2021-B-Mt 23, 27-32- mercredi de la 21e semaine ORDINAIRE- se laisser sourdre du dedans
Année B : mercredi de la 21e semaine ordinaire (litbo21me.21) 25 aout
Mt 23, 27-32 ; 1 Th 2, 9-13 : Dieu se laisse sourdre du dedans
Il y a environ 30 ans, J. Moltmann, l’un des plus importants théologiens réformés du siècle dernier, écrivait que nous avons besoin de personnes qui s’acheminent vers l’intérieur et [qui] descendent dans les profondeurs du soi pour combattre tous ces malheurs que Matthieu nous présente comme antithèse à ses béatitudes. Quel souffle de fraicheur que d’entendre que ce n’est pas sur les apparences que Jésus considère les gens (Cf. Mc 12, 15) ? La plus grande urgence est de découvrir notre espace intérieur et d’y pénétrer.
Nos regards peinent à dépasser l’hypocrisie du trompe œil, de l’attrape œil, des fausses façades. Jésus voit que perdre ce fantasme de la toute-puissance, perdre son moi, c’est gagner un autre moi, le Sien. La bonne nouvelle qui surgit de ces malheurs est un encouragement à mettre en échec son égo, à réduire à néant sa volonté de grandeur.
Quelqu’un a écrit –et cela me semble l’inouï à contempler ce matin, il n’y a que la faille qui m’aille (Daniel Sibony). Jésus accorde de la valeur à ce qui est sans valeur, à nos failles, à ceux qui ne portent pas de vêtements somptueux, ces « sales types » qui ne siègent pas en haut de la pyramide. L’inouï est que ceux qui valent ne valent rien et ceux qui ne valent rien valent beaucoup.
La vie chrétienne ne se définit pas par les vêtements que nous portons, par la bure que nous portons, par le nombre de messes entendues, de sacrifices, de dévotions, de pèlerinage ou que sais-je. Elle est réforme permanente de nos vies à l’écoute de l’Évangile. Si nous écoutons bien, si nous lisons bien, si nous comprenons bien, Jésus brise les carcans d’une religion du paraître. Il refuse une religion de bondieuserie qui multiplie les observances, favorise un excès de raffinement extérieur, mais qui ne laisse aucune place pour faire surgir l’inouï. Jésus pratique la religion à coups de marteau. Il privilégie l’essentiel au détail.
La plus belle émotion […] c’est le sentiment du mystère (Einstein), celle de la richesse de nos profondeurs. C’est la racine pour vivre sereinement. Une vie sereine repose sur nos capacités de voir des graines de béatitudes, des pépites de beauté sur les visages. Nous préférons plutôt l’auto-absorption, cette maladie qui consiste à ne voir que les malheurs, genre ce n’est qu’à moi que ça arrive, et qui entraîne un rétrécissement de nos regards. Il n’est pas spontané ce sentiment du mystère. En toute vie, se cache une beauté à admirer.
L’évangile appelle à un déplacement de nos regards. À passer d’une focalisation sur le visible, sur le trompe œil, pour entrer dans un mouvement de contemplation, dans une vision nouvelle, pour voir ce que Dieu voit. Ce regard-là n’est pas seulement mobilisateur, il est créateur. Il engendre un Nouveau Monde. Nos regards influencent nos vies. Ce que nous vivons et ce que nous faisons dépendent pour une bonne part de ce que nous voyons. Nos regards voient beaucoup de malheurs et peu de béatitudes sur les visages. Un hymne du carême le dit : change de ton regard et la vie jaillira. Changer de regard, c’est déjà changer notre environnement. C’est entrevoir un possible qui existe déjà.
Le regard de Jésus rejoint celui du sculpteur qui voit déjà dans une masse de pierres la figure qui s’y cache. Le sculpteur Alberto Giacometti écrit que la grande aventure [humaine …] est de voir surgir quelque chose d’inconnu, chaque jour, dans le même visage. Jésus s’émerveille chaque jour en voyant que des gens sans valeur ont aussi de la valeur. Il voit l’image de Dieu cachée en nous comme une source d’eau vive. Dès qu’on enlève la terre jetée dessus, dit Maître Eckhart, elle apparaît à nouveau jaillissante.
En mai dernier, sortait dans les cinémas un film du réalisateur québécois Simon Lavoie, nulle trace, qui montre qu’il y a une profondeur à laquelle on n’a pas accès, nous les gens d’aujourd’hui, celle de chercher à filmer l’invisible de la foi, ces choses que l’œil humain ne peut voir.
uittons cette mode attrape œil que tous les Facebook qui ne captent que l’instant présent, ne diffusent que le visible et vivons la plus belle des émotions, celle du mystère de vie qui se cache dans nos profondeurs. Dieu se laisse sourdre du dedans dans ce vaste puits des silences qui nous alimentent en eau pure (Jean Lavoué). Amen.
Autre réflexion sur le même passage :