2020-A-Mt 5, 43-48-samedi 1er semaine carême- humain peu ordinaire
Année A : samedi de la 1ère semaine du carême (litac01s.20)
Mt 5, 43-48 ; Dt 26, 16-19 : humain peu ordinaire
Le théologien Adolphe Geshé répète à la une de ses écrits que nous nous mettons rapidement à la recherche de nos ennemis pour les détruire, pour les écorcher ; cependant, l’attitude chrétienne serait d’aller vers eux pour leur dire qu’ils nous amènent à la perfection (He 11, 40). Pour le théologien, il faut apprendre, c’est un long apprentissage, à voir l’humain avant l’ennemi et non à voir l’ennemi dans l’humain.
C’est le message de cette prise de parole de Jésus. Jésus ne dit qu’une chose : fais ton possible pour aimer tout le monde. Toutes ses prises de paroles, tous ses gestes de guérison, même à l’endroit de personnes se tenant loin des synagogues, ne confirment que cela.
Jésus ouvre un processus de changement de regard qui s’adresse à chacun d’entre nous. Ce processus nous appelle à regarder à l’intérieur, à voir la personne au-delà de ses erreurs, le frère au-delà de ses fragilités, l’humain dans l’ennemi qui nous veut du mal, dans son voisin jaloux. Jésus débloque une vie repliée sur elle-même pour l’ouvrir sur un processus de grande joie : celle de placer Jésus au centre de sa vie en dépassant les rivalités et les oppositions, en faisant de son cœur une maison de paix et non une cour de guerre. Celui qui aime Dieu aime son frère, écrit Jean.
Est-ce que nous savons regarder avec le cœur pour y voir en chaque personne, baptisée ou pas, une bonté originelle qui fait partie de nous ? Nous sommes au commencement d’un long processus d’un passage d’être des humains afin de devenir humain.
Devant nous, un défi de taille qui n’est pas hors d’atteinte : de passer d’être des humains afin de devenir humain. Deviens ce que tu es, comme nous y invite saint Augustin. À notre naissance, nous sommes tous des humains. Jésus nous appelle à aller plus loin, à devenir humains. Ne dit-on pas de quelqu’un qu’il est inhumain ? Il ne s’agit pas de devenir quelqu’un d’autre, mais d’être tout autre. D’être humain peu ordinaire (Ac 28, 2). De devenir soi-même.
Chacun de nous est humain peu ordinaire quand il regarde avec le cœur, contemple par le cœur ses ennemis, même l’Église avec tout ce qui ne fonctionne pas (Pape François, Noël 2019) comme des perles précieuses de grand prix que personne au monde ne saurait perdre (Is 49,16). Nous ne contemplons pas l’autre. Quand nous ne contemplons pas l’image de la beauté qui perce à travers des comportements inhumains, comme nous admirons la beauté des perce-neige au printemps, nous tombons dans ce mouvement de n’adorer que son moi.[1]
Maxime le Confesseur écrit : la charité parfaite n’admet entre tous les hommes aucune distinction […]; elle aime les bons à titre d’amis, et les méchants à titre d’ennemis, pour leur faire du bien, les supporter, endurer patiemment tout ce qu’on reçoit de leur part. Isaac le Syrien précise : laisse-toi persécuter, mais toi, ne persécute pas. Laisse-toi offenser, mais toi, n’offense pas. Laisse-toi calomnier, mais toi, ne calomnie pas. Ce qui nous rend humain et non pas des humains, c’est l’amour. Magnifique, n’est-ce pas ?
Jésus propose une vie grandiose, faite de grandes choses qui sont de petites choses de rien du tout, tels un sourire, un regard, une main tendue. En présence d’une consœur qui lui est antipathique, la petite Thérèse s’empresse de lui sourire, de l’aider. Ces petites choses dégagent l’odeur de ce parfum de grand prix qu’une femme, la Madeleine représentant le genre humain, a versée sur les pieds de Jésus. Ces petites choses nous rendent vainqueurs (Rm 8, 37), et non triomphants, parce que rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu (Rm 8, 31).
C’est une admonition de Jésus qu’il faut comprendre dans son sens profond. Une admonition qui décrit sa manière de vivre et qui est à l’origine de son appel à devenir humains. Le premier, il a aimé ses ennemis, allant jusqu’à les inviter aujourd’hui même dans son royaume.
Il ne faut pas se contenter de prêcher ce message en faisant de beaux discours souvent moralisateurs. C’est en vivant cet appel que nous en diffusons la beauté, que nous devenons des paroles de Dieu (1 Pi 4, 11). Ne nous laissons pas dominer par les blessures, les torts subis, les afflictions de la vie. L’évangile appelle à bâtir des ponts, à ouvrir les yeux du cœur. AMEN.
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