2016-C- Jn 6, 60-69 - jubilé d'or - choisi pour servir en sa présence
Année C: samedi de la 3e semaine de Pâques (litcp03s.16)
Jn 6, 60-69 : choisi pour servir en sa présence depuis 50 ans
Je suis prêt à signer ces mots de saint Augustin : que se taise la louange de celui qui n'a pas d'abord contem-plé les manifestations de la miséricorde de Dieu. À la messe chrismale, jeudi saint dernier, le pape François disait que Dieu exagère en miséricorde quand il nous choisit pour servir en sa présence (prière eucharistique, #2).
Ce matin, je fais mémoire de l'exagération de Dieu d'avoir posé sur moi son regard. Je fais mémoire d'un appel à être pain de vie, pain de miséricorde qui m'ébranle chaque fois que je prononce : ceci est mon corps, ceci est mon sang. Quelqu'un m'a regardé. Quelqu'un m'a appelé. Quelqu'un n'a pas regretté son choix sur moi (cf.2 Tm 2, 13). Je rends grâce au Seigneur pour le bien qu'il m'a fait (Ps 115). Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu'il m'a fait? La réponse se trouve dans le psaume : en invoquant son nom. Un autre ajoute : À jamais je le chanterai (Ps 89, 2).
Je pourrais signer ma vie de toutes ces maladies dont parlait le pape François à la Curie et qui me font perdre toutes mes illusions qui me terrassent tant je n'ai appris qu'à compter sur moi. Tant je n'ai subtilement cherché qu'à me servir plutôt que de Le servir.
Je comprends que la véritable joie de Dieu, c'est de tirer à son avantage ce qui à première vue Le désavantage. Dieu a pris les devants. Dieu a commencé. Il a espéré en moi (Péguy) plus que moi en moi. Il m'interpelle pour trouver agréable ce qui à mes yeux ne l'est pas. La joie de Dieu est de me voir accepter que ma faiblesse soit ma seule force et que je reconnaisse son nom qui est miséricorde.
Mon regard ce matin est celui de la louange. Mais comment magnifier quelqu'un dont la grandeur est infinie ? Comment ajouter à la grandeur de Dieu. C'est impossible. Alors ma louange est de reconnaître que Dieu m'a louangé par son baptême, m'a donné de la dignité en m'offrant son baptême, en s'invitant à vivre en moi pour que je puisse entrer en Lui, dans son propre mystère de vie.
Louange à Dieu parce qu’il m’a appelé à participer à son Sacerdoce. Je n'ai cessé d'admirer son appel qui me donne une incomparable noblesse (Préface de Noël, # 3). Dieu m’a aimé et m’aime encore. Dieu n’aime pas en général. La mondialisation, la globalisation n’existe pas en Dieu. Aimer tout le monde, c’est n’aimer personne.
Ma louange, ce matin, c'est que Dieu m'a choisi moi, avec mon individualité, mes particularités, ma manière d'agir et d'être. J'ai peine à croire en un Dieu qui agirait autrement parce qu'alors Dieu ne serait pas Dieu. Il s'est investi tout entier dans ce qui fait que je suis moi et pas un autre. Dieu ne choisit pas ceux qui sont capables; il rend capables ceux qu’il choisit (Gérard Marier).
Louange à Dieu parce qu’il a porté avec moi ces échardes qui me paralysent pour que je m'en réjouisse. Celui qui porte 100 kg a davantage besoin d'aide que celui qui n'en porte que 10 kg. Pour celui dont le nom est Miséricorde, ça n'a pas dû être trop difficile. Il manque quelque chose à na vie, à ma vie sacerdotale quand je ne perçois plus ce regard miséricordieux de Jésus qui est la seule réponse pour vivre d'une dignité qui sait avoir honte, comme l'exprimait le pape aux prêtres dans son homélie de la messe chrismale.
Je comprends aujourd'hui, sur le tard, qu'il ne m'a pas été demandé de faire des choses, c'était la manière dont j'entrevoyais le sacerdoce, ni même d'être un copié-collé (le mot n'existait pas il y a 50 ans) de Jésus. Il a profilé pour moi un ministère d'effacement. À l'exception de cette chapelle monastique, on ne m'a pas vu souvent dans les églises.
Ce ministère de l'apostolat de l'oreille (pape François), je l'ai vécu dans un hôpital de campagne, le centre de la famille. Ce fut un ministère de sortie que j'appelais l'Église sorteuse, auprès des couples brisés, des familles maganées, de tant de personnes blessées souvent mortellement. Avec maladresse, je m'efforçais de faire émerger du tréfonds de leur souffrance ce cri qui dormait en eux et que Pierre faisait entendre dans la première lecture : lève-toi.
Ce qui honore Dieu ce ne sont pas mes réalisations, mes échecs, mes croix, mes joies comme mes souffrances de toutes sortes qui ont jalonné ce parcours. Ma louange ne repose pas sur ce que j'ai fait. Sur ce que je suis. Sur mes échardes ou mes résurrections. Ce qui honore Dieu en moi c'est, et je cite un grand priant Nicholas Grou (XV111e siècle), qu'il déclare heureux celui qui ayant donné son esprit et son cœur à Dieu ne sait plus s'il a un esprit et un cœur.
Ma louange est de reconnaître ce commandement de Dieu qui s'adresse aux prêtres : faites cela en mémoire de moi. À certaines heures, c'était intolérable. J'ai appris en ces heures à porter attention sur d'autres paroles comme celle adressée à Jérémie en état de crise de foi : si tu reviens, et que je te fais revenir, tu te tiendras devant moi ; si de ce qui est vil tu tires ce qui est noble, tu seras comme ma bouche (Jr 15, 19). Je me rappelais aussi en ces heures troubles, les paroles adressées par Jésus à la femme pécheresse : moi aussi je ne te condamne pas (Jn 8, 11). C'est la question posée par Jésus ce matin qui m'a soutenu et me soutient toujours : voulez-vous me quitter vous aussi ? Et la réponse de saint Pierre : vers qui pourrons-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle.
Avec Marie, je m'émerveille d'entendre Dieu me dire : réjouis-toi [...], ne crains pas, le Seigneur est avec toi (Lc 1, 28). Avec elle, j'ajoute : mon âme exalte le Seigneur. AMEN.