QU'EST-CE QUE SERVIR ?
QU’EST- CE QUE SERVIR ?
" Donne tes mains pour servir et ton cœur pour aimer "
(Mère Térésa)
"Le premier de tous les biens est le service"
(J-J.Rousseau)
INTRODUCTION :
Pourquoi avons-nous été créés ? La réponse à cette question est toute prête chez les croyants. C’est celle du catéchisme de notre enfance. "Nous avons été créés pour Le connaître, L'aimer et Le servir." « Dieu appelle l’homme à le servir en esprit en en vérité ». (Vatican 11, dignitatis humanae 11) « Les croyants sont ceux qui ont servi le Seigneur en toutes choses ». (Lumen gentium 49)
L’Islam répond que l’homme est voué à Dieu, à Sa connaissance, à Son adoration, pour honorer Ses droits exclusifs. Connaître, aimer, servir, c'est notre unique raison d'être "mais le moi égoïste qui s'interpose nous fait oublier cela" écrit dans son journal spirituel Jeanne Schymitz-Rouly. (Page.80) St Ignace ouvre les exercices en proposant au retraitant comme première réflexion que « l’homme a été crée pour louer, respecter et servir Dieu Notre Seigneur » (# 23) « Servir (Dieu) c'est la vie de l'homme sur la terre » lisons-nous au livre de Job. (V11, 1)
Mais qu’est-ce que servir ? Aussi surprenant que cela puisse être, nous avons besoin de nous arrêter et de nous questionner pour finalement savoir que nous ignorons ce qu’est « servir ». Nous ne réussirons pas au terme de ces 48 heures, de saisir toute « longueur, la hauteur, la profondeur, la largeur » de ce mot. À peine en aurons-nous assez pour décider ou pas d’en vivre la radicalité.
Pour le dire sommairement, le mot « servir » pour qui en comprend le sens profond, provoque un bouleversement d’une telle profondeur qu’il fait vivre à contre-courant. Le mot « servir » pour Jésus, ce Jésus que nous suivons jusqu’à « nous revêtir de lui-même » pour citer la belle prière d’Élisabeth de la trinité, a signifié connaître la mort, pas seulement celle de la Croix, mais la mort de sa volonté, de son moi. Le mot « servir » pousse à ne plus exister. « Refuse-toi à toi pour adhérer à Moi » (Marie de la Trinité). Servir est un chemin pour re-découvrir nos origines. Pour nous re-fonder sur nos origines. Ce week-end est un appel à retrouver nos fondations communes.
CRÉÉS POUR SERVIR
À l’origine, nous étions essentiellement « service ». Nous avons été créés pour nous venir en aide. Un nouveau regard sur le péché originel en fait une « mauvaise manière de vivre » qui est pourtant une donnée incontournable de la nature humaine finie. Le salut consiste à vivre autrement notre finitude, à porter un autre regard sur nos origines. Le regard que nous portons sur le Christ en gloire nous autorise à prendre au sérieux l’affirmation biblique que la Création à l’origine était intègre. Que nous étions intègre. Servir nous permet de retrouver un état d’intégrité humaine. (Projet nouveau regard, Abbaye Saint Paul de Wisques)
C'est tellement vrai que le premier geste de Dieu au début du monde fut d'affirmer qu'il n'est pas bon que nous soyons seul. Le premier geste de Dieu fut de nous faire « conjugalité », de nous appeler à l’entraide mutuelle. Dieu nous « a donné la forme de la Trinité. » (Catherine de Sienne, Oraisons, cité dans collection Expérience de Dieu, Fides p. 37) Si nous nions cela, nous ignorons que notre vie est de toute beauté. La forme de vie de Dieu, est une vie de beauté relationnelle. Karl Barth a une affirmation plutôt étonnante mais très orthodoxe : « si on nie la Trinité, on a un Dieu sans beauté » « Dans sa ressemblance, nous manifestons la beauté de Dieu. » (Grégoire de Nysse) Nous sommes, dans le projet de Dieu, des êtres de relation, des « personnes » avant d'être des « individus ». Dit autrement, nous sommes créés pour être SERVICE. C’était cela le projet paradisiaque de Dieu. Très fort comme sens!
Notre but premier, notre plus grand désir est de nous accomplir, de nous réaliser. De devenir quelqu’un. Ce but n’est pas mesurable, quantifiable comme un objectif à atteindre. Il n’est pas quelque chose de l’ordre de l’avoir, du prestige. Il est de l’ordre de l’être. Cela passe par une « conversion » à ce que nous sommes. Nous sommes « conjugalité ». Nous sommes dans notre être profond appelés à nous épanouir en nous « payant respect » mutuel. C’est le sens profond du service. « Le service représente la réalisation suprême de la dignité de la créature, le rappel de toute sa dimension mystérieuse et transcendante ». (J-P.11 message pour journée des vocations 2003) Servir n’est pas une réponse à mon tempérament, à mes besoins personnels ou encore à mes tendances à tout vouloir « contrôler ». Oui nous pouvons servir pour mieux contrôler ! Servir est un chemin de réalisation de nous-même.
