2021-B-Lc 24, 35-48 - jeudi octave de PÂQUES- se raconter Pâques
Année B : jeudi de l’octave de Pâques (litbp00j.21)
Lc 24, 35-48 ; Ac 3, 11-26 : se raconter Pâques.
La pulsion de se raconter est immémoriale. Le besoin de raconter sa vie, de l’écrire traverse depuis des lunes les âges, les gens et les temps. Plus ce que l’on vit nous touche, plus le besoin d’en parler est incontrôlable. Ainsi en est-il quelques années après la mort de Jésus. On ressent le besoin de se raconter ce qui se dit sur Jésus, sur le besoin de se positionner face à son message. En se racontant ce que nous vivons, on touche comme Thomas notre réalité pour s’entendre dire : cesse de douter et crois.
Luc rapporte à partir de ce qu’il a entendu de Marc (vers l’an 70), de Matthieu (vers l’an 80), sa version à la fin des années 89-90. Cette scène des disciples, regroupés pour se raconter les événements tragiques de la disparition de Jésus, n’appartient pas au passé. Elle n’est pas un « fake news ». Nous la vivons tous quand survient un deuil dans nos vies, une situation comme la pandémie ou La Bataille d’Osorno qui décrit la Résistance exemplaire de catholiques chiliens face aux dérives du Vatican[1].
Se raconter est nécessaire. Se raconter ressuscite, énergise, permet de surmonter de profondes crises. Faire mémoire de la profonde crise que nous vivons présentement dans notre église pour éviter le déni de la réalité ne doit pas être étouffé. Le croyant a le droit de se sentir déchiré par un désenchantement intérieur devant tant d’actes horrifiants qui font mal à l’institution église.
Le désenchantement des apôtres est profond, réel. Leur appartenance à l’équipe initiale de Jésus est remise en question. Une tempête est survenue dans leur vie. Tout a basculé. Ce sont-ils faits savoir par un charismatique personnage dénommé Jésus et son message enjolivant ? Ont-ils été trop rapidement séduits par ce « beau parleur » ? Étaient-ils de cœur avec Jésus ou voyaient-ils leur appel comme une promotion ? Dans leur tête, tout est remis en question. Étaient-ils de vrais amis de Jésus ? C’est dans l’adversité que se révèlent les vrais amis, remarquait Cicéron dans une très lointaine époque.
Le désenchantement des apôtres est le nôtre. Des pans entiers de nos certitudes s’effondrent comme des morceaux de banquise que mine l’irréversible réchauffement des eaux. Nous (de ma génération de septuagénaires) avons misé beaucoup sur le concile. Que reste-t-il de son ouverture à la synodalité ? Les vieux démons du conservatisme refont surface ; le cléricalisme continue d’étouffer ; le ressassage ad nauseam qu’il faut aimer tout le monde ; des liturgies qui manquent de préparation et au contenu moralisateur ; une société qui a cessé d’être chrétienne sans nous demander si elle est plutôt au commencement de le devenir.
Comme les apôtres, nous vivons le passage d’une foi d’appartenance qui consiste à faire des choses pour Dieu que le début du carême a décrit en trois mots : aumône, jeûne, prière, vers une foi d’expérience où il s’agit d’être des évangiles vivants dans ou hors d’une institution qui n’attire plus. Dépouillés de toutes nos certitudes, il ne nous reste plus qu’à vivre l’évangile dans toute sa nudité.
Désenchantés sont ceux qui comme les apôtres ne savent plus à quel saint se vouer ou qui découvrent n’avoir aucun lieu sûr où reposer sa tête. Il nous faut hors-sol, sans sol sous nos pas, demeurer solide. Et si c’était ça le propre de Pâques, de tout apôtre, de tout chrétien ? Accepter sa pauvreté fondamentale, demeurer solide avec nos fragilités. Dieu s’est fait fragile pour épouser nos fragilités […]. Il n’y a rien qu’il dédaigne, disait le pape le 3 janvier dernier[2].
Mais ce qui ressort de l’évangile entendu, c’est que quelqu’un n’est pas désenchanté de notre comportement. Ce quelqu’un n’est pas un dogme à croire, c’est le ressuscité qui nous mène lentement à la perfection (cf. He 12, 2). C’est le Vivant qui peut survivre à tous nos désenchantements. Le ressuscité se rencontre au milieu et au cœur de nos nuits de foi. C’est quand tout va mal que ça commence à aller bien. C’est le chemin pour ressusciter à notre tour. Jésus a dit une parole qu’il ne renie pas : je vous appelle amis et non-serviteurs (Jn 15,15) quoiqu’il advienne.
Que le ressuscité qui se présente porte clause nous envoie un rayon de sa lumière qui transformera nos désenchantements en chemin d’expérience de Dieu. AMEN.
Autres réflexions sur le même passage :