2019-C-Jean 13, 1-15- jeudi saint
Année C : Jeudi saint, Jean 13, 1-15 (2019)
Quelle table que celle où Jésus nous invite
Ce n'était rien qu'un peu de pain, mais il m'avait chauffé le corps et dans mon âme il brûle encore, à la manière d'un grand festin. Et l’auteur George Brassens ajoute : toi l’hôtesse qui sans façon m’a donné quatre bouts de pain quand dans ma vie il faisait faim.
Ces mots chantent la beauté de Pâques. Dans la vie courante, au terme d’une lourde épreuve, il y a habituellement un rassemblement autour d’une table. C’est le signe de la fin d’un temps d’épreuve. Autour d’une table, rien n’est plus comme avant. Nous perdons l’envie de nous maintenir uniquement dans ce qui est amer. Nous voyons, vivons et pensons la vie autrement. Au retour de mission, les disciples sont invités à se retrouver autour d’une table non pour se désoler des résultats, mais pour festoyer d’être avec Jésus. Le rêve de Jésus fut de nous rassembler autour d’une table.
Jésus aime tellement s’asseoir autour d’une table qu’on l’accuse d’être glouton (cf. Mt 11, 19), lui qui ne dédaignait pas les invitations. Il se rend sans ambages chez les pharisiens. Il s’invite même chez les publicains. Il mange, il boit, il passe du temps à table. Et pour nous indiquer l’importance de nous asseoir autour d’une table, le dernier geste de Jésus, son testament, est de nous voir venir à sa table pour goûter son pain. Je suis le pain de vie.
Dès que Jésus s’assoit autour d’une table ou invite à sa table, écrit Paul Claudel, toute la douleur qu’il y a dans le monde n’est plus une douleur d’agonie, mais [elle est] une douleur d’accouchement. La table est signe de l’arrivée de sa bonne nouvelle, parce que, et je cite Edith Stein, ton corps vient pénétrer le mien, ton âme vient s’unir à la mienne. Je ne suis plus alors ce que j’étais avant.
Dans une société traversée par une table qui se referme sur elle-même, une table faite d’exclusion, la table chrétienne ouvre un processus de guérison des distances, relève les blessés de la vie, dégage un baume de solidarité capable d’engendrer une véritable fête, celle qui ressuscite, qui fait Pâques. Jésus a choisi la table de la Croix pascale pour guérir l’humanité.
Si vous êtes lecteur Astérix le Gaulois, vous observerez que dans chaque aventure, après avoir traversé mille péripéties, affronté mille dangers, le bonheur enfin retrouvé se traduit par un grand banquet sous les lampions.
Eucharistie et Pâques unifient la même victoire au bout d’un chemin d’épreuve. On viendra de l’Orient et de l’Occident, du Nord et du Sud, prendre place au festin de Pâques (Lc 13, 29). Cette table n’est pas le souvenir d’un événement. C’est le souvenir de quelqu’un qui montre tout l’amour qu’il nous porte. De quelqu’un qui se réjouit d’être notre compagnon de route, qui s’empresse de nous sortir des bas-fonds où nous gisons et de nous élever au-dessus de toutes les puissances et de tous les êtres qui nous dominent, quel que soit leur nom (Ep 1, 21); de nous élever en nous rendant presque divins. Nous devenons ce que nous mangeons (Augustin). Je ne suis plus alors ce que j’étais avant.
Un indice parmi d’autres que nous vivons l’eucharistie et Pâques comme Jésus, se trouve dans la manière de se regarder autour de cette table, de considérer les autres, de les accueillir. Portons-nous sur les participants un regard de «graciés» de l’amour miséricordieux de Dieu, un regard heureux de les voir manger avec lui ? Sont-ils vraiment bienvenus, ceux qui n’y viennent pas souvent ? À l’heure où tant de problèmes sociaux nous entourent, vivons-nous nos rassemblements comme un don de soi à la manière de Jésus ?
Cette table nous fait sortir de l’étroitesse de sa propre vie pour naître à l’immensité de celle de Pâques (Edith Stein). Ce soir, soyons heureux d’être appelés à prendre place à la table [où] l’arbre sauveur a fructifié (hymne de la Toussaint). Ne cherchons pas des excuses pour ne pas nous y présenter (cf. Lc 14, 15-24). Reconnaissons la grandeur de ces miettes de pain (Mt 15, 27). Cette table est, jusqu’à la fin des temps, un retable ouvert, un miracle de beauté, de réconciliation, de paix. Elle est signe d’un monde sauvé. D’une terre neuve.
Ce soir Jésus a posé un autre geste- testament, celui de laver les pieds. Je refais ce geste en vous lavant les mains.
Demandons à Jésus la joie d’être pour les autres, de nous aider à bien vivre, d’être au service des plus souffrants parmi nous. AMEN.