2019-C-Lc 10, 17-24- samedi 26e semaine ordinaire- vivre Dieu
Année C : samedi de la 26e semaine ordinaire (litco26s.19)
Lc 10, 17-24 : non pas dire Dieu mais donner Dieu
Il y a quelques semaines, Luc nous présentait la scène du gamin jouant de la flûte sur la place publique. Manière d’annoncer l’évangile de la joie. Ce matin, il récidive en présentant Jésus qui envoie, et Luc est le seul à mentionner cela, soixante-douze disciples, c’est-à-dire tout le monde, hors des chemins battus. Il envoie tout le monde, pas des spécialistes, pour faire connaître Jésus non par des paroles et des discours, mais par leur vie qui devient parole vraie. C’est la vie qui parle. Il envoie chacun avec un talent personnalisé, non pour se lamenter et continuer à dire que tout va mal, non pour faire de la propagande [François], mais pour faire entendre sur la route un magnificat de louange.
Autant pour hier que pour aujourd’hui, ce n’est pas une mission pas facile de réveiller Dieu qui dort dans les cœurs. C’est autre chose que de faire du maraudage, que de faire du porte-à-porte pour son profit pour citer François d’Assise. Cette consigne de le faire sans munition, sans arme et sans méfiance rend la chose plus difficile. Ce n’est pas facile d’être bon et fidèle serviteur. Il est plus facile d’être mauvais et paresseux serviteur (Lc 21, 23,26). C’est difficile de cesser de dire que tout va mal. L’esprit de la mission est de garder le cap de la joie, de l’émerveillement. Père, je te rends grâce.
Il ne s’agit plus de discourir sur Dieu, de théoriser sur Dieu. Seulement nommer simplement sans nous embarrasser d’un langage hermétique le Dieu en qui nous croyons. C’est la vie qui parle. Jaser simplement avec tout le monde sans prosélytisme, accompagner les chercheurs de Dieu, écouter leur questionnement, leur blessure, parler de Dieu sans filtre avec des mots loin du catéchisme que personne ne comprend, comme la journaliste Amélie Nothomble le fait à des heures de grande écoute, faisant suite à la parution de son roman Soif (Albin Michel); ce sont de telles attitudes qui nous font missionnaires.
Dans un livre récent au titre provocateur, Plaidoyer pour un nouvel engagement chrétien[1], les jeunes auteurs expliquent le non-engagement des jeunes dans l’Église par son incapacité à regarder la modernité avec le regard de l’Église dans le monde de ce temps. Pour les jeunes auteurs, c’est la difficulté de vivre sa foi hors les murs qui explique la désaffection des jeunes. Ils plaident pour une culture de la rencontre et du dialogue hors les murs. Ils refusent, c’est décapant d’entendre cela, de tout envisager à partir du pouvoir sacerdotal. Ils préfèrent le pouvoir baptismal.
Joseph Moingt affirme que la mission n’est pas d’attirer le monde, elle est d’aller au monde[2]. Non pas d’amener le monde à entrer dans notre joie, mais de partager la joie du monde, la joie vraie, non la joie mondaine, les plaisirs de toutes sortes. Jésus a partagé cette joie avec les époux à Cana. Il fut pour eux un vrai sauveur.
Si les changements climatiques sont irréversibles et tout le monde (ou presque) s’entend là-dessus, ce mois missionnaire veut nous dire qu’il est impossible de retenir notre joie de croire pour les seules personnes de l’intérieur. Évitons la tentation récurrente du communautarisme ou introversion ecclésiale, toute forme de pessimisme pastoral, toute nostalgie stérile du passé pour s’ouvrir à la joyeuse nouveauté de l’évangile[3]. Le protectionnisme ne sera jamais évangélique. Jésus envoie deux par deux pour réveiller le monde en semant partout la joie.
Le mois missionnaire soulève une bonne question : désirons-nous (rappelant la formule-choc du sociologue Marcel Gauchet) que le christianisme soit la religion de la sortie de la religion[4]. Il signifie par là que la religion chrétienne doit accepter de n’être plus, et c’est en soi une bonne nouvelle, le modèle structurant de la société occidentale comme elle l’était dans le passé.
Ici, ce mois missionnaire réactive pour fin d’échange peut-être entre vous, un document majeur, celui de réveiller avec passion. La lettre s’ouvrait, en exergue, par ces mots du pape François : à tous les consacrés toujours en route avec cette vertu qui est celle du pèlerin : la joie. Vous vous souvenez ? Une autre lettre disait : je voulais vous dire un mot, et ce mot, c’est la joie. Partout où il y a les consacrés, il y a toujours de la joie !
À vous qui n’allez pas sur les routes, Luc trace deux chemins : priez le maître de la moisson et dites aux gens : le Règne de Dieu est arrivé chez vous ! Amen.
[1]Choquet, Pierre-Louis, Élie, Jean-Victor et Guillard, Anne, Plaidoyer pour un nouvel engagement chrétien, Éd. de l’Atelier, 2017, 144p. https://fr.aleteia.org/2017/11/12/plaidoyer-pour-un-nouvel-engagement-chretien/
[2] Moingt, Joseph, L'esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, p. 281.
[4] Op. cit. p. 53