VIVRE COMME JÉSUS
CAUSERIE #5 : VIVRE COMME JÉSUS
DIMENSION SOCIALE : RÉFLEXIONS APRÈS LA MISE EN COMMUN :
C’est sous forme de « flash » que je vous livre mes réflexions inaugurales de cette journée.
- « Faire mémoire », ce n’est pas simplement « se rappeler »,
c’est plutôt « faire revivre »
Un culte qui ne transforme pas notre vie n’est qu’hypocrisie. Une vie liturgique qui ne se prolonge pas par ce que saint Jean Chrysostome appelle le « sacrement du frère », n’est pas chrétienne, mais de la « religion païenne », de la religiosité. « Ce n’est pas celui qui dit: "Seigneur ! Seigneur!", mais celui qui fait la volonté de mon Père qui entrera dans le royaume de Dieu » (Mt 7, 21). Il ne s’agit pas de « faire mémoire », il s’agit d’être mémoire vivante du Christ. Il n’y a pas d’orthodoxie sans action droite, sans orthopraxie. Participer à l’eucharistie, c’est permettre à Dieu de créer entre nous le lien le plus profond qui soit, au niveau même de l’être.
Il s’agit d’être des praticiens de ce que nous célébrons en faisant revivre les options de Jésus, ses idéaux, ses prises de position, ses actions. «Faire mémoire » ne nous mène pas à l’adoration mais à l’engagement à continuer sa manière de vivre. Nous avons été éduqué plus à l’adoration qu’à l’engagement. «Alors que Jésus a demandé de s’engager, on l’a adoré. C’est beaucoup moins contraignant». (Odette Mainville Le repas aujourd’hui… en mémoire de Lui, Fides-Médiaspaul (p.51) Ne faut-il pas maintenir les deux bouts de la chaîne : l’engagement et l’adoration ? Une mystique comme Marie de l’Incarnation ne dissociait pas les deux termes. Ce fut une adoratrice autant qu’une femme d’action. C’est aussi le message de Marcelle Veyrac quand elle écrit : « Par nous, le Christ veut se répandre, grandir, jusqu’à ce que son corps parvienne à l’âge adulte. Rien ne nous dispense de cette action ». (Rendez-vous avec l’histoire, formation 1997)
« Faire mémoire » c’est faire “advenir”. «Faire mémoire» est un programme de vie. C’est recevoir un mission : Nous devenons des « porte-Christ » (Cyrille de Jérusalem). Nous devenons tellement « ivre » que nous menons une existence eucharistique. «Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi… (Gal 2,20), et le Christ crucifié» (1 Cor 2,2). Paul a très bien résumé cela quand il a dit aux Thessaloniciens qu’ils devaient «faire eucharistie en toute chose» (1 Th 5,18). «Je vous exhorte à lui offrir votre personne» (Rm 12,1). C’est ça une existence eucharistique. C’est la grande définition de la vie spirituelle chez saint Paul. C’est le sommet où conduit l’eucharistie.
Une eucharistie que je vivrais pour moi tout seul, tête très penchée et l’air angélique, ça n’a aucun sens. Si notre relation au Christ est toujours personnelle, elle est toujours aussi communautaire, ecclésiale.
Un couplet du chant thème du congrès affirme : « Le pain et le vin de chaque eucharistie ; Deviennent entre nos mains Don de Dieu pour la vie… La vie du monde ! »
2) Vivre l’eucharistie est très compromettant :
Communier est un « sacrement » qui nous dépouille de nous-même.
L’eucharistie n’est pas un acte cultuel qui regarde notre sensibilité individuelle ou notre jouissance personnelle. Elle est une «ordination centralement évangélique qui identifie constamment la communion avec Dieu à la communion avec le prochain » (Zundel, un autre regard sur l’eucharistie p.115) Vivre l’eucharistie n’est rien d’autre qu’un sacrement qui nous dépouille de nous-même. «L’eucharistie nous tire hors de nous-mêmes» (Benoît XVI, encyclique Dieu est amour #13), vers Dieu et vers les autres. Il poursuit : «Je ne peux avoir le Christ pour moi seul ; je ne peux lui appartenir qu’en union avec tous ceux qui sont devenus ou qui deviendront siens» (# 14). « Une Eucharistie qui ne se traduit pas en une pratique concrète de l’amour est en elle-même tronquée» (Benoît XVI, encyclique sur l’amour #14).
