2023-A-Mt 19, 13-15- samedi de la 19e semaine ORDINAIRE- scénario de perdants
Année A : samedi de la 19e semaine du temps ordinaire (litao19s.23)
Mt 19, 13-15 - Jésus et les enfants
Cette attitude de Jésus devant des enfants est subversive. Elle légitime l’importance et la dignité des gens d’en bas. Les fils rejetés, les femmes stériles, les pécheurs, les lépreux ou les étrangers, les petits sont toujours ceux choisis par Dieu. Avec ce choix, Jésus crée un nouveau type de pouvoir, caché à la vue de tous. Il est le premier chef du parti des perdants.
Entre cette attitude de Jésus et les interprètes de la religion qui affirment connaître la volonté de Dieu, il y a un écart abyssal. Elle a suscité une tempête d’indignation. Elle a engendré beaucoup de violence contre Jésus.
Pourtant, l’Ancien Testament trace le même scénario des perdants. Songeons à David, ce fils oublié du père qui ne mentionne même pas son petit dernier gardant les brebis dans le champ quand il s’agit de trouver un futur roi (1 Sm 16). Songeons au choix de Jacob sur son frère aîné. Le modèle d’agir du Dieu de l’Ancien Testament est que le dernier sera le premier et le premier dernier (Mt 20,16). L’attitude de Jésus est déroutante. Il privilégie dans les mots d’aujourd’hui la victime la plus victimisée (René Girard). Jésus poursuit une révolution jamais complétée.
S’il est si difficile de comprendre ce choix de Jésus, c’est qu’il va à contresens de notre temps qui martèle que le but de la vie, c’est d’être quelqu’un. Laissez venir à moi ceux qui ne sont rien. Le message apparaît peu compliqué et pourtant très compliqué. N’être rien, c’est devenir quelqu’un de précieux pour Jésus. De rechercher par Jésus. Être vide d’un faux moi, c’est être nourri de sa présence, rassasie de son pain.
Cet appel trace le chemin de toute la spiritualité chrétienne, de toutes les spiritualités : de soustraire plutôt que d’additionner. Lâcher prise plutôt que de s’alourdir d’un faux moi. Notre culture est obsédée par l’addition : plus riche, plus célèbre, plus parfait. Nous sommes allergiques à ce mouvement de soustraire, à ce parti pris de Jésus qui s’entoure de partisans de ceux dont le moi n’est pas un faux moi fabriqué par une culture du toujours plus. Pourtant, cet appel contient des allures d’une véritable libération.
Jésus porte nos regards sur l’essentiel, sur ce qui est le plus beau, le plus grand, le plus attirant et en même temps le plus nécessaire. Il se réjouit du peu de l’obole de la veuve, du peu de pain pour nourrir tant de monde, de la force d’une petite graine. Peu, un mot fort dans les évangiles.
Jésus, l’affable Jésus, donne un camouflet à tous les gens pieux de l'époque. Il élève les regards au-delà du formalisme. Du dogmatisme. S’éloigner des enfants, refuser de fréquenter les non-pieux, les impurs, était un devoir religieux, un prérequis moral pour pratiquer la religion de l’époque. Jésus légitime les gens du bas de l'échelle. Il voit de la beauté. Si nous savions nous laisser capturer par la beauté de cet appel, nous en serions transfigurés. Nous retrouvons présentement, comme Église, ce chemin favorisant une théologie d’en bas qui nous montre le visage du Dieu d’en haut.
Paul, formé auprès d’un rabbin du nom de Gamaliel (Ac 22,2) a compris ce message lui qui s’est vidé de lui-même. Il ira jusqu’à expérimenter que sa petitesse, sa fragilité le rend fort (2 Co.12, 9-10). Ce qu’il y a de fou, ce qu’il y a de faible, ce qui est d’origine modeste, voilà ce que Dieu a choisi (1 Co 1,28). Son exemple est très parlant pour remonter le moral des « bons à rien ».
À votre contemplation : exultons de joie. Pour arriver à connaître Jésus, à éprouver sa présence, Jésus indique un chemin que nous ne prenons pas spontanément et que François d’Assise a signé de sa vie, celui de nous déposséder de nos tendances à toujours vouloir plus pour permettre l’arrivée en nous, de la naissance en nous, d’un autre moi, le Sien. AMEN.