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2007-C- Lc 21-Dimanche des Rameaux- L’au-delà du vide…

Homélie  des Rameaux  Luc -(C)   L’au-delà du vide…

(homélie donnée dans le cadre d'une fin de semaine d'intériorité: habiter l'eucharistie)
  
Nous venons de lire l’une des pages les plus noires de ce que nous appelons pourtant «la bonne nouvelle».  Étonnant !  Des pages sombres dites «bonnes nouvelles».  On disait de Jérémie qu’il était un prophète de malheur qui annonçait un chemin de bonheur (Jér. 17,5-8).  Le récit de la Passion du Christ est toujours actuel.  Il nous apprend à voir dans ce qui est le plus noir, le plus dégradé des comportements de notre histoire – 11 septembre 2001, le Darfour, l’épuration ethnique en 1999 – le terrain d’émergence d’une «bonne nouvelle».  À l’aurore de ce 3e millénaire, force est d’observer que peu de choses ont changé dans nos comportements humains.  Nous entretenons la guerre, la vengeance, la haine, la domination sur l’autre.   Ce récit nous enseigne un autre chemin.

Contrairement à ces drames qui se déroulent devant nos yeux et que nous vivons souvent comme des spectateurs d’une pièce théâtrale, nous sommes – si nous entrons dans le vif de ce récit de la Passion - les premiers bénéficiaires de ces retombées.  Ce récit nous fait voir que la «bonne nouvelle» se trouve là au cœur de nos tragédies, de nos bouleversements, de nos déchirements, de nos croix incontournables. 

La «bonne nouvelle» se trouve là au milieu de nos souffrances parce que cet homme, auquel nous avons fait un procès inique, cet homme dans son agonie et dans sa mort, cet homme, parce qu’il est fils de Dieu, vit hier, aujourd’hui et demain pour nous ce dont nous avons besoin pour être sauvés.  Cet homme ne meurt pas pour lui.  Il ne se donne pas pour lui-même à manger.  Il meurt pour nous.  «Prenez et mangez».  Que chacun se le dise : il meurt pour moi.  Il prend pour moi et avec moi le chemin de sa pâque, le seul chemin qui conduise au Père.  Ce chemin reprend à sens inverse le chemin d’Adam et Eve qui ont quitté le Paradis, qui ont refusé par choix de laisser tomber cette  parfaite communion qui les unissait à Dieu.  C’est ça le Paradis.

Cette perte de communion est la plus terrible des souffrances qui puissent nous arriver.  C’est un véritable chemin de croix.  Ce chemin – ce terrifiant chemin de perdre l’intimité avec Dieu - Jésus l’a fait sien.  Il en a éprouvé toute la profondeur quand il s’est écrié : «Pourquoi m’as-tu abandonné».  Jésus a éprouvé avec une intensité inexprimable, inatteignable, l’épreuve de la distance infinie qu’il ressentait face à son Père.  C’est le sens profond du récit de la passion.  C’est la souffrance des souffrances.   Nous parlons des souffrances physiques de Jésus.  Nous oublions que sa souffrance la plus terrible fut d’éprouver d’être abandonné du Père, Lui, le Fils du Père, de «se tenir à distance»comme vient de nous dire Luc.  

Le mystère de cette «distance-là» que ressentait Jésus face à son Père dégage un parfum de grand prix.  Ce mystère d’un Dieu qui désire abolir cette «distance infinie» entre Lui et nous, Paul en parle comme le mystère du vide.  «Il s’est vidé de lui-même».  Le récit de la Passion - ce mystère d’un Dieu se vidant de lui-même pour abolir toute distance – exprime l’itinéraire que nous parcourons quand nous habitons l’eucharistie.  Nous faisons mémoire de notre joie d’être conviés à sa table.  Nous faisons aussi mémoire de «nous tenir à distance», même si nous sommes ses amis, ses disciples.  «Tous ses amis se tenaient à distance ainsi que les femmes qui l’accompagnaient depuis la Galilée» (Luc 23,49).  Gethsémani suit l’eucharistie. 

Saints hommes, saintes femmes, c’est ce parfum de la souffrance de Jésus à se sentir «distant» de son Père, que nous humons quand nous habitons l’eucharistie.  C’est ce parfum que nous dégageons - la souffrance de cette distance - quand l’eucharistie nous habite.  Elle est grande cette page noire inauguratrice d’une «bonne nouvelle» : rétablir la proximité entre nous et Dieu.   Cela dit tout de la Passion comme de l’Eucharistie.

Ce récit de la Passion, comme toute cette semaine sainte, nous convie, si nous voulons abolir cette distance – la souffrance des souffrances – à entrer dans le mouvement du Mystère de Dieu : «Il s’est vidé de lui-même».  Qu’est-ce à dire pour nous ?  Jésus a quitté sa divinité, son «moi  divin».  Il s’est anéanti.  Il est devenu «rien», «néant» «vide».  C’est notre chemin pour dégager ce parfum de grande valeur.  Mais notre monde et sa sagesse ont peine à comprendre cela.  À prendre ce chemin du vide qui est pourtant à la base de toutes les spiritualités.  C’est le «karma» disent les bouddhistes.  C’est le «kenshô» tant recherché par les mystiques du Japon.  «Faites-moi voir votre nature originelle», demande un maître du Zen.