Il nous faut mettre notre « communion » en action, l’eucharistie en action. L’eucharistie, dans le sens fort du terme, nous fait «communier» à Jésus. C’est le sacrement qui oblige à agir comme Jésus. Le Cardinal Newman disait que « la vraie raison pour laquelle on ne veut pas venir à l’Eucharistie est qu’on ne désire pas mener une vie chrétienne et on se doute que ce sacrement y oblige ». Il nous y oblige, c'est-à-dire qu'il nous y entraîne !
Le Christ a changé le pain et le vin en son corps pour changer nos vies en La sienne. «Toi, deviens Moi, et Moi, je serai toi» (Marie de la Trinité). Il nous faut devenir des « présences réelles » de Jésus. Si l’eucharistie ne nous offre pas le chemin pour ne plus exister, c’est qu’elle est fausse et que nous idolâtrons le Christ.
La communion engendre la communion. Elle mène à la mission. «C’est une communion qui est missionnaire» (VC° 46). Communier à Jésus est autre chose que de recevoir un simple morceau de Pain. Que de recevoir notre « petit Jésus » pour moi tout seul. Communier, c’est ne plus nous appartenir. Nos personnes, notre être profond, sont métamorphoser dans son « être divin ». Il ne s’agit plus de « faire » des choses mais d’être « sacrement » (Zundel) d’une Présence. Être perdu en Dieu dans la communion, -c’est ça la mystique de la communion- c’est nous retrouver de plein fouet au cœur du monde. «J’avais faim. J’avais soif» (Mtt 25). L’eucharistie nous fait «sortir insensiblement de l’étroitesse de sa propre vie pour naître à l’immensité de la vie de Dieu» (Edith Stein, Le Mystère de Noël). Vivre de l’eucharistie, c’est s’engager à disparaître. Je le redis : c’est le sacrement qui nous dépouille de nous-même. « C’est l’eucharistie qui fait les martyrs » (saint Jean Bosco, écrits spirituiels).
St François de Sale dans une lettre à Jeanne de Chantal (1608) lui parlant de la communion écrit : « Il faut avoir Jésus-Christ au cerveau, au cœur, en la poitrine, aux yeux, aux mains, en la langue, aux oreilles, aux pieds. Que fait-il là ? Il redresse tout, il purifie tout, il vivifie tout… Il fait tout en nous alors nous vivons non pas nous-mêmes, mais Jésus-Christ vit en nous ».
3) Lien entre « sacrement de l’autel » et « sacrement du frère »
Au soir du jeudi saint, Jésus a unifié l’amour de Dieu et celui du prochain. Ce soir-là, Jésus a inventé «le secours catholique» (Jean Eudes). Il nous a offert une manière de vivre, une «synthèse vivante de la foi» (Benoît XVI, clôture du synode 2005). Le sacrement de l’autel conduit au «sacrement du frère». «Participer à l’eucharistie nous transforme en ce que nous consommons» (Saint Grégoire le grand, lecture 2e semaine pascale). Elle nous fait porteur «d’un projet de solidarité pour l’humanité toute entière (#27), lutter contre telle ou telle forme des nombreuses pauvretés de notre monde» (Encyclique sur l’eucharistie (n°28).
Saint Jean Chrysostome a des paroles très fortes quand il dit : « à quoi nous servirait d'honorer le Corps du Christ si nous le dédaignons quand il est nu. Ne l’honore pas à l’église par des vêtements de soie pour le négliger dehors où il souffre du froid et de la nudité. Celui qui a dit «ceci est mon corps» est le même qui a dit «vous m’avez vu affamé et vous ne m’avez pas nourri». Quelle utilité à ce que la table du Christ soit chargée de coupes d'or quand lui-même meurt de faim ? Rassasie d'abord l'affamé et orne ensuite sa table. Tu fabriques une coupe d’or pour l’autel et tu ne donnes pas une coupe d’eau aux assoiffés. »
Jésus, anticipant sa mort, transforme la violence contre Lui en acte de donation de sa vie (Cardinal Ratzinger). Il transforme l’acte de tuer en acte de salut. La mort en vie. En «communiant» à cet acte, nous devenons solidaires de la transformation des horreurs autour de nous en situation de paix. Nous sommes “prolongement” de sa Personne dans l’histoire. L’eucharistie nous fait «communion» au Père dans la foi et «communion» à l’humanité. Le mot est tellement utilisé qu’il en perd de sa saveur. Une Parole qui ne devient pas action est une parole morte, vide de sens. “Parler pour ne rien dire” existe. Faire mémoire mais ne pas en vivre existe. «Qu'est-ce que manger sa chair et boire son sang, sinon communier à ses souffrances et imiter cette manière de vivre qui fut la sienne dans la chair» (Bernard de Clairvaux).
