2021-B-Mt 25, 31-40 - Marguerite d'Youville
Année B : samedi de la 28e semaine ORDINAIRE (litbo28s.21)
Mt 25, 31-40 ; 1 Co 13, 4-13 : Marguerite d’Youville
Observons d’abord la contradiction notoire qui saute aux yeux et qui traverse le texte : d’un côté, l’extrême compassion du roi à l’égard des pauvres, de l’autre, son extrême cruauté. Longtemps, cette parabole a alimenté une pastorale de la peur. On parlait plus du péché que du pardon ; plus du juge que du Père, plus de l’enfer que du Paradis. On taisait l’affirmation de Paul qui écrivait que là où abonde le péché, là surabonde la grâce (Cf. Rm 5, 20). Ce même Paul écrit aux Corinthiens que l’amour ne passera jamais, qu’il est patient, qu’il ne fait rien d’inconvenant, n’entretient pas de rancune, ne se réjouit pas de ce qui est injuste.
La bonne nouvelle de cette parabole : blanc sur noir, elle indique que le maître donne plus d’importance aux autres qu’à lui. Il a tellement confiance en nous qu’il s’identifie à chaque humain. C’est à moi que vous l’avez fait. Le message est clair, sans ambiguïté, nous sommes des vases communicants. Quand nous donnons de l’importance aux autres, nous devenons transparence de Dieu. Nous continuons sa présence à ce point que Jésus peut dire : par vous, grâce à vous, je suis avec vous jusqu’à la fin des temps. Nulle part dans le Nouveau Testament l’abaissement de Jésus n’est si fortement exprimé que dans cette parabole. Quel abaissement : Jésus s’identifie à nous.
Cette parabole interroge notre relation aux autres. Elle appelle à marcher vers un nous toujours plus grand. Avec cette parabole, nous sommes au cœur de l’Évangile qui ne prône que la valeur de toute vie humaine réside dans le service rendu à autrui souffrant. C’est la fermeture systématique aux autres qui est synonyme d’une vie ratée, d’une vie gaspillée. Passer sans s’arrêter devant les victimes de la route, c’est l’œuvre du malin en nous.
Jésus grandit non pas quand il est acclamé, reconnu, honoré, louangé, mais lorsque nous habillons l’autre de dignité. Ce n’est pas la considération à sa personne qui l’honore, mais l’attention que chacun porte à l’autre. En travaillant à l’amélioration d’une terre plus humaine, nous faisons grandir le nom de Dieu. C’est notre qualité d’humanité qui atteste que notre foi est vivante. Que Dieu est vivant. À quoi sert de clamer Jésus, si je n’ai pas les œuvres (Jc 2, 14) ? Le service d'autrui est à la portée de tous. Et tous, croyants ou pas, sommes des vases communicants de sa présence. Plus je viens en aide aux délaissés, plus j’atteste que Dieu est vivant. La fermeture des églises n’est pas et ne sera jamais un signe de la mort de Dieu.
Notons que Jésus n’a pas prononcé le mot amour dans cette parabole. Ce qui est décisif dans la vie, ce ne sont pas les déclarations d’amour, ce que nous disons ou pensons, ce que nous croyons ou écrivons. Les beaux sentiments ou les protestations stériles ne suffisent pas non plus. L’important, c’est d’aider ceux qui ont besoin de nous. Il n’est pas suffisant d’affirmer que nous ne faisons pas de tort à personne. Nous menons une vie échec chaque fois que nous fermons les yeux sur les besoins des autres. Nous tuons le Dieu de notre foi, nous crucifions son rêve pour la mondialisation de la dignité de chaque personne, chaque fois que nous nous contentons de tout critiquer sans venir en aide aux autres.
Le « nous » de Marguerite d’Youville, première sainte d’origine canadienne, présentée par Jean XX111 comme mère de la charité universelle, était tellement large qu’il ne laissait personne de côté. Pour elle, il n’y avait pas de charité sans justice (Vincent de Paul). Elle fut une mystique du service (sr Estelle Tardif) des pauvres, marquée par une compassion sans bornes et par une foi inébranlable. Pour elle se convertir et croire en la bonne nouvelle (Mc 1, 15) étaient plus qu’une réalité purement spirituelle et personnelle. C’était ouvrir son cœur […] aux multiples expressions de pauvreté et à manifester le Royaume de Dieu par un mode de vie cohérent avec la foi que nous professons[1].
Elle s’est convertie au service des pauvres, s’est libérée de tout attachement qui empêche d’atteindre le vrai bonheur. Elle a mené une vie béatitude que rien au monde ni personne ne pouvait lui enlever (Cf. Mt 6, 19-20). Pour elle, une foi incapable de toucher ceux qui souffrent, de toucher la chair du Christ, est désincarnée.
Je termine par ces mots de Don Primo Mazzolari que citait le pape dans son message pour la prochaine journée mondiale des pauvres : les pauvres ne se comptent pas, ils s’embrassent. Ainsi fut la vie de Marguerite d’Youville. Embrassons le Christ-pauvre, toujours parmi nous, dans ce pain qu’il nous donne. AMEN.