2013- C- Lc 6, 36-38- Lundi 2e semaine carême- la démesure de la foi
Année C : Lundi 2e semaine CARÊME (litcc02l.13)
Luc 6, 36-38 : la démesure de la foi
L'Évangile doit parler à notre monde dans la plénitude de l'Évangile (Maurice Bellet, Si je dis Credo, Bayard, 2012, p. 34). Une telle affirmation amène un changement radical de perspective. Il est urgent aujourd'hui que notre société découvre que l'Évangile, la foi chrétienne, est autre chose qu'une morale. Le christianisme est la religion de l'amour (Jean-Paul II). Dieu est agapè, dit saint Jean. La Bonne Nouvelle est quelque chose de démesurée.
La plénitude de l'Évangile, de la foi aussi, donne la priorité non plus à une éthique de comportement qui est à l'ordre de tous les agendas politiques ces derniers temps, mais bien à l'éthique de la démesure. Démesure de bonté dans nos paroles, de charité dans nos actions. Les pages de l'évangile sont pleines de démesure: Si ta main entraîne ta chute, coupe-la (Mc 9, 43). Si quelqu'un te gifle, tends lui l'autre joue (Mt 5, 39).
La démesure de la foi se retrouve dans ce geste de François de Sales qui préférait donner le peu qu'il avait à celui qui lui avait fait quelque peine, plutôt qu'à celui qui en avait réellement besoin. Le curé d'Ars disait : si vous avez la charité, n'examinez jamais si ceux à qui vous donnez vous ont fait quelque tort ou dit quelque injure, s'ils sont sages ou non. La démesure de la foi est celle d'aller à contre-courant et nous entraîne vers ceux envers qui nous avons peu de sympathie.
Aujourd’hui, disait Augustin, nous voyons des hommes qui ne considèrent que les préceptes rigoureux, qui commandent de réprimer les perturbateurs, de ne pas donner aux chiens les choses saintes (Mt 7,6), de traiter comme un publicain celui qui méprise l'Église (Mt 18,17), de retrancher du corps le membre scandaleux (Mt 5,30). Cette démesure n'est pas évangélique. À la rigueur, est-elle à peine morale. La loi suprême de la foi se trouve dans cette démesure qu'est l'union indélébile de chacun d'entre nous, même du plus criminel des criminels, avec Dieu. Croire, c'est tenir pour vraie cette affirmation humainement inconcevable de Maurice Zundel : Dieu=l'homme.
La loi suprême de l'Évangile est l'incarnation de la démesure. Jésus a été un modèle incomparable de démesure à notre endroit. Divin, il se fait humain. Le Très-haut se fait le Très-bas. Modèle incomparable de respect envers chaque humain en se refusant de porter sur nous un jugement définitif. Démesure tant sont regard sur nous atteint une profondeur sans fond. Le carême est ce temps favorable qui ouvre nos vies sur une conduite qui est plus qu'une rectitude morale mais sur un choix : nous laisser réconcilier avec l'être de Dieu que nous sommes par grâce. Nous sommes des êtres de foi (Adolphe Gesché, Dieu pour penser la destinée, pp. 62 et 63).
Jésus nous offre une parole que personne n'a entendue de ses oreilles, que le cœur de l'homme n'a pas imaginée (1 Co 2, 9).Tout regard extérieur, toute audition sans profondeur ne saisit pas cette parole qui vient du dedans du cœur de Jésus et qui ne s'entend que par le dedans. Toute audition rivée aux mots entendus nous place loin de l'expérience du Verbe, Fils de Dieu.
Inimaginable, Jésus nous invite à faire de même. Voulons-nous savoir si nous grandissons dans la foi : est-ce ceux qui nous font du tort ou du bien qui attirent notre générosité ? Savons-nous repousser cette tendance démesurée à tout catégoriser, juger, moraliser ? Cette tendance empressée à arracher l'ivraie même au risque d'enlever le bon grain ? Nous avons besoin d'être «sauvés» de notre recherche de tout ramener à soi ou, comme le dit saint Paul, de nous identifier à la justice de Dieu (Rm 3, 23), cette justice qui sauve, nous fait créatures nouvelles. Qu'il est beau ce temps-appel de communier à ce mouvement qui remonte à nos origines et qui nous entraine dans une vie de contemplation de la beauté que nous sommes aux yeux de Dieu ! Saintetés, ne regardons pas nos laideurs, mais nos beautés. La grâce de Dieu opère encore des merveilles (Benoît XVI, audience du Mercredi des Cendres 2013).
Jésus nous propose un programme de vie qui est plus qu'une éthique de comportement. Qui est autre chose qu'un appel au renoncement, ce visage négatif tellement repoussant. Il nous propose un programme de vie qui est un choix de foi. Il faut retrouver, dans les très beaux mots de Christian Bobin, l'esprit d'enfance toujours neuf. Repars toujours aux débuts du monde, aux premiers pas de l'amour (dans Le Très-bas, Éd. Gallimard, 1992, p. 112). AMEN.