Il y a des chrétiens qui sont peu chrétiens. Leurs comportements font mal à la foi. Karl Marx affirmait que le christianisme avait disposé d’un millénaire pour faire ses preuves et qu’il n’a pas réussi. Il a offert sa propre solution en prônant un horizontalisme sans Dieu.
4) Vivre en état de « miséricorde »
En nous donnant l’Eucharistie, en devenant des transformés par le Pain, Jésus nous transforme en «sacrement de la miséricordes (Jean Eudes). Nous devenons dans nos personnes des «œuvres de miséricorde». Ce qui a fait dire à Jean Eudes que la naissance de Jésus «est l’œuvre de sa plus grande miséricorde». Communier à Jésus, c’est être mandaté à faire naître une “nouvelle cité”, une Jérusalem où la solidarité, la communion, l’harmonie remplaceront la haine dans les cœurs, la violence et les divisions.
L'eucharistie conduit aux affamés. Pas seulement aux affamés de pain mais aussi aux affamés d'une Parole qui les relève, qui les relance. L'eucharistie conduit aux souffrants de solitude, aux exclus. «L’eucharistie est sacrement de la communion, qui unit Dieu à l’homme, et les hommes entre eux» (Madame Acarie, fondatrice du Carmel en France en 1580). Cette dimension “solidarité”de “non-violence”, de paix, ne doit pas être “entre nous”. Elle ne doit pas nous “divorcer” d’avec ceux du dehors.
5) Se souvenir de l’Avenir
N’allons pas nous imaginer que ce “travail-là” de « faire mémoire » d’être le «corps du Christ» nous soit acquis. «Celui qui monte ne s’arrête jamais d’aller de commencement en commencement par des commencements qui n’ont pas de fin. Jamais celui qui monte n’arrête de désirer ce qu’il connaît déjà». Ces mots sont extraits d’une homélie de Grégoire de Nysse à son peuple. Ils invitent à nous souvenir d’un avenir à venir.
Nous sommes à l’aube d’une autre civilisation et l’évangile a quelque chose à lui apporter. Il faut innover. Ne pas craindre d’oser. Des tâches neuves nous attendent : créer et recréer des liens avec les gens. Y compris avec nos voisins qui vont à Dieu d’une autre façon. Il n’y a plus, pour le croyant, de Juif ou d’étranger, de riche ou de pauvre, d’athée ou d’incroyant, il n’y a que des humains qui souhaitent devenir « humain ». C’est ce que vient de dire Benoît XVI aux Nations Unies. Il invite à intervenir, par la diplomatie active, là où l’avenir est bloqué. Où l’inhumain règne en force.
Jean-Paul II termine sa lettre annonçant l'année de l'eucharistie, par une affirmation «l'envoi à la fin de chaque Messe constitue une consigne qui pousse le chrétien à s'engager pour la diffusion de l'Évangile et pour l'animation chrétienne de la société» (n°24) et par une question : «Pourquoi ne pas faire de cette Année de l'Eucharistie un temps au cours duquel les communautés diocésaines et paroissiales s'emploieraient de manière spéciale, par des actions fraternelles, à lutter contre telle ou telle forme des nombreuses pauvretés de notre monde?» (# 28). J’ajoute que la solidarité dont il est question «n’est pas une sorte d’activité d’assistance sociale» (Benoît XVI, encyclique sur l‘amour # 25). Elle appartient à la nature même de l’eucharistie.
Au terme de ces trois jours de formation sur l’eucharistie, sachez qu’une foi que n’est pas action est une foi morte. Elle est comme une langue qui ne se parle plus. Vivre l’eucharistie, c’est « faire mémoire » d’une mission :
- d’aller vers ceux et celles qui n’ont plus d’espérance.
- d’aller vers ceux et celles qui font des prodiges pour faire vivre leur famille.
- d’aller vers ces jeunes et moins jeunes qui ont peur pour l’avenir de la planète et qui veulent à tout prix sauver la beauté du monde et la confier à leurs enfants.
- d’aller vers toutes ces personnes oubliées, qui ne mettent plus les pieds à l’Église parce qu’elles souffrent encore de décisions qu’on a prises à leur égard.
- d’aller vers ceux et celles qui se sentent exclus de cette table comme les divorcés, les chômeurs, les assistés sociaux, etc. L’eucharistie est un acte de communion et non un acte d’exclusion. (voir http://www.culture-et-foi.com/dossiers/eucharistie/marcelo_de_barros.htm)
FAIRE EUCHARISTIE, C’EST SORTIR DEHORS SANS SORTIR DU CŒUR DE DIEU.