Si vous me suivez bien, servir est autre chose qu’un geste ponctuel, un devoir. Autre chose qu’un « faire » ou un « agir ». « Servir » ne sera jamais de l’ordre du « faire » mais plutôt de l’ordre de « l’être ». Impossible de nous réaliser sans être totalement en « état de service ». Cette manière de vivre donne du "poids de sens" à notre existence. Elle accroît notre « poids d’être ». Nous devenons humain en servant.
Servir, nous venir en aide mutuellement, nous payer de respect mutuel, est incontournable si nous voulons nous réaliser en tant que personne humaine. Rare sont les personnes qui ont d’autres ambitions que de se réaliser, s’accomplir. Nous ne devrions pas avoir un autre idéal que de servir.
Le service est au centre de toute vie réussie. Non seulement servir est au cœur de l’Évangile mais aussi de toutes les spiritualités précise le dictionnaire de théologie biblique. Le philosophe Kierkegaard affirme que «le but de la vie, c'est vraiment d'être soi-même». Nous sommes «conjugalité». Nous sommes des êtres « trinitaires » en état de service.
Nous accomplir, nous réaliser dans le service mutuel, en nous venant en aide dans le respect mutuel, c’est quelque chose qui nous est naturel. C’est quelque chose de divin aussi. Dieu nous a crées pour servir. Nous sommes nés pour LE servir jusqu’à devenir « semblable à Lui ». Nés pour Le servir en faisant connaître Son projet de vivre entre nous. Nous sommes conjugalité. Nous sommes fraternité.
Quand nous entendons le mot service comme un appel à aider, comme un mandat pour une « job », nous appauvrissons lamentablement sa portée et son sens. Choisis pour servir est fondamentalement autre chose que de nous croire envoyés pour faire « quelque chose ». Ce serait une approche très restrictive, réductrice de sens que de comprendre « allez vous aussi travailler à ma vigne » comme quelque chose à faire.
UN CHEMIN DE BÉATITUDE :
Si servir est ce qui nous rend en harmonie avec nous-même, avec nos origines, il faut en déduire que c’est aussi un chemin de « béatitude ». Un chemin de « plénitude ». Devenir par grâce – servir est une grâce de Dieu -, service. Dans des mots d’une grande sagesse, Grégoire de Nysse (1V siècle) affirme : «Ce que vous n'êtes pas devenus, vous ne l'êtes pas». Devenir par grâce semblable au Dieu de Jésus-Christ qui fut au service de son Père et au service de ceux et celles qui sont moins bien portants.
Notre beauté originelle, notre beauté première, notre béatitude première est d’être service. Nous sommes façonnés pour devenir "personne", "quelqu'un", "semblable à Dieu", "image et ressemblance à Dieu". Il y a en nous un ADN de Dieu. Dieu est SERVICE. Dieu est don total. Servir est l’autre nom de l’Amour. Réussir à être dans nos personnes service est l’œuvre la plus noble de toute vie. Cette réussite là nous fait être des « icônes » vivantes de la Trinité. Nous sommes créés pour devenir « trinité ».
Ce sens du service est bien loin de la devise « SERVIR D’ABORD » de certains clubs sociaux dont le club Rotory et qui est à comprendre comme faire quelque chose.
Durant le week-end, je développerai tout ce que peut signifier pour nous ces mots de la prière eucharistique (#2) : « Père nous te rendons grâce, car tu nous a choisis pour servir en ta présence ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous sommes ici pour rendre grâce à Dieu qui nous a choisis pour à Le servir, qui nous envoie Le servir en nous faisant « serviteur » de l’humanité. Devenir comme Jésus en état de service à son Père et de communion avec l’humanité
MAIS QU'EST-CE QUE SERVIR ?
1) C’est quelque chose d’exigeant :
Cela peut vous étonner mais servir est aussi exigeant qu’atteindre le sommet de l’Everest. Peu réussissent. Servir exige une longue préparation, beaucoup de volonté. C’est quelque chose d’astreignant. C’est un sommet d’accomplissement personnel. Un sommet aussi souhaité, désiré que celui du don de la prière. Il faut toute une équipe pour atteindre le sommet de l’Everest. Il faut une « Église » pour devenir en état de « serviteur ». Servir est le fruit savoureux d’une radicale conversion. Servir va nécessairement provoquer en nous un grand bouleversement qui va confirmer que le «royaume de Dieu est en nous ».
