2018-B-Mt 10, 34-42; 11,1- lundi 15e semaine ordinaire - je vous fais moi
Année B : lundi de la 15e semaine ordinaire (litbo15l.18)
Mt 10, 34-42; 11,1 : Je vous fais moi
Vraiment, qu'a donc ce Jésus de si différent des autres pour enlever notre moi et l’intégrer dans un moi plus grand (Benoit XVI) ? Pour ne plus coller à soi-même (André Louf), se décoller de soi-même ? Songeons à cette question du Cantique des cantiques : qu'a donc ton bien-aimé de plus que les autres? (Ct 5, 9). Ce qu’il a de meilleur à nous offrir ce messie est de passer d’une vie égocentrique à une vie théocentrique. Le grand priant saint Benoît a perçu cela quand dans sa règle il invite à ne rien préférer d’autre que le Christ.
C’est pure illusion de soupçonner un instant que suivre Jésus, c’est se perdre. Cette page appelle à entendre une invitation inouïe : toi, sois moi. Traduit dans des mots d’ici, je veux être bien compris, cela signifie, toi, sois un petit Christ. Nous insistons sur le «tout quitter», mais très peu sur une vie d’émerveillement d’avoir été élu, prédestiné à être lui. Saint Paul ouvre son épitre aux Éphésiens en affirmant que Dieu nous a élus […] par son sang (cf. Ep 1, 7) par excès de magnanimité pour nous délivrer de nous-mêmes afin que nous puissions mener une vie de louange et gloire. Nous avons reçu notre part pour être louange et gloire (Ep 1, 12).
Comment ? En permettant que Dieu soit glorifié. Nous suivons Jésus pour que Dieu soit glorifié, magnifié. Glorifier quelqu’un exige une diminution de notre visibilité pour accroître la sienne. Jésus ne fait que nous proposer le chemin qui fut le sien. Il a consenti à n’être rien. Il a existé en étant enfoui dans le Père. Il ne fut qu’à la disposition du Père. Il a mené une vie de glorification de son Père. Jésus fut un parfait «suiveux» de son Père. Il n’a jamais collé à lui-même, n’a pas tenu compte de sa personne. Il a mené une vie sans vaine complaisance, sans vaine gloire, disent les Pères du désert, sans amour de soi (préfère saint Augustin) ou encore sans amour propre, pour utiliser le langage d’aujourd’hui.
Bref, Jésus n’avait aucun moi parce qu'il était dans le Père. Il a mené une vie dévissée, amputée de lui-même, une vie les yeux tournés vers le Père comme le tournesol vers le soleil. Être tourné vers le Père, c’est vivre tourné vers les autres. C’est ne plus nous appartenir. Pour citer l’abbé Pierre, fondateur des chiffonniers d’Emmaüs, Jésus n’a pas vécu une vie d’enfer parce que l’enfer, c’est une vie coupée des autres.
Un chartreux disait que s’attacher à son propre moi-même, c’est porter un collier plus lourd, plus étouffant que de faire la volonté d’un autre. Que de personnes, disait le message du carême dernier, vivent en pensant se suffire à elles-mêmes et tombent en proie à la solitude. Suivre Jésus nous fait sortir de notre petit monde, tout recroquevillé sur soi. Toujours s’admirer, toujours se contempler, ne voir que soi, cela s’appelle tourner en rond, faire du surplace; c'est crucifiant et cauchemardesque. C’est le commencement d’une pauvreté relationnelle qui rend une vie futile. Jésus nous invite à nous dépasser. Nous appartenons à Dieu (Rm 14, 7).
Quand il parle que nous sommes participants de la nature divine, Pierre définit ce «plus grand que soi» (2 Pi 1, 4). C’est notre seule béatitude. Suivre Jésus, c’est parachever le divin en nous. Une préface de Noël (no3) l’exprime clairement : lorsque Jésus prend la condition de l’homme, la nature en reçoit une incomparable noblesse. Il devient l’un de nous pour que nous devenions éternels. Quand nous entrons dans ces mots s’estompe alors la rudesse du chemin que l’évangile identifie par des mots repoussants : tout quitter.
À votre contemplation : Je vous offre ces mots de Jésus à Catherine de Sienne : je ne veux pas violer les droits de votre liberté, mais dès que vous le désirez, moi-même, je vous transforme en moi et je vous fais Moi. En nous sortant de nous-mêmes, en ne nous préoccupant plus de nous-mêmes, mais des autres (Phi 2, 1), nous goûterons la joie (et quelle joie imprenable !) d’entendre Jésus nous dire : je vous fais Moi. Jésus nous offre de nous enrichir en nous dépossédant. Il n’y a rien de plus paradoxal que cela, de plus valorisant que cela. AMEN.