C'est le 5 avril 1892 qu'était érigé le diocèse de Valleyfield par le pape Léon XIII à même le territoire de l'archidiocèse de Montréal et c'est Mgr Joseph-Médard Émard qui en a été le premier évêque.
Nous collecterons sur cette page différents souvenirs liés à l'histoire diocésaine.
Entrée de Mgr Émard à Valleyfield
Le 10 juin 1892, le journal Le Progrès de Valleyfield * publiait l'article suivant:
Monseigneur Émard a fait mercredi soir son entrée solennelle à Valleyfield. Les habitants avaient rivalisé de zèle pour recevoir brillamment leur premier évêque: on avait préparé des illuminations, un feu d'artifice, promenade aux flambeaux. Le programme a été suivi à la lettre, malheureusement la pluie a contrarié, dans une certaine mesure, la bonne volonté de la population de Valleyfield.
Malgré cela presque toutes les maisons, notamment sur le passage du cortège, avaient de très heureuses décorations de lanternes vénitiennes, de transparents au chiffre du nouvel évêque, de cordons de feu, etc. Parmi les illuminations les plus réussies nous citerons celles du collège, de M. Lespérance, de M. Dion et Banque Jacques-Cartier, de M. le Dr Ostiguy, parfaitement disposées.
Ce qu'il y avait de plus remarquable, c'est l'ensemble de la démonstration: dans les rues les plus écartées, les plus désertes, on trouvait des témoignages de sympathies, car pour Valleyfield le 8 juin était un jour à jamais mémorable.
À 9 heures précises le train spécial qui amenait le nouvel évêque, ainsi que Mgr l'archevêque Fabre, Nos Seigneurs Racine, évêque de Sherbrooke, Moreau, évêque de St-Hyacinthe, Sweeney, évêque de St-Jean, (N.B.), Gravel, évêque de Nicolet, et un très grand nombre de membres du clergé, arrivait à la gare. Mgr Cleary, évêque de Kingston, était dans l'après-midi rendu à Valleyfield.
Mgr Émard, escorté par la fanfare de la ville, sous la direction de M. Côté, et les membres du comité de réception à la tête duquel étaient M. John H. Sullivan, maire de Valleyfield et M.R.S. Joron, secrétaire, se rendit à la cathédrale par les rues Jacques-Cartier, Victoria et de la Fabrique.
On avait eu la pensée de ne laisser pénétrer la foule dans la cathédrale que lorsque Monseigneur y aurait lui-même fait son entrée, mais le mauvais temps fit changer ces dispositions. Aussi la vaste nef brillamment illuminée, décorée avec une simplicité qui fait honneur au goût artistique des personnes chargées de ce soin, était-elle dès neuf heures remplie d'une nombreuse assistance.
Dans le choeur deux trônes, sur les côtés, en avant de l'autel, l'un pour Mgr l'archevêque de Montréal, l'autre pour Mgr Émard.
Les deux chapelles du transept avaient été fermées par des tentures et transformées en tribunes réservées à la famille du nouvel évêque et aux invités. Dans la première de ces tribunes on voyait, en avant, trois religieuses de la communauté des SS. NN. de Jésus et de Marie, suivant d'un oeil attendri tous les incidents de cette cérémonie, et bénissant Dieu du grand honneur accordé à leur frère, car ces trois religieuses sont les soeurs de Mgr Émard. À côté d'elles le père et la mère du nouvel évêque et son frère, avocat à Montréal.
En prenant mercredi soir possession de sa cathédrale et de son diocèse, Mgr Émard a d'abord fait sa profession de foi, prononcée d'une voix ferme, profondément convaincue, et revêtant à la fin une grande et communicative émotion.
Lorsque Mgr Émard eut achevé cette profession de foi, le maire de la ville de Valleyfield est entré dans le choeur et a présenté à Sa Grandeur l'adresse suivante dont nous sommes heureux de pouvoir donner le texte complet:
«Sa Grandeur Joseph M. Émard, premier évêque de Valleyfield.
Monseigneur,
Je viens, au nom de notre jeune ville et des différents comtés du nouveau diocèse, présenter nos hommages à Votre Grandeur, l'assurer de notre sincère dévouement, et lui promettre l'obéissance que des brebis respectueuses doivent à leur premier pasteur.
Nous nous associons de tout coeur au concert de louanges publiques et privées qui salue l'arrivée de Votre Grandeur à son siège épiscopal. Des voix autorisées vous parleront au nom de l'Église: elles feront ressortir les nombreux avantages que la Religion ne manquera pas de retirer de l'ordre de choses qui commence pour elle aujourd'hui. Nous verrons ici ce qui s'est produit dans d'autres parties du pays, et ce que l'histoire nous rapporte de la création de villes florissantes dans le Vieux Monde. La présence de l'évêque, la direction sage et éclairée qu'il imprime à tous les esprits, amènent le progrès dans l'ordre intellectuel et civil, progrès auquel le commerce et l'industrie ne sauraient rester étrangers.
