2010- C : Mc 11, 11-15 -Vendredi 8e semaine ordinaire -: pourquoi renverse-t-il les comptoirs?
Année C : Vendredi 8e semaine ordinaire (litco08v.10)
Mc 11, 11-15 : pourquoi renverse-t-il les comptoirs?
Notons d’abord – et c’est plutôt rare – que ce passage est rapporté par les quatre évangélistes. L’évé-nement a donc frappé l’imaginaire et on en parlait encore quelques cinquante ans plus tard, au moment de la rédaction des évangiles. Même si Matthieu situe cette scène au moment de la Passion et que Jean la raconte en ouverture (Jn 2), les quatre évangélistes nous montrent un Jésus qui nous signifie que les temps nouveaux sont accomplis.
Question : pour quelle raison fait-il cela? Par ce geste, Jésus confirme l’arrivée en nous du jour de Dieu dont parlent les prophètes. Désormais, nos vies sont appelées à devenir des «liturgies» permanentes. Par ce geste, Jésus nous fait anticiper que nous sommes dans nos personnes, des consacrés au Seigneur. Le prophète Zacharie chante qu’en ce jour là, il n’y aura plus de marchands dans le Temple de Yahvé Sabaoth (Za 14, 21b). En se demandant quel est ce temple devenu caverne des brigands, le mystique Tauler répond, c’est l’âme et le corps de l’homme.
Par ce geste très humain, Jésus révèle que quelque chose de complètement neuf nous arrive. Par ce geste, – d’aucun diront que Jésus est plus clair dans ses gestes que dans ses paroles – Jésus nous fait signe. Il nous demande de vider nos temples de tous désirs de tout contrôler, de repousser nos élans vers les choses d’en bas qui ont finalement peu de valeur, pour préparer nos cœurs, nos temples à cette grande nouveauté, inimaginable, unique : il vient demeurer dans nos maisons, comme l’exprime Marie-Noël : Dieu est dans ma maison. Jésus nous invite à faire de la place à son arrivée en nous. Chez nous.
Quelle libération pour nous que cette colère de Jésus! Libération qui commence par le désencombrement de toutes nos idoles. Jésus vient nous libérer d’une relation commerciale et comptable avec Dieu pour nous proposer une relation filiale! Il transforme nos cœurs de pierres, nos cœurs qui sont des maisons de commerce en des cœurs semblables au sien, en maison de prière, maison du Père. Désencombrés de tout – les mystiques invitent à ne penser à rien pour penser au Tout – alors, dit le prophète Michée, il entrera dans son sanctuaire le Seigneur que vous cherchez (Mi 3, 1). Efforce-toi de rendre ton intelligence, au moment de la prière, sourde et muette, et tu pourrais prier (Évagre le Pontife, IVe siècle, in Carême des cancres, 2007, p.44).
Dans un commentaire du psaume 33, et faisant allusion à cette scène de Jésus chassant les vendeurs du Temple, saint Augustin écrit : Ils sont bien à plaindre, ceux qui, en rentrant chez eux, peuvent craindre d’en être chassés par d’âpres disputes avec les leurs. Mais combien plus malheureux sont ceux qui n’osent pas rentrer dans leur cœur [conscience], de peur d’en être chassés par le remords de leurs péchés. Si tu veux rentrer avec plaisir dans ton cœur, purifie-le. Heureux les cœurs purs (Mt 5,8). Enlève de ton cœur les souillures de la convoitise […], les pensées mauvaises, les haines […]. Enlève tout, puis rentre alors dans ton cœur et tu y seras heureux.
Ce désencombrement de tout pour nous trouver en Dieu, est une mission presque impossible. Comme humains nous sommes des êtres inachevés, tendus vers un perpétuel dépassement de nous-mêmes. Nous sommes faits pour nous dépasser. Ne vous laissez pas dérouter […] ce n’est pas quelque chose de déroutant qui vous arrive (première lecture, 1 Pi 4, 11). C’est en devenant, comme l’exprime Paul, des possédés par la Parole (Ac 18, 5) en proie à la Parole (comme on est en proie à la fièvre), pressés par la Parole – l‘amour de Dieu nous presse (2 Co 5, 14) – que nous fermerons toutes les portes de nos sensations terrestres pour nous recueillir en Dieu. AMEN.