21018-B-Mc 10, 13-16-samedi 7e semaine ordinaire- une déchirure attendue
Année B : samedi de la 7e semaine ordinaire (litbo07s.15)
Mc 10, 13-16 : une déchirure attendue
Quelle est grande et spontanée la sympathie de Jésus envers les plus faibles. En entendant Jésus leur dire de ne pas éloigner les enfants de lui, les apôtres, ce jour-là, ont du être secoués parce que cette attitude se situe à des années-lumière de leur manière de vivre. Elle va à contre-courant de tout ce qui est acceptable, tolérable.
Eux qui veulent «réserver» Jésus pour de grands projets, ils sont déroutés en observant la délicatesse de Jésus pour les marginalisés. Cette demande, laissez venir à moi, confirme que le plus grand projet messianique de Jésus est de rejoindre les délaissés. À eux appartient mon royaume. Jésus dessine lentement aux yeux de ses disciples, le visage de son royaume. Il le voit comme une nouvelle maison sans clivage entre juifs et païens, entre purs et impurs, incluant tous les crucifiés de l’histoire, sans égard à la faute. Si Jésus n’a jamais défini la nature de ce royaume, il nous le montre dans ses gestes-accomplissements de la volonté du Père : que tous sont des invités à sa table.
Le mot qui définit le mieux cette demande de Jésus, laissez venir à moi, est celui de déchirure (Gui Lauraire[1]). Par son invitation à laisser venir près de lui les enfants, mine de rien, Jésus déchire le système de son temps qui sépare les purs des impurs, les pratiquants des non-pratiquants. Il refuse de coudre du neuf sur du vieux (cf. Mc 2, 21). Il déchire le voile du Temple et il donne le libre accès à son Père (cf. Mc 15, 38). Pour Jésus, personne n’est exclu, intouchable. Il réfute toute sorte de ségrégation entre riches et pauvres. Il détruit un monde déchu et fait une création nouvelle (Préface pascale, no 4). Son invitation ouvre sur une pratique alternative pour un vivre ensemble sans mur ni barrière.
Le grand exégète allemand, Ernst Käsemann, reconnait qu’en se faisant proche des faibles, des humiliés, de ceux qui sont perdus, insensés [Jésus] s’est attitré la haine des forts et de gens pieux et a fini sur la croix. L’appel à laisser venir à lui les enfants est le commencement de sa marche vers sa condamnation à mort.
Chiara Lubich a bien compris cela quand elle dit que son royaume consiste à se faire un avec tout le monde. Se faire un, c’est le visage du royaume désiré par Jésus. Visage de libération tellement dérangeant qu’il fallait que Jésus meurt pour sauver une manière de vivre où la pratique de la loi n’acceptait aucun compromis. Ce mot constitue le sommet de toute sympathie, de tout regard plein d’amour sur l’autre.
Se faire un, c’est faire place à l’autre qui trouve ainsi un espace dans notre cœur. Se faire un exige un vide complet de nous-mêmes en ôtant toutes nos idées préconçues sur l’autre jusqu’à taire nos aspirations personnelles. La pratique de se faire un avec les autres n’est pas simple. Devenir comme des enfants n’est pas simple. Devenir comme Jésus est un défi impraticable. Allons plus loin. Ne croyons pas que nous pourrons donner Jésus, évangéliser les cœurs si nous ne pouvons pas le découvrir, le toucher dans tous les rejetés autour de nous. Et peut-être y a-t-il une consœur que nous rejetons plus que les autres ?
Se faire un avec cette demande de Jésus, Philippe de Néri, le saint joyeux dont la liturgie souligne l’anniversaire aujourd’hui, l’a placée au centre de sa vie. Qui veut autre chose que le Christ, dit-il sur son lit de mort, qui veut autre chose que de se faire un avec ce projet d’une solidarité sans égards à la faute, ne sait pas ce qu’il veut ; qui demande autre chose que le Christ ne sait pas ce qu’il demande. Celui qui demande autre chose que de laisser venir à lui les rejetés, de les nourrir, de les toucher avec tendresse, ne sait pas qu’il retarde l’arrivée de cette nouvelle maison commune désirée par Jésus qu’il appelle son royaume.
À votre contemplation : entrons dans la profondeur de l’intimité de Jésus avec les autres. Goûtons cet appel à se faire un avec les moins que rien. Poursuivons cette grande déchirure qui annonce l’arrivée d’une terre neuve, sans division, sans mur protectionniste. Ce n’est pas facile. Ne résistons pas à la nouveauté qu’apporte Jésus. AMEN.
[1] Lauraire, Gui, On n’enterre pas la lumière, éd. Temps Présent, 2015, p.127s