 17 ans, Darwin Ramos, reconnu comme serviteur de Dieu, en prenant soin des autres, des moins nantis. J’avais faim et vous ne m’as pas donné à manger, j’avais soif et vous ne m’avez pas donné à boire, j’étais […] nu et vous ne m’avez pas habillé (Mt 25,42-43).
Ses premiers mots en la visitant à l’hôpital, suite à son opération, furent de me demander si j’allais mieux pour me dire ensuite qu’aujourd’hui je vais moins bien qu’hier. Quand en la quittant, je lui donnais la communion, son visage s’est apaisé. Elle est, subito presto, entrée dans un grand et profond silence. Je la sentais perdue en Dieu et sereine.
Je vous propose un temps pour faire mémoire d’une femme pour qui le poids de l’humain ne détruit pas le divin qui est en nous et pour qui la grandeur du divin n’annule pas la valeur de l’humain (Dante). Gisèle avait des yeux de Pâques, des yeux pénétrants sur le Dieu de sa foi, pénétrants sur les situations, des yeux d’action de grâce.
Je termine par cette réponse que donnait un enfant en catéchèse qui questionné sur ce qu’est la mort répondit : la mort, c’est la vie que l’on donne après avoir tout donné.
Du temps ensemble, pour ne pas perdre le fil de la merveille qu’elle fut.
REFLEXION-HOMÉLIE
Luc 10, 25-29 – une femme d’une simplicité évangélique
Archimède disait jadis : donne-moi un point d'appui et je pourrai déplacer la terre. Qui connaît bien Gisèle sait très bien que le point d’appui qui guidait sa vie, que sa devise non dite sur laquelle elle s’appuyait, que son centre divin, fut de vivre simplement pour que les autres puissent simplement vivre (Dom Helder Camara). Cela résume toute sa vie, toute sa vie de foi. Dans sa manière de vivre, il y a tout l’Évangile.
Un poète kazakh, Abai, se demande dans un de ses poèmes : quelle est la beauté de la vie, si l’on ne va pas en profondeur ? Il ajoute, comme s’il connaissait bien Gisèle, celui qui n’est pas sévère avec lui-même et qui n’est pas capable de compassion ne peut pas être considéré comme un croyant. Tout est dit sur Gisèle.
La beauté de la vie de Gisèle fut d’être une femme éveillée à l’esprit lucide. Une femme pour qui le mot aimer signifiait avoir un regard bon sur quelqu’un. Un proverbe populaire résume bien sa vie : si tu rencontres quelqu’un, essaye de le rendre heureux, c’est peut-être la dernière fois que tu le vois.
L’ego divin, caché dans sa personne qui nous oriente vers les autres, était très visible chez Gisèle. Que valent nos déclarations d’amour, de foi, si cet ego divin ne se réalise pas en nous ? Gisèle n’a pas seulement beaucoup prié. Elle a aussi mené une vie de service. Elle s’est tenue en habit de service non en assumant des responsabilités officielles, seulement par ses implications quotidiennes toutes simples. Un petit geste par-ci par-là, un coup de téléphone, bénévolat auprès de la Saint Vincent de Paul, au Centre Champlain, à l’hôpital. Que d’amis la visitaient tant sa bonté les transfigurait. Sa sérénité étonnait.
La beauté qui donnait de la profondeur à sa vie fut son double souci : aider Dieu à ne pas mourir (Etty Hillesum) en elle d’abord et en prenant soin de Jésus par sa grande compassion. Elle priait beaucoup, s’informait, lisait, se souciait beaucoup du tournant que prend la foi aujourd’hui. Elle questionnait et se questionnait. Rarement, elle exprimait des critiques. Elle observait seulement et essayait de comprendre. Elle gardait le cap de l’espérance.
Elle se souciait plus des autres que d’elle-même. Elle savait passer d’une Table, celle de l’eucharistie (cf. Mt 26), à l’autre, celle du service (cf. Jn 13, lavement des pieds), de la fraternité (cf. Jn 6, multiplication des pains), de l’amitié (cf. Lc 10, Marthe et Marie). Pour elle, l’évangile ne se comprenait qu’à partir de la beauté : la beauté de ses mains d’artiste, beauté de ses engagements, beauté d’une pratique de foi d’une grande intensité intérieure.
Sa préoccupation première n’était pas le « toujours plus », le « toujours avoir plus », le « toujours avoir plus de confort ». Ce refus enraciné en elle de ne pas avoir toujours plus, de ne pas rechercher les derniers gadgets, le poète Abai en parle comme d’être sévère envers soi-même. Elle fut messie pour bien des gens. Dieu et les autres passaient avant sa propre personne.
Elle ne s’est jamais détournée de son ADN d’une femme simple, non pas dans le sens de naïve, mais dans le sens de détachée d’une vie luxueuse. Du superflu. Le luxe n’était pas ce qu’elle recherchait. Un micro-onde aujourd’hui qui peut s’en passer ! Sa grande simplicité avait le visage du Dieu de sa foi.
Femme impliquée dans sa communauté paroissiale, impliquée dans sa ville. Elle n’avait pas peur, au nom de sa foi et de sa solidarité pour les autres, de faire connaître ses désaccords. De faire connaître aussi des pistes d’amélioration d’une situation. Que de lettres elle a envoyées au journal local, à sa députée, à Radio-Canada, pour verbaliser son point de vue ! Elle n’imposait pas son point de vue. Elle l’exprimait ouvertement et il n’était pas facile de lui faire changer d’idée. Quelqu’un qui lui rendait de petits services ces derniers temps, qui la visitait pour jaser avec elle, me disait qu’elle était un peu têtue.
Vous le savez moins, j’en suis témoin, Gisèle était une femme toujours soucieuse de comprendre mieux l’évangile qu'elle lisait quotidiennement. Nombreux furent les coups de téléphone qu’elle me faisait pour comprendre tel ou tel passage. Quand elle ne partageait pas mes réflexions qu’elle recevait chaque semaine, le téléphone sonnait pour verbaliser son désaccord. Elle s’empressait aussi de m’exprimer son accord.
Je vous offre une autre image. On lançait récemment le télescope James Webb, observatoire spatial le plus puissant à ce jour. Il va permettre une nouvelle compréhension de l’Univers, de ce qui ne se voit pas. Pour moi, Gisèle, à sa manière toute simple, fut un télescope qui nous faisait voir quelque chose qui ne se voit pas à vue d’œil. Elle voyait l’invisible du visage de Dieu qu’elle servait. Robert Lebel dit bien cela. Comme lui, savoir dresser la table, comme lui, nouer le tablier, se lever chaque jour et servir par amour, comme lui.
L’œil éveillé de Gisèle ne s’arrêtait pas et je paraphrase la Sagesse (Qo. 3, 3) sur ce temps pour détruire, elle regardait ce temps qui est le nôtre avec ces bouleversements, pour bâtir. Elle ne s’est pas laissé voler l’espérance.
Rendons grâce à Dieu pour cette vie MAGNIFICAT, cette vie qui s’exprimait dans le respect de la création, dans sa recherche d’une simplicité déroutante, dans son empressement à faire des coups de téléphone pour soutenir une organisation, une activité d’entraide.
Gisèle a pris le chemin le moins fréquenté et pourtant le plus recherché : la simplicité évangélique. Cette femme dont la vie fut d’une intensité d’émerveillement nous lègue sa foi en héritage et sa manière toute simple de vivre. Qu’elle soit maintenant accueillie à la table de l’eucharistie sans fin. AMEN.