2017-A-Mtt 18, 21-35- mardi 3e semaine carême-envers qui ai-je une dette ?
Année A: mardi de la 3e semaine du carême (litac03m.16)
Matthieu 18, 21-35 : envers qui ai-je une dette ?
La perfection chrétienne ne consiste pas à s’attacher aux biens, mais à s’en détacher. Comme le démontre cette parabole du serviteur qui reçoit la remise de sa dette colossale, mais qui refuse d’écouter la demande de prolongation d’une somme dérisoire, cela est très difficile. Le détachement de Dieu est plus spontané que le détachement aux biens. Cela a pour conséquence un dérèglement du comportement humain. Un mot surgit en moi à l’écoute de cette parabole : confusion. Confusion devant la méchanceté du serviteur. Confusion devant la grande bonté du maître.
Thomas d’Aquin appelait ce comportement déraisonnable de la concupiscence, de l’attrait pour les choses périssables. On devient alors possédé par les biens plutôt qu’en possession de biens. Nous perdons toute notre liberté d’agir. Cette scène très humaine nous choque. Elle se reproduit tous les jours quand de richissimes personnes, par des moyens aux limites de l’acceptabilité sociale, se réjouissent de voir leurs biens «protégés», leur taux de taxation réduit, mais qui pour accroître leurs avoirs, exigent des petites gens des taux d’intérêt faramineux. C’est choquant. Injuste.
Ce matin, Jésus, pour réveiller le pharisien, et il y a un peu de nous en lui, prend l’exemple de deux débiteurs. C’est une manière délicate de nous demander : envers qui as-tu une dette ? À cette question, peut-être que spontanément nous disons : envers personne. C’est oublier que notre existence même est fondamentalement inscrite sous le signe de la dette.
Sur le plan humain, nous ne sommes pas notre propre origine. Le croyant a une dette envers Dieu. Dieu n’est que don. Il fait don de la vie, de SA vie, don d’une communauté de croyants, don de son pardon sans limites. Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs, lit-on dans la version du Notre Père selon Matthieu (6, 12).
Notre Dieu est tellement généreux qu’il s’empresse de nous mettre au doigt l’anneau de la fête (cf. Lc 15, 11s), de nous relever de nos chutes sans cesse répétées. Ne pas reconnaître cette dette colossale envers Dieu et son empressement à l’effacer, c’est presque se mettre au centre du monde. Ne pas avoir la même attitude envers le prêt que d’autres ont à notre endroit, c’est s’auréoler de la bête du moi, disait le journaliste Scalfari, interviewant le pape. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?
Notre débiteur, transformé en créancier qui est selon un auteur anonyme, un homme qui a peu de patience et beaucoup de mémoire, a glissé, dès la remise de sa dette, sur la pente de son avoir. Il n’a pas été en mesure de comprendre la bonté de son maître tellement il ne voyait que l’argent qu’il n’a pas à rembourser. Son regard n’était fixé que sur son avoir et ce regard s’est poursuivi sans pitié sur un de ses compagnons. Il était un aveuglé par l’argent. Question : et nous, sur quelle pente glissons-nous ? La réponse est importante si nous ne voulons pas nous y laisser entraîner, nous laisser anesthésier.
Il arrive trop souvent, parce que fatigué, ennuyé, de toujours glisser sur cette même pente, de confesser les mêmes choses que nous capitulons. À quoi bon reconnaître ma dette, ma faute, c’est toujours la même dette ? Une tristesse s’empare de nous. Nous anesthésions cette dette que les moines du désert appellent l’acédie, cette «maladie» qui fait qu’on n’a plus le goût de rien. Une des différences entre Pierre et Judas pourrait être que Pierre s’effondre (Lc 22, 55-62) tandis que Judas anesthésie sa culpabilité. Pierre accepte d’être pécheur tandis que Judas est emporté par sa tristesse.
Le psaume fait nôtre cette demande persistante: rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse, ton amour qui est de toujours [...] ne m’oublie pas, en raison de ta bonté. Dieu nous dégage de nos dettes envers lui. Il infuse en nos cœurs un vif sentiment de soulagement. Il attend que nous fassions de même. Simple gros bon sens. Quand on reconnaît le pardon de Dieu et qu’on fait de même, on possède tous les biens. AMEN.