Servir est un « impossible nécessaire » pour tout ceux et celles qui veulent repousser toujours plus loin les frontières de l’illusoire recherche du « moi ». Il faut nous donner une «forme de penser » de connaissance évangélique qui ouvre sur une vie en forme d’évangile. Pour réussir cela, il faut déjouer sans cesse l’emprise de notre « ego » pour optimaliser un état de dépouillement, de renoncement toujours plus absolu. Il faut cesser d’être aveuglé par notre « moi », par la mentalité du « rien que moi » pour retrouver notre état originel, le centre de notre être. Le service est attaché à notre identité d’être humain. Il est attaché à l’état de disciples. Il nous fait « disciple » en acte.
2) c’est autre chose que « faire »
Deuxième étonnement : le service dont je parle n'est pas "faire du bien", ni "faire le bien", ce qui est tellement gratifiant. Ce qui donne naissance à des mouvements de solidarité, c’est une souffrance à soulager, une injustice à réparer, une tragédie « act of God » comme le tsunami. Nous approchons généralement quelqu'un quand leur histoire est hachée de misères, de ruptures, d'échecs, etc. Ces situations donnent naissance à de merveilleux actes de compassion. Ces gestes répondent à des urgences.
Le service, le « vrai » service, exige d'arracher de nos têtes tous les schémas de pitié, de compassion, de secours, de toute cette mise en scène de personnes généreuses. C’est très difficile. Il est tellement gratifiant de "faire le bien" ou culpabilisant de ne pas le faire. L'humanité en est truffée. Pour nous arracher à ce schéma de "faire du bien" ni « faire le bien », il faut savoir qu’aider n’est pas servir. Ce sont deux mots différents. Plusieurs cessent d’aider quand les gens n’ont plus besoin de rien.
Nous pouvons bien cesser d’« aider ». Nous ne pourrons jamais cesser de servir. Ce serait contre nature. Dieu nous a fait, je le répète, « conjugalité ». Servir est la seule manière de rencontrer quelqu'un sans porter le chapeau d'aidant. C’est la seule alternative possible si nous voulons devenir ce que nous sommes dans notre être profond. Quand nous servons Dieu, nous ne l’aidons pas. Il n’a pas besoin de notre aide ! Quand nous servons l’humanité, ce n’est pas pour l’aider. C’est pour nous accomplir.
3) autre chose que de « se servir »
Le théologien Karl Barth (Esquisse d'une dogmatique, Delachaux-Niestlé, 1950, p. 144) disait de l'Eglise mais cela s'applique à tous les domaines :" si l'Église n'a d'autre but que son propre service, elle porte en elle les stigmates de la mort". Quand « servir » nous rend service, nous fait du bien, nous dénaturalisons l’appel au service. Nous portons des stigmates de mort. Servir sera toujours au profit d’un autre que soi. (Peterson 1993, claire of Assisi).
Pour s’inscrire dans la lignée de nos origines, pour confirmer que nos vies se transforment lentement en « forme d’Évangile » pour que notre service soit Évangile de Jésus, servir doit passer au fer rouge de Croix, de l’absolu désintéressement, de l’enfouissement de notre « moi » . En ce sens, servir exige une conversion qui confirme que nous voulons mettre en mots notre connaissance, notre foi en Jésus. Servir photographie l’extérieur mais oriente les regards sur l’inspiration intérieure. Une photographie qui sera utilisé lors du jugement dernier. « J’avais faim, soif, j’étais nu etc ».(Mtt 25) Servir est un « sacrifice de louange», c’est « sacrifier» quelque chose. C’est « faire pénitence ». Ce sera toujours une forme d’abandon, de privation. Une forme d’enfouissement. Servir, c’est consentir à n’être rien. « Toi deviens MOI et Moi, je serai toi.» (Marie de la Trinité) Servir, c’est disparaître et non apparaître ni paraître.
4) Servir est une vocation ;
Nous pouvons être « aidant naturel ». Il y a en nous des « penchants » de bonté, de générosité, de compassion. Ce sont là des richesses innées de notre nature humaine. Nous sommes « naturellement » aidant. Mais servir est un appel, une vocation qui naît à la suite d’un long regard posé sur ce que nous sommes. Sur Jésus. C’est une vocation qui vient au terme d’un long processus de changement de « moi », processus qui nous conduit d’apprentissage en apprentissage à changer de «vieux vêtement » pour du «neuf ». Trop souvent nous voulons faire du neuf avec du vieux. Envoyés pour servir. Appelés pour servir. Choisis pour servir en ta présence.
