2017-B-Mt 5, 17, 10-13 samedi 2ième semaine AVENT-regarder jusqu'à entendre
Année B : samedi de la 2e semaine AVENT (litba02s.14)
Matthieu 17, 10-13 : regarder jusqu’à entendre
Que ton visage s’éclaire. On dirait bien que ce temps liturgique ouvre sur la religion du regard, pour citer le philosophe Martin Heidegger. Nous ne voyons pas, écrit-il, parce que nous avons des yeux, mais nous avons des yeux parce que nous sommes voyants par le fond de notre être. Nous sommes faits pour voir au sens de comprendre. Nos yeux nous aident à comprendre et non seulement à voir. Nos yeux servent à percer l’invisible de ce que nous voyons. Nous voyons selon la profondeur de nos regards, de notre intériorité aussi.
Notre regard, tout regard est infiltré de nous-mêmes. Les écrits journalistiques le confirment. On ne rapporte pas toute la réalité. Les écrits révèlent souvent plus le journaliste que l’événement. Mon regard, ce matin, infiltré de moi-même, se veut en autant que possible celui d’Élie, prophète redoutable au regard de feu, celui de Jean Baptiste au regard perçant la nouveauté. Je souhaite qu’il perce le temps, défonce l’opacité des événements, jusqu’à s’habiller du premier regard où tout cela était bon. C’est notre disponibilité à bien voir qui donne des yeux et non le contraire.
Bien voir. L’horizon que nous propose ce temps de l’avent est de transformer notre regard, de lui donner une élévation. Ce n’est pas l’événement annoncé de ce temps de l’avent qui questionne, c’est notre regard qui est loin d’être un regard de feu. Par leur interrogation, les disciples descendant de la montagne n’étaient pas voyants par le fond de leur être. Leur regard n’était pas un regard à découvert, un regard en mode sortie. Même en présence de Jésus, ils vivaient en mode «égolâtrique», idolâtrique. Ils avaient encore à regarder jusqu’à entendre.
Nous aussi, comme les disciples, et cela les textes bibliques nous le rappellent sans cesse, avons des yeux qui ne voient pas et des oreilles qui n’entendent pas (cf. Mc 8, 18; Mt 13, 13). Pourquoi ? Et résonne en moi cette réponse qu’en donne le philosophe chrétien Fabrice Hadjadj : aujourd’hui, on a tendance à mettre l’homme au centre, alors que le propre de l’homme, c’est de pouvoir se décentrer […] Notre supériorité est de pouvoir nous abaisser, de reconnaître notre lien avec tout ce qui respire[1]. Nos yeux ne voient que grandeur. Opulence. Le règne de Dieu n’est pas observable (Lc 17, 20). Il n’aime pas la publicité. C’est une graine enfouie dans nos cœurs. Nous avons peine à voir cela, à voir ce qui est invisible aux yeux, disait le petit prince. Ils n’ont pas été capables de connaître celui qui est, en examinant son œuvre (Sg 13, 2). C’est le chemin pour voir jusqu’à entendre.
Bien voir Noël, c’est voir avec clarté un homme qui vient de Dieu et qui est dans sa personne, cet hôpital de campagne dont parle le pape François et qui fleurit au milieu d’un monde blessé par tant d’inhumanisme. Comme il est redoutable de rencontrer un chrétien qui sait bien voir que cette fête qui vient peut libérer l’être humain de son enfermement dans une technocratie sans âme. Comme il est redoutable le chrétien qui élève son regard à la hauteur de la Parole qu’il contemple et qui en porte les marques dans son quotidien.
Bien voir, mais aussi bien toucher le Verbe fait chair. Aujourd’hui, le voir atteint des sommets exacerbés, mais toucher, c’est prendre la main, établir des ponts. Jésus vient nous prendre la main pour établir un pont entre nous et son Père. Il nous invite à faire de même entre nous.
Dans son dernier livre, la foi qui reste, le journaliste Jean Claude Guillebaud[2] appelle à éviter d’être des chrétiens culturels, n’ayant hérité […] qu’une gentillesse sans lien direct avec l’évangile. Nous sommes, dit-il, des voyageurs et voyager, c’est avancer parce que ce qui reste de Noël, c’est ce qui vient (Maurice Bellet). AMEN.
[1] Hadjadj, Fabrice, Dernières nouvelles de l'homme (et de la femme aussi) : chroniques d'une disparition annoncée, Éd. Tallendier, oct. 2017, cité dans Aleteia, spiritualité, 3 novembre 2017.
[2] Guillebaud, Jean Claude, La foi qui reste, Éd. Iconoclaste, Paris, 2017.