La nature, disons mieux la Divine Providence, a, sans doute, admirablement préparé les lieux pour l'existence de la paroisse Sainte-Cécile et du diocèse de Valleyfield, mais ce que Votre Grandeur peut voir ici, ce que les étrangers peuvent regarder avec quelque admiration, nos magasins et nos manufactures, nos maisons d'éducation, notre église, votre cathédrale, Monseigneur, tout cela est né de l'union des intérêts religieux et des intérêts matériels s'aidant et se fécondant mutuellement.
Ces établissements et bien d'autres encore grandiront et se multiplieront dans un avenir assez rapproché, si nous savons développer nos ressources industrielles et commerciales et mettre en pratique les utiles leçons que Votre Grandeur voudra bien nous donner.
C'est pourquoi, Monseigneur, tous les citoyens de votre ville épiscopale et de ce diocèse, dans distinction de croyance et de nationalité, saluent dans l'arrivée de Votre Grandeur l'aurore d'une nouvelle ère d'activité et de prospérité. Vous êtes pour nous non-seulement l'envoyé de Dieu, mais encore le messager du progrès; vous nous aiderez à marcher dans le bon chemin par vos sages conseils.
J.H. Sullivan, maire R.S. Joron, sec.-trésorier Salaberry-de-Valleyfield, 8 juin 1892»
Mgr Émard s'est levé alors et s'avançant à l'entrée du choeur a remercié le maire des paroles sympathiques qu'il venait de prononcer, des sentiments d'obéissance vis-à-vis l'Église dont il se faisait l'interprète et Sa Grandeur a assuré les citoyens de Valleyfield de l'affection profonde qu'elle éprouvait pour le troupeau confié à ses soins.
«Je ne suis point pour vous un étranger, a ajouté Monseigneur; depuis le jour où j'ai appris le grand honneur qui m'était réservé, depuis ce jour je n'ai cessé d'avoir présent à la pensée Valleyfield et sa pieuse population. Le Souverain Pontife m'a constitué votre évêque, mais en même temps, je deviens le citoyen de cette ville; j'unirai mes efforts aux vôtres pour la prospérité de votre ville déjà si heureusement partagée à bien des points de vue.»
Par son discours, par la chaleur avec laquelle il parlait, Monseigneur a conquis de suite la sympathie de ses diocésains, qui sentaient bien la vérité des sentiments exprimés.
Lorsque les évêques sont rentrés à l'évêché, le feu d'artifice a été tiré sur la rive gauche du canal, en face de l'église et en présence d'une foule de spectateurs que la pluie, heureusement moins persistance, n'effrayait pas. Pendant toute la soirée notre excellente bande n'a cessé de faire entendre ses meilleurs morceaux.
Ainsi s'est terminée la première journée des fêtes de Valleyfield.
Hier, jeudi, a eu lieu la consécration de Mgr Émard. Belle et touchante cérémonie dont toute notre ville aurait voulu être témoin, mais, malgré ses vastes dimensions, notre cathédrale était tr op petite pour contenir la foule réunie depuis 9 heures du matin aux abords de l'église.
Il y avait, en effet, plus de quatre cents prêtres venus de toutes les parties du nouveau diocèse, de la province de Québec, de celle d'Ontario et des États-Unis, de nombreux invités et délégués accourus de Montréal.
Aux évêques déjà cités, nous devons ajouter Nos Seigneurs Gabriel, d'Ogdensburg, Michaux, de Burlington et le Père Abbé d'Oka, Dom Antoine, Mgr Marois, représentant le Cardinal de Québec, Mgr Routhier, vicaire général de l'archevêque d'Ottawa, Mgr Gagnon, de l'archevêché de Québec.
Toutes les congrégations de religieux de la province étaient représentées depuis St-Sulpice dont l'abbé Collin, supérieur du séminaire était au premier rang, les pères Jésuites, les Dominicains, les pères Franciscains, les Frères des Écoles Chrétiennes, les Rédemptoristes, etc., etc.
Nous ne pouvons songer à reproduire ici la grandeur du spectacle offert par cette réunion d'évêques, de prêtres et de religieux dans la nef de notre cathédrale; encore moins pouvons-nous donner le détail des cérémonies qui accompagnent la consécration d'un évêque. On avait eu l'heureuse pensée de donner une brochure contenant le cérémonial suivi en cette occasion, et les fidèles avaient ainsi le moyen de comprendre le sens des diverses phases de cette solennité. Mais nous tenons à dire de l'allocution prononcée par M. le chanoine Bruchési qui a montré la grandeur du rôle de l'évêque, héritier direct des Apôtres, auxquels Jésus-Christ a dit: Pasce agnos meos, pasce over meas. C'est là le texte de cette allocution à la fois éloquente et émue, dont nous regrettons de ne pouvoir citer que la péroraison, particulièrement touchante et pleine de coeur:
«Monseigneur, de dois à une amitié vieille déjà de vingt-cinq ans d'avoir été appelé à porter la parole sainte dans cette circonstance solennelle et devant cette vénérable assemblée. D'autres l'auraient pu faire avec plus d'autorité, je l'ai fait avec bonheur, bénissant dans mon âme le Très-Haut qui glorifie mon frère en l'élevant parmi les chefs de mon peuple.