Servir est une vocation qui nous transforme en personne de miséricorde, qui nous fait « proche des demi-morts » comme l’indique la final de la parabole du bon samaritain.
Comme toute vocation, servir ne sera donc jamais quelque chose d’individuel. C'est comme chrétien, comme communauté chrétienne que nous sommes en état de service. C’est la communauté chrétienne qui est choisie pour Servir.
Comme toute vocation aussi, servir ne sera jamais « limité » exclusivement réservé à nos proches, à notre entourage ou encore à notre communauté chrétienne. La nature même de toute vocation est d’être universelle. Choisis pour servir, j’ajoute, sans exclusivité, sans exclure même nos opposants, nos « ennemis » dit l’Évangile. Choisis pour « proclamer que le Royaume de Dieu est au milieu de nous. » Question : sommes-nous prêts à servir même nos ennemies ?
Servir est aussi une manifestation de notre liberté par rapport à l’envahissement de notre « moi » et de notre responsabilité face aux autres.
Bref, servir est le chemin le moins fréquenté ou difficilement fréquenté. Il est un chemin de réalisation de nous-même, d’accomplissement. Il ouvre sur une plénitude d’être, une plénitude de vie. Sur une béatitude. Servir est au centre de toute vie, de toute vie chrétienne. De toutes les spiritualités. Servir est impossible « sans l’acquisition du saint-Esprit» (Séraphin de Sorov). Il nous identifie au Christ Serviteur souffrant qui donne sa vie. Nous sommes envoyés pour servir et non pour nous asservir.
5) servir est une spiritualité.
Créés pour servir. C’est une mission. C’est une spiritualité aussi qui rejoint toutes les grandes religions du monde. Servir confirme que nous avons franchi la distance entre le dire et le faire, « la foi et les œuvres ».
Spiritualité qui nous « éveille » sur autre chose que nous-même. J’y reviendrai dimanche matin.
Retenons simplement avec Marie de l’Incarnation, la Thérèse d’Avila du nouveau monde, femme mystique et très engagée
« Que l’âme étant parvenu à cet état de l’union à Dieu il lui importe peu d’être dans l’embarras des affaires ou dans le repos de la solitude; tout lui est égal, parce que tout ce qui la touche, tout ce qui l’environne, tout ce qui lui frappe les sen, n’empêche point la jouissance de l’amour actuel. Dans la conversation et parmi le bruit du monde, elle est en solitude dans le cabinet de l’Époux, c’est-à-dire dans son propre fond où elle le caresse et l’entretient, sans que rien ne puisse troubler ce divin commerce » ( cité par Max Huot de Longchamp, direction spirituelle, oraison 2, ed. centre saint Jean de la Croix, 2002 p 41)
CONCLUSION : QUI EST CHOISI POUR SERVIR ?
Comme humain, servir est une réponse à devenir origine. Comme chrétien, servir nous configure au Christ. C’est toute l’humanité qui est « choisie » pour servir. C’est toute la communauté qui est choisie pour servir. Ce n’est pas en tant qu’individu que nous sommes choisis mais en tant que communauté. C’est la communauté dans son ensemble qui est service. Je deviens service parce que membre de la communauté humaine et chrétienne. « La multitude de ceux qui étaient devenus croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme et nul ne considérait comme sa propriété l’un quelconque de ses biens. Ils mettaient tout en commun. » (Actes 3, 32. 34. 35)
«Beaucoup d’appelés. Peu y répondent ». Nous sommes ici pour questionner notre qualité de notre « être service » que ce soit dans l’ordre sacerdotal, diaconal ou comme agent et agente de pastorale ou comme chrétien.
C’est parce que nous avons entendu des paroles émouvantes : « je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous appelle mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père » (Jean, XV, 15) que nous voulons ardemment devenir « serviteur », « tu nous as choisi pour servir en ta présence ».
L'Église dit Vatican 11 a une triple missions : annoncer, célébrer et pratiquer. Pratiquer la diaconie, le service. Cette « pratique » ne sera jamais un mouvement qui se réduit à faire des choses mais un mouvement ascétique. « Je t’ai choisie pour être MOI et non pour être toi. » « Tu as mission de disparaître plutôt qu’apparaître. » (Marie de la trinité).
Permettez en terminant que je paraphrase un passage de l’encyclique de Benoît XV1 : « À l’anti-culture de la mort, qui s’exprime par exemple dans la drogue, s’oppose la culture du service (le texte dit l’amour) qui ne se recherche pas lui-même, mais qui, précisément en étant disponible à «se perdre» pour l’autre (cf. Lc 17, 33 et par.), se révèle comme culture de la vie. » (#30)