2018-B-Mc 2, 13-17 -samedi 1ière semaine ordinaire - Lévi ou l'appel d'aller vers le vide
Année B : samedi de la 1re semaine ordinaire (litbo01s.18)
Mc 2, 13-17 : Lévi ou l’appel d’aller vers le vide
Lévi était expert en détournement de fonds public; c’était son seul diplôme universitaire, son seul doctorat. Sa réponse rapide à l’invitation de Jésus semble indiquer qu’il éprouvait, malgré sa renommée, un grand vide intérieur. Un vide existentiel. Ce sentiment de vide fut le point de départ d’une «carrière» d’imitation de Jésus qu’il n’avait pas prévue. Dieu ne se glisse pas dans une âme encombrée et déchirée par une multitude de possessions (Clément d’Alexandrie).
Un regard l’a mis «hors de lui-même», l’a vidé de lui-même (cf. Ph 2, 7). Un regard redoutable de compassion pénétrant sa réalité d’homme malheureux, a débloqué son emmurement, l’a sorti de son tombeau. Un regard qui avait des allures d’un cri : sors dehors (cf. Jn 11, 43).
Un appel (suis-moi) fut reçu comme «imite-moi». Jésus, qui avait une forme divine, a accepté une «carrière » en forme humaine. Lévi, qui avait une forme inhumaine, celle de mafieux, a entendu un appel à accepter une «carrière» en forme humaine. Sois humain, vide-toi de toi, va vers le rien. Au lieu de subir ce qu’il faisait, Lévi traduit le suis-moi comme un chemin séduisant à se vider de lui-même. Au lieu de vouer un culte à sa petite personne, il opta pour une belle proximité avec les autres.
Tellement «atteint» contre toute attente, par cette voix dont il ne soupçonnait même pas l’existence, qu’il se fait solidaire de l’anéantissement de Jésus. Il n’y a qu’un chemin pour que l’homme atteigne toute sa stature, toute sa grandeur, c’est qu’il se vide de lui-même. En Jésus cette évacuation du moi humain est totale[1]. Il devient l’un des apôtres les plus connus.
Que s’est-il passé en Lévi pour qu’il change rapidement de direction ? Je risque une réponse : il a été foudroyé par un appel à ne devenir rien. Paradoxe: lui qui vivait d’un sentiment de vide en ayant tout, entend un appel à tout posséder en n’ayant rien.
Le passage de Jésus sur sa route lui a fait perdre tous les repères qui le sécurisaient. Il a cessé de déifier l’argent, de se défier, il s’est vidé de ce qui n’était pas humain. Il est devenu un vrai humain, capable d’accueillir les autres à sa table, de leur venir en aide. Il est passé de la misère à la miséricorde, pour reprendre la devise du pape François.
Jésus n’a pas froid aux yeux, ne manque pas d’audace en envisageant amoureusement cet homme détesté de tous, qui était tout œil pour l’argent. Qui avait un œil malsain sur l’argent. Avant de le voir bon ou mauvais, Jésus perçoit, cachée en lui, une beauté humaine qui fait sens. Toute vie, écrit Lytta Basset[2], porte en elle un poids de sens. Jésus devine que dort en Lévi le désir d’une autre manière de vivre. Cette attitude de Jésus est la nôtre. Notre mission. C’est le tournant missionnaire à prendre.
Questions : avons-nous l'audace de poser sur les Lévi de notre monde ce même regard interpellant de Jésus jusqu’à l’accompagner dans ce passage d’une vie d’«égolatrie» à une vie de ressuscité d’entre les morts? Pressentons-nous comme Jésus, l’urgence de reconstruire l’humain en l’ouvrant à son humanité ? Avons-nous l’audace de prononcer, quand nous sommes en mode accompagnement, ces paroles incendiaires et profondément évangéliques : sors dehors ?
Stefan Thériault, venu animer le rendez-vous annuel des prêtres, écrit en ouverture de son livre Revivre comme Lazare[3], cela donne une clé de compréhension de l’aventure de Lévi, qu’il faut sans cesse nous poser la question du mal qui nous afflige, ce mal qui conduit à la mort ou ce mal qui nous fait entrer dans la mort […] pour sortir «vivants» de l’épreuve.
Oui, un simple regard, un simple appel, une vraie attitude d’accompagnement peut changer le désert en étang et les terres arides en cours d’eau (Is 41, 17). AMEN.
[1] Zundel, Maurice, Ton visage, ma lumière, Desclée, 1989, p. 216
[2] Basset, Lytta, Guérir du malheur, Spiritualité vivantes, Albin Michel, 1999 p. 121
[3] Thériault, Stéfan, Revivre comme Lazare, Éd. Salvator, Paris, 2016, p.17