La Passion a été pour Jésus l’épreuve de se sentir moins que rien, celle d’avoir perdu sa réputation ; sur la montagne il avait déclaré «heureux êtes-vous si l’on vous méprise», c’est de lui qu’Il parlait.  Mais ce chemin de mort, ce «point mort» - se sentir moins que rien, abandonné, loin du Père - fait surgir une réalité insaisissable : la plénitude du bonheur retrouvé.  Le vide, le néant, le rien que la mort nous fait expérimenter – et j’ai éprouvé cela au chevet de ma mère mourante – deviennent la «matière» d’où jaillit la vie.  Le mystère de la «distance» conduit au mystère de notre transformation en gloire.  Il y a de la plénitude dans le vide.  Jésus fait de ce vide, un point contact avec la plénitude.  En allant comme Fils de Dieu au bout du rien, au bout de la pauvreté qui consiste à tout donner, il ouvre nos chemins sur la plénitude de vie.  C’est quand j’arrive au point «zéro», c’est quand apparaît le point non-retour que naît le plus que rien.   Le vide est la parfaite réalisation de ce que je suis.  Arrivé à cette profondeur, je prends  conscience de la Source.  Je retrouve la Plénitude que nous avions perdue en nous éloignant, en brisant la communion avec Dieu. 

Le vide est la «matière» qui nous ressuscite.  Le vide, c’est le chemin «bonne nouvelle» qui abolit la distance dont parle Luc dans son récit de la Passion.  Ce qu’il faut saisir : ce beau geste, souffrant à l’extrême, de se vider de nous-mêmes, c’est un parfum pascal.  Se vider pour ressusciter.  Se vider pour retrouver «notre nature originelle».  Ce vide ouvre sur une Présence.  Il contient la plénitude de vie.   Notre monde ne saisit pas cela parce que sa sagesse est d’avoir toujours plus.

Ce qu’il faut saisir c’est que ce vide, cet énorme vide – il a tout donné en donnant sa vie, en se donnant en nourriture - est tel que désormais toute faiblesse humaine, toute nuit de ce monde, toute désolation, tout anéantissement sont transformés en chemin pour entrer dans l’immensité divine.  C’est dans le vide le plus total, l’anéantissement le plus inimaginable que Jésus devient semblable à nous ; même plus bas que nous.  Mais ce vide, ce grand mystère d’un Dieu qui se vide de lui-même, ce grand mystère du vide que nous éprouvons dans nos personnes, c’est ce lieu «contact» du mystère de sa Présence.  Dieu habite le vide pour le remplir de sa Présence.  Le moins que «rien» que nous sommes, ce vide qui nous apparaît si «mortel», est le sanctuaire de Dieu.  Il est le point jonction, le point qui nous transforme en béatitude.  Le salut qui surgit de la Passion comme de l’eucharistie naît quand nous savons goûter la beauté du «néant», du «vide», de nous vider de tout, parce qu’une telle attitude ouvre sur un au-delà de gloire.  Une telle attitude nous fait vivre des heures de gloire.   «Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ».
 
À votre contemplation : «par l’anéantissement du Fils de Dieu - le nôtre aussi, nous entrons dans l’immensité divine» (Fénélon).  Ne rien avoir, c’est tolérable.  Ne rien valoir, c’est «mortel».  Nous sommes ici au cœur de ces jours saints.  Au cœur de notre spiritualité chrétienne.  C’est en atteignant cette profondeur que nous pourrons dire : «J’ai trouvé l’ultime, car je le suis».  Ne plus être rien pour être tout.  C’est ça la Passion.  C’est ça habiter l’eucharistie.  Quand nous comprenons cela, il ne faut pas nous étonner si la participation autour de cette Table se fait peu nombreuse.  Les absents nous rendent le service de nous faire saisir que ce mystère est grand.  Les absents nous font saisir la profondeur de ce que Paul disait aux Corinthiens en leur parlant de la Résurrection :  «Si nous avons mis notre espoir dans cette belle vie (celle du monde), nous sommes le plus à plaindre»(1 Cor 15,17).Marie de la Trinité entend l’appel de Jésus lui dire – et Jésus ne fait que lui redire le chemin qu’il a pris pour elle – «c’est en n’étant rien que tu seras tout, en ne voulant rien que tu feras tout.  Consens à n’être rien pour avoir tout en Moi».  Ce vide de Jésus est le commencement du Salut.  Les jours les plus noirs, les plus vides de sens de notre histoire sont des jours commencements de Salut, des jours qui nous transforment en Eucharistie de gloire pour le monde.  AMEN.

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Que chacun se le dise :
Il meurt pour moi.
Il prend pour moi et avec moi
le chemin de sa pâque,
le seul chemin qui conduise au Père.

Dieu habite le vide
pour le remplir de sa Présence.
Le moins que «rien»
que nous sommes,
ce vide qui apparaît si «mortel»
est le sanctuaire de Dieu.

 

Évangile: 
Année: 
Pérode: 
Date: 
Dimanche, 1 avril, 2007

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