2020-A- Lc 5, 27-32 samedi des Cendres- pour bien commencer
Année A : samedi après les Cendres (litac00s.20)
Lc 5, 27-32 ; Is 58, 9b-14 : vers qui nous tourner ?
Consternation et choc, ces deux mots m’habitent devant les révélations entourant la vie de Jean Vanier. Messager de paix et de fraternité, messager aussi faillible. En chacun de nous, il y a une part d’ombre et de lumière, un combat entre le bien et le mal, la grâce et la liberté. Saint Paul explique bien cela : je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas (Rm 7, 19). En nous, il y a des traces de «comportement toxique» où le bon et le mauvais s’entremêlent. Chaque jour, nous demandons : ne nous laisse pas entrer en tentation, délivre-nous du mal.
Consternation et choc, ces deux mots envahirent ceux qui entendirent Jésus dire à Lévi : suis-moi. Sans hésiter, il est entré en carême pour se laisser sauver, encore et encore, dit le message du pape pour le carême. Pour goûter à la générosité de Dieu (2 Co 8, 9). Qui n’est pas frappé de stupeur et d’admiration à la fois, devant le regard de Jésus sur Lévi, lui qui connaissait bien ses failles ? Jésus s’intéressait au plus haut point à Lévi. Jamais il ne fut indifférent à sa situation. La question de l’apôtre Jacques (3,13) est la nôtre : y a-t-il quelqu’un d’assez sage pour comprendre cela ? Paul précise que l’homme charnel ne comprend pas (1 Co 2, 14).
Par son appel, Jésus refuse de faire du neuf avec ce qui est vieux (cf. Mc 2,21). Il oriente Lévi vers une révolution copernicienne. La miséricorde divine transforme le persécuteur en apôtre ; le loup en berger. Elle fait d’un publicain un évangéliste [...]. Elle nous a tous changés (un moine du IVe siècle).
Cette révolution est la nôtre si nous repoussons ce «monsieur moi», cette «madame moi», cette «sœur moi». Le tuer, c’est impossible ; c’est rêver en couleur. Le diminuer est possible si nous prenons le temps de nous asseoir, de faire silence, d’apaiser nos pensées. L’atténuer, mourir un peu chaque jour à la colère, à la tristesse ; l’acédie est une aventure évangélique. Contrairement à nous, Dieu n’est pas affecté par nos cœurs de pierre, nos nuques raides (Dt 9, 6). Il est un Dieu et non pas homme (Os 11, 9). Son regard de miséricorde n’atténue en rien l’obligation que la vérité soit faite et que les blessés parlent.
Le carême ne sera pas réussi parce qu’on a bien jeûné, qu’on a fait beaucoup d’efforts et partagé généreusement. Nos semblables peuvent en faire autant pour différentes raisons. Il sera une avancée dans notre vie spirituelle, humaine et relationnelle si nous arrivons à Pâques plus unis à Dieu que maintenant.
L’appel à un changement de cap doit être reçu comme le soulagement d’un joug, qui a nom nous-mêmes, pour intensifier notre mode de relation avec Dieu. Ce retournement vers le Père prend son origine dans notre baptême. Le défi est d’entrer chaque jour en profonde communion avec Dieu, ce Dieu épris de compassion pour l’humanité. Saisir plus à fond sa compassion à notre endroit nous pousse à nous faire proches des crucifiés d’aujourd’hui. Il nous fait non pas choisir Dieu ou le monde, mais choisir de porter sur notre entourage le même regard contemplatif de Jésus sur les Lévi d’aujourd’hui.
Ce retournement est autre chose qu’une simple activité sociale. C’est comme la reconstruction d’une ville détruite : on t’appellera celui qui répare les brèches, celui qui remet en service les chemins. En pratiquant ce jeûne de nous-mêmes, la garde du cœur, disent les pères du désert, nous développons notre potentiel d’humanité. Il ne s’agit pas de devenir parfait, c’est impossible. Il est impossible aussi que notre pensée ne soit pas troublée par telles ou telles idées, par les déviances et dérives de ténors de la foi. Il est en notre pouvoir de reprendre cette prière des disciples d’Emmaüs, abattus, sous le choc, reste avec nous, Seigneur.
Lors d’une audience[1] en novembre dernier, le pape François faisait remarquer comment Paul s’est comporté à Athènes. Plutôt que d’entrer en vive opposition avec ce milieu païen qui a de grandes ressemblances avec notre société actuelle, en observant la place que ce peuple réservait au Dieu inconnu, à l’inconnu connu (Benoît XVI, aux Bernardins, 2008), Paul leur dit d’expérience : ce que vous vénérez sans le connaître, voilà ce que moi, je viens vous annoncer (cf. Ac 17, 23). Son regard contemplatif lui fit voir autre chose que leur idolâtrie. Et le nôtre est-il contemplatif d’un Dieu qui continue à appeler tous les Lévi que nous côtoyons ?
Ce n’est pas en agressant, en condamnant qu’on entre en conversation avec l’autre. Que notre carême soit un temps pour contempler le mystère du crucifié qui se poursuit aujourd’hui. AMEN.
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