2021-B- Mt 13, 1-9 - mercredi 16e semaine ORDINAIRE- court versus long terme
Année B : mercredi de la 16e semaine ordinaire (litbo16me.21)
Mt 13, 1-9 ; Ex 16, 1-5.9-15 : court terme versus long terme.
En écoutant cette parabole du semeur, le danger est de croire qu’il s’agit du déjà entendu. Entendre ce qui a déjà été entendu nous rend peu réceptifs à l’inouï de la bonne nouvelle qui s’y cache.
La bonne nouvelle est que cette parabole a une visée universelle. Elle n’est pas une parabole du passé ni dépassée. Jésus n'a pas laissé un code moral ou juridique. Il a laissé un cri d'alarme, une inquiétude fertile. […] Il ne s'est pas attardé à organiser, légiférer, définir. Il a ouvert une voie, il a allumé un feu, il a jeté le levain, le sel, la semence (Gérard Bessière). Jésus n'a pas laissé des écrits, seulement un projet d’ensemencement. Il décrit notre avenir à court terme et à long terme.
Le court terme consiste à se regarder dans le miroir, à mener une vie idyllique intimiste, à se laisser dorloter dans un pays des merveilles où coulent en abondance toutes les facilités d’une vie attirée par la surconsommation, le chacun pour soi, l’oubli des démunis. C’est « picosser » à droite, à gauche dans un tumulte étourdissant. La parabole parle de peu de racines. C’est s’étendre sur des plages, se tourner vers le soleil comme le tournesol. La parabole parle de se laisser brûler au soleil. C’est se laisser séduire par les nouveautés qui ne comblent jamais. La parabole parle d’épines qui étouffent la vie.
Bref, le court terme est une vie sans racine, vite asséchée par un soleil radieux, une vie en dehors de chez soi parce qu’on n’est pas bien chez soi.
Le long terme consiste à s’enraciner quelque part, à entrer dans sa terre profonde, son château intérieur (Thérèse d’Avila) pour laisser la semence Parole prendre racine en nous et surtout pour prendre racine dans la Parole-semence. Le semeur sait que la récolte passe par le temps de la germination, par un environnement dépollué d’un esprit « picosseux » que Thérèse d’Avila appelle les bestialités (2e demeure) qui attirent tellement. Il sait que toute semence exige le passage par différentes saisons et qu’il devra délicatement enlever les mauvaises herbes qui risquent d’en fragiliser le résultat.
Le semeur jette sa semence non dans une terre chrétienne qui n’existe pas, mais dans le sol du monde, dans une terre profane, étrangère à sa semence, à sa Parole. Il sait que sa Parole affrontera les intempéries des saisons, qu’il devra fréquemment en dépolluer le sol de toutes contaminations cultuelles, politiques, religieuses. Il sait en fin connaisseur de sa semence qu’elle porte en germe quelque chose de nouveau, un beau fruit comme une naissance d’humanité nouvelle qui advient quand elle pénètre dans les profondeurs profondes (Thérèse d’Avila) de la terre et qui a visage de l’homme nouveau.
La parabole nous questionne à savoir si nous préférons mieux le court terme en sachant que le long terme exige patience dans une société moderne pressée. Vivons-nous mieux dans le court terme à l’extérieur de chez soi plutôt que chez soi en sachant qu’entrer chez soi exige d’expulser les bestioles et les bestialités qui sont des obstacles à bien vivre chez soi ? C’est en vivant non dehors, dans le court terme, mais au-dedans, dans le long terme, que nous porterons un fruit juteux. Voilà l’inouï à entendre. À toujours réentendre.
Ce déplacement du court terme vers le long terme n’est pas réservé aux chrétiens. Tous les êtres humains sont à la recherche d’une demeure où ils puissent être bien à la condition d’en extirper les bestioles. L’inouï est qu’enfoui dans les profondeurs de chaque humain se trouve l’évangile, cette véritable semence qui humanise nos vies. Cette parabole appelle à un passage radical du court terme au long terme. Notre société ne nous dispose pas à un tel changement de paradigme. Nous aimons bien le court terme.
Le drame de notre société n’est pas d’oublier Jésus. C’est son errance dans le court terme qui empêche d’admirer, disons le mot, de contempler l’évangile qui germe en chacun de nous, baptisé ou pas. Le semeur dit haut et fort que la Parole n’est pas morte. Il suffit de demeurer chez soi, en chassant ce moi accaparant (les bestioles) de son chez-soi, pour Le rencontrer. La mort de Dieu est finalement, nous dit le semeur, la préférence d’une vie tout axée sur le court terme alors qu’il se tient dans nos profondeurs profondes.
À votre contemplation, observons que Jésus ne porte pas de jugement sur les différents sols. Au contraire du nôtre, son regard est compréhensif. Il sait qu’une vie axée sur le court terme est chambranlante, aléatoire. C’est une vie qui se cherche une direction comme celle du peuple dont parle la lecture de l’Exode et qui préfère l’esclavage de l’Égypte à l’aridité du désert qui leur ouvre pourtant le chemin vers une terre neuve, une terre promise, dit l’Écriture.
Le semeur sème un bon grain dans toutes les terres sans s’interroger si elle porte un bon fruit. Il sème sans garantie de succès. Voilà l’inouïe de l’Évangile. C’est dans des vases fragiles que nous portons ce trésor de réveiller la parole enfouie dans la profondeur humaine. AMEN.
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