2020-A-Lc 21, 34-36 - samedi 34e semaine ordinaire- y-a-t-il deux mondes ?
Année A : samedi de la 34e semaine ordinaire (litao34s.20)
Lc 21, 34-36 ; Ap 22, 1-7 : y-a-t-il vraiment deux mondes ?
Le contexte de l’extrait de l’évangile oriente notre regard sur une vision du temps qui semble hors du temps. Le lecteur y dégage facilement un environnement de peur. L’envahisseur romain crée beaucoup d’incertitude. Les tensions religieuses (esséniens, zélotes, pharisiens) et sociales sont nombreuses. L’avenir apparait incertain, l’inquiétude se lit dans toutes les classes de la société. Un climat de désenchantement, de mécontentement domine. L’anticipation de la fin du monde est dans toutes les conversations.
Jésus qui n’est pas un théoricien du futur observe cela. Sa parole s’adresse à des gens dont l’avenir est incertain. Plutôt que de se plaindre de la situation, que de blâmer le ciel pour toutes ces tours qui tombent (Cf. Lc 13, 1-9), Jésus opte pour l’arrivée d’un autre monde. Il oriente les regards sur autre chose que de voir des tragédies à longueur de jour. Il entrevoit un nouveau monde.
C’est dans ce contexte qu’il faut entendre l’appel à se lever, à rester éveiller, à garder la tête haute, à ne plus vivre opprimés, courber ou tenter par le découragement. Jésus secoue ses disciples. Ne vivez pas comme des imbéciles. Ne vous laissez pas entraîner par la frivolité et par les excès. Gardez vive votre indignation. Ne vous relâchez pas. Vivez d’une façon lucide et responsable. Ne cédez pas à la fatigue. Prenez garde: que votre cœur ne s’alourdisse pas.
Jésus lance un appel à bâtir un autre monde. Comment définir cet autre monde ? Où se situe-t-il ? Existe-t-il deux mondes, celui du ciel et l’autre de la terre ? L’un est-il supérieur à l’autre ? Jésus parle-t-il d’un monde à deux étages ? Depuis des millénaires, nous pensons en mode dualiste. En mode division entre le monde religieux et le monde profane. Entre celui d’en haut et d’en bas; celui de la science et celui de la foi. Dans notre mentalité du XX1e siècle, cette manière de parler de deux mondes rejoint de moins en moins de gens.
Les prises de parole de Jésus, son appel à se lever, à rester éveillés ne s’adressent pas à un monde virtuel. Jésus se tient loin de la téléréalité. Jésus n’invite pas à regarder des cimes inatteignables, dans un ailleurs inaccessible, il appelle à vivre la réalité actuelle avec confiance la tête haute et non enfouie dans le sable.
Sans fermer les yeux sur ce qui se vit autour de lui, Jésus voit bien qu’un monde est à relever. Il voit aussi que dans ce monde se dessine un autre monde qui n’est pas une sortie vers un ailleurs, une fuite, mais plutôt une transformation par l’intérieur de ce monde réel. Jésus se rend compte que le mode de vie qu’il voit, que la misère qu’il touche de ses mains, appelle à faire jaillir autre chose qu’il nomme l’arrivée de son royaume, cet autre monde à infuser dans ce monde réel. Il contient pour citer Joseph Moingt tout l’esprit de l’évangile. Ce n’est pas, précise-t-il, une idéologie structurante de la société. C’est une semence à enfouir dans les cœurs. Voilà le cœur de la bonne nouvelle.
Et nous devant ces temps difficiles pour les uns, angoissants pour beaucoup, cruels pour ceux qui sombrent dans l’impuissance devant la pandémie qui n’en finit plus, sommes-nous en éveil ou endormis ? Sommes-nous à côté de ceux qui sont en train de tout perdre et sont plongés dans le désespoir ou travaillons-nous pour guérir le monde. Pour nous aider à rester éveillés, le pape François depuis le début d’août, aborde dans ses audiences le thème de guérir le monde. Avec des mots différents, il appelle à rester éveillés. Il ouvre des pistes pour éviter de revenir comme avant.
Il invite à garder les yeux solidement fixés sur Jésus (cf. He 12, 2) et d’embrasser avec cette foi le Royaume de Dieu que Jésus lui-même nous apporte (cf. Mc 1, 5; Mt 4,17). Un Royaume de guérison et de salut qui est déjà présent parmi nous (cf. Lc 10,11). Un Royaume de justice et de paix qui se manifeste à travers des œuvres de charité, qui à leur tour accroissent l'espérance et renforcent la foi (cf. 1 Co 13, 13)[1].
Devant ce grand virus de l’injustice sociale, de l’inégalité d’opportunités, de la marginalisation et du manque de protection des plus faibles[2], le pape appelle à rester éveillés.
C’est pou faire advenir ce jour où il n’y aura plus de nuits, pour paraître debout devant ce fils de l’homme, qu’il faut éviter d’endormir nos cœurs. AMEN.
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