Vous souvenez-vous, Monseigneur, de nos belles années passées dans la ville Éternelle, de nos pèlerinages aux tombeaux des martyrs et aux chambres des saints, de nos promenades au milieu des vieilles et fortes ruines du Forum, de nos études poursuivies jusque sous les grands arbres des villas romaines? Jours heureux, inoubliables jours! Mais pour moi, un souvenir domine tous ces souvenirs.
Après le grand deuil qui avait suivi la mort de Pie IX, un cri de joie venait de retentir d'un bout à l'autre de la ville sainte: <Gloire à Dieu! le pape est élu, nous avons un pape.> Le peuple s'était porté en foule vers la basilique vaticane, et nous y étions entrés, anxieux, dans l'espoir de contempler l'élu du Seigneur. Les heures s'écoulaient, et nous attendions toujours. Enfin il parut pour donner de Rome sa bénédiction à l'univers. Vive Léon XIII; vive le pape; vive le successeur de St-Pierre. Quels transports, quel enthousiasme chez les trente mille hommes qui se pressaient dans le temple! Quelles larmes coulèrent alors de nos yeux et quelle émotion sainte fit battre nos coeurs! Qui vous eût dit alors, Monseigneur, pendant que vous l'acclamiez, que le même Pontife tournerait un jour ses regards vers vous et vous confierait une partie de son immense troupeau? Oui, il a parlé, il vous a fait le pasteur de ces champs fertiles et de ces paisibles vallées; il vous a nommé son bien-aimé fils: dilecte fili, et je sais qu'aujourd'hui même par l'entremise de celui qui a tenu une si grande place dans votre vie de jeune homme et de prêtre, il vous envoie sa plus paternelle bénédiction.
Soyez donc béni, cher et vénéré seigneur, béni du Pape et de Dieu, vous qui désormais allez répandre autour de vous tant de bénédictions et tant de grâces. Vivez longtemps, entouré de cette sympathie dont vous venez de recevoir de si nombreux et si touchants témoignages; que Marie, la Reine des Apôtres, veille sur vous, vous protège et vous guide, et que le Seigneur vous rende fort pour porter toujours sans fléchir ce grand honneur et ce grand fardeau».
Mgr Émard a tenu en donnant la première bénédiction à ses diocésains à venir sur le perron de la cathédrale pour bénir la foule qui n'avait pu trouver place dans l'église et qui a montré par sa piété et son recueillement combien elle était digne de cette attention de son premier pasteur.
Le banquet qui a suivi la consécration était offert par les citoyens de Valleyfield. À cet effet on avait près du parc public dressé une vaste tente, élégamment décorée contenant sept grandes tables pouvant contenir près de 600 convives.
Le service du dîner était admirablement fait par les dames de la ville, qui ont prouvé que par l'union et la bonne entente on réussit toujours à mener à bien les entreprises les plus difficiles.
Les Soeurs de la Providence ont donné dans la préparation de ce banquet un concours précieux et le comité d'organisation des citoyens de Valleyfield a droit aux éloges les plus complets pour le tact, la prévoyance et l'urbanité avec lesquels il a préparé et exécuté la réception de Mgr Émard et des hôtes distingués de notre ville. Nous ne citerons aucun nom parmi les membres du comité, car il faudrait les citer tous; mais nous les remercions au nom de la population de Valleyfield et aussi au nom des étrangers qui nous ont demandé d'être près d'eux l'interprète de leurs sincères félicitations.
Au banquet, Mgr Émard a donné lecture d'une dépêche de Rome par laquelle le Souverain Pontife adressait au nouvel évêque et aux fidèles de Valleyfield sa bénédiction. Cette communication a été reçue par des applaudissements répétés.
Nous sommes obligés de clore ici ce compte-rendu très incomplet. Nous ne pouvons mieux le terminer qu'en adressant à Mgr Émard ce voeu que lui exprimait le clergé du diocèse: Ad multos et felices annos.
R.
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* Le Progrès de Valleyfield a été fondé le 1er septembre 1878. Les bureaux étaient situés au 6 et 8 de la rue Sainte-Hélène à Valleyfield. L'éditeur-propriétaire était Chs. T. Verner. L'abonnement pour un an coût 1$.
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Merci au recherchiste Jean-François Gagné.