2021-B- Jn 12, 24-26- Sa renommée de chrétien ne faisait aucun doute
Jean 12, 24-26 - SA RENOMMÉE DE CHRÉTIEN NE FAISAIT AUCUN DOUTE.
Qui ne connaît pas Léo ? Nous avons tous un regard différent, «personnalisé» sur lui. Je vous offre le mien. Mais tous nos regards se rejoignent dans cette affirmation : Léo fut une action catholique vivante. Le mot catholique, disait le pape à des membres de l’Action catholique, signifie se faire proche[…], mais de tous[1]. Sa manière de vivre fut accomplissement d’un voir, d’un juger et d’un agir tel qu’il l’avait appris dans l’action catholique.
Dans les mots d’aujourd’hui, Léo fut un disciple-missionnaire qui se nourrissait de l’Évangile. Il ne craignait pas d’ensemencer sur son passage des graines d’évangile. Lors de ma dernière visite chez lui, alors qu’il s’interrogeait s’il devait rester chez lui ou se trouver un endroit autre, il me donnait comme critère de sélection là où il y a une messe. Il ajoutait je suis un homme religieux.
Léo a vécu sa foi dehors. Il fut un croyant «sorteux». Il comprenait sa participation à l’eucharistie comme un engagement à faire quelque chose pour les autres. L’eucharistie le conduisait vers les autres, le rendait éminemment social. Il ne se contentait pas d’aller à la messe. L’eucharistie n’était pas pour lui qu’une simple démarche de piété personnelle pour satisfaire à un précepte. Il allait rencontrer le Dieu de sa foi et cela le poussait à s’engager.
Communier au corps du Christ l’obligeait à faire de son mieux pour aider son entourage. Communier au corps du Christ le transformait en corps du Christ, en « présence réelle ». L’eucharistie était pour lui comme un appel à communier aux défis de sa communauté chrétienne autant que civile. Dans sa personne, Léo était, permettez-moi de l’exprimer dans une image, du bon pain. Une graine de sénevé de haute qualité. Il se laissait tellement mangé par tout le monde qu’il avait peu de temps pour lui-même. Il m’a exprimé qu’il n’avait jamais envisagé la mairie de sa ville. Il l’a accepté pour servir les siens, sa communauté. J’ai à apprendre, me dit-il, à dire non.
Tellement engagé dans tous les secteurs ecclésiaux et sociaux que cela expliquerait peut-être que Léo était rarement à l’heure dans ses rendez-vous. Je vous donne un exemple. Dans les années 80, le Centre de formation pastorale du diocèse offrait un programme de 30 crédits dans les différentes régions du diocèse. Alors que la date d’inscription était dépassée, je reçois un appel de Léo me disant qu’il est en retard, mais qu’il souhaiterait s’y inscrire. J’accepte à une condition : qu’il ne soit jamais en retard au cours. Léo a respecté cet engagement. Et presque à chaque cours, il se faisait un point d’honneur de me dire qu’il n’était pas en retard. Un autre exemple. Un dimanche, ici, ouvrant l’eucharistie, je vois, monsieur le maire entré. Je me tais pour lui laisser le temps de prendre place en avant. Il était tout rouge. Il ne m’a jamais reproché mon attitude. Il m’a seulement dit que je m’étais fait bien plaisir. Il n’était pas très loin de la vérité.
En le regardant agir, il était facile de reconnaître en lui un homme de foi. Ses engagements nombreux étaient des épiphanies, des manifestations visibles de son expérience intérieure avec le Jésus de sa foi. Léo croyait les deux pieds sur terre. Le Dieu de sa foi n’était pas un Dieu au ciel, lointain, sorte de «Pantocrator». Il le rencontrait dans son quotidien, dans chaque personne.
Matthieu rapporte dans sa parabole du jugement dernier chaque fois que vous avez nourri ceux qui faim, travaillé à la justice, relevé le migrant, c’est à moi que vous l’avez fait. C’était ça l’action catholique. Exprimer sa foi, voir Dieu en chaque personne qui est la première route de l’Église (Jean-Paul 11).
Dans son encyclique Laudatio si sur l’environnement, le pape écrit : tout est lié […] la nature est inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de prendre soin des autres (#70). Nous célébrons une vie qui a unifié foi et engagement. Au nom de sa foi, Léo a pris soin des autres. Ces derniers temps, il a pris soin de ses plantes qu’il affectionnait ; il a pris soin de préserver l’héritage du passé à travers la société historique de sainte Martine ; il a pris soin de sa municipalité comme maire et comme résident ; il a pris soin de sa communauté chrétienne comme membre du conseil d’administration, en participant aux rencontres et en s’inquiétant pour son avenir. Il a pris soin des moins nantis.
Léo n’était pas un homme désaccordé, décroché des questions éthiques, sociales, religieuses étant sauf toutefois qu’il était complètement déconnecté avec le langage de l’Internet. Il rêvait d’une terre fraternelle, de solidarité, d’équité. C’était le sens qu’il donnait à ses engagements. Sensible, il a trouvé pénibles les vives réactions sur des positions qu’il défendait en tant que maire de cette municipalité.
Sa vie se résume dans ces mots du philosophe Bakhtine : je ne deviens moi-même qu’en laissant l’autre entrer dans ma vie. Je ne puis me passer d’autrui, je ne peux devenir moi-même sans autrui. À la base de l’action catholique, il y avait une certitude : l’autre est le lieu où Dieu est déjà là. Léo a passé sa vie en présence de Dieu dont il a pris soin en prenant soin des autres.
Prendre soin fut la devise qu’il pratiquait au sortir de l’eucharistie. Il remplaçait l’indifférence par le souci des autres, le moi d’abord par les autres d’abord. Léo n’a pas eu à choisir entre le Dieu de sa foi et le monde. Il rencontrait son Dieu dans ses engagements. Sa foi était une foi sociale, «sorteuse», en exit de lui-même, en oubli de lui-même. Pour cette vie, Magnificat.
Ce matin, apprécions une vie hybride : une vie vécue dans une grande foi en Dieu en même temps qu’une vie intensément incarnée dans la réalité d’aujourd’hui.
En faisant mémoire de Léo, j’ajoute une vie hybride vécue avec Rose-Marie. Tellement différent, qu’ils ne pouvaient qu’être ensemble, qu’être heureux ensemble, qu’être accomplissement ensemble de ce grand projet que Jésus rêvait pour nous : une terre fraternelle, ouverte, sans mur qu’il appelait son royaume déjà parmi nous.
Pour cette vie au parfum de l’Évangile, devenons eucharistie. Action de grâce. AMEN.