PRIER LA PAROLE
CAUSERIE #3 PRIER LA PAROLE
« Cherchez en lisant et vous trouverez en méditant; appelez en priant et l’on vous vous ouvrira dans la contemplation. » (Saint Jean de la Croix)
INTRODUCTION
Pour plusieurs, même parmi les chrétiens pratiquants, la parole de Dieu se limite aux textes liturgiques qui se trouvent dans le Prions en Église. Ce n’est pas rien mais ça fait « fast food ». La majorité des chrétiens n’a aucun contact personnel avec l’Écriture. La bible qui se retrouve dans chaque famille est souvent un élément décoratif. Rares sont ceux qui l’utilisent pour prier la parole.
Il faut plus que posséder la bible dans nos foyers. Il faut plus que lire des textes. Il faut que les textes nous réchauffent le cœur, qu’ils deviennent des paroles qui nous ressuscitent. Il faut prier la parole de Dieu. Nous décelons actuellement une demande, une faim, un désir profond de la parole de Dieu « écrit pour toi » (Ps 40, 8). Comment éveiller en nous de l’appétit jusqu’à « manger ce livre »? (Ez 3, 1). Comment ce livre peut-il devenir « ravissement et allégresse de nos cœurs » ? (Jr 15, 15) Cela passe par une lecture approfondie, méditée, personnalisée. « L’ineffable douceur [de ce livre], la lecture la recherche, la méditation la trouve, la prière la demande et la contemplation la savoure » (Guigues le Chartreux, Échelle du Paradis).
« Le synode propose que l'on exhorte les fidèles, également les jeunes, à aborder les Écritures à travers une lecture orante et assidue (DV 25), afin que le dialogue avec Dieu devienne une réalité quotidienne du peuple de Dieu » (Proposition no 22, Synode 2008). Le texte final adressé au Pape ajoutait la figure de Marie qui « conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur » (Lc 2, 19).
Notre lecture ne doit pas seulement être cérébrale, livresque. La lecture d’un passage de l’Écriture devrait de temps en temps susciter en nous une « ineffable douceur ». Lire ce livre suppose que nous avons le désir de vivre « comme des paroles de Dieu » ou la volonté d’abolir toute distance entre la parole et notre vie. « Applique-toi avec constance et assiduité à la lecture sacrée jusqu’à ce que l’Écriture te transforme à sa ressemblance » (Cassien, Conférence 14,11). « Nous avons besoin de faire descendre l'expérience des Ecritures de la tête dans le cœur par une lecture méditative, priante» (Intervention au synode de Mgr FABBRO, C.S.B., Évêque de London).
Il ne s’agit pas de lire pour lire ou même pour apprendre. Cette lecture, depuis la nuit des temps, a pour nom la lectio divina. (Il y a une différence entre lectio divina et lecture spirituelle). Elle est un chemin de sanctification. Jésus lui-même a prié les Écritures. Prier la parole, la ruminer jusqu'à ce qu'elle fasse « son œuvre en nous les croyants » (1 Th 2, 13).
Prier la parole pour qu’elle prenne feu en nous n’est pas le propre des moines. Jean Chrysostome (1Ve siècle) disait à des chrétiens ordinaires : « Tu estimes la lecture des divines Écritures réservée aux seuls moines, alors qu’elle te serait bien plus nécessaire qu’à eux. Qui vit au milieu du monde et y reçoit chaque jour des blessures a bien plus grand besoin de remèdes. Aussi, y a-t-il encore un plus grand mal que de ne pas lire, c’est croire la lecture vaine et inutile. Quand vous rentrez à la maison, vous devriez prendre l’Écriture et, avec votre épouse et vos enfants, relire et répéter ensemble la parole écoutée à l’église ». Avant lui, saint Cyprien disait aux chrétiens : « Quand tu pries, tu parles avec Dieu, quand tu lis, Dieu te parle » (Ad Donatum, 15).
Saint Grégoire le Grand, un grand pasteur, écrit : « plus un saint progresse dans l’Écriture sacrée, plus l’Écriture même progresse avec lui » (Quand la parole prend feu, p.56). L’Écriture grandit en nous quand nous la lisons. La lectio divina n’est pas une simple option comme le serait la lecture spirituelle ou un exercice de dévotion, c’est notre identité chrétienne. Le texte que nous avons devant les yeux est bien plus qu’un écrit. Il ouvre sur un « dialogue de prière » (Secondin, Bruno, o.c.d.) avec celui qui parle. « Priez, afin que la parole du Seigneur accomplisse sa course » (2 Th 3, 1).
Dans sa lettre ouvrant le millénaire (n°39), Jean-Paul II reprenait cette même observation: « il n’y a pas de doute que le primat de la sainteté et de la prière n’est concevable qu’à partir d’une écoute renouvelée de la Parole de Dieu […] Il est nécessaire que l’écoute de la parole de Dieu devienne une rencontre vitale, selon l’antique et toujours actuelle tradition de la lectio divina ». Benoît XVI recommande « la pratique de la lectio divina pour apprendre à penser avec le Christ, pour avoir les sentiments du Christ, être capable de transmettre aux autres la pensée du Christ, les sentiments du Christ ». Un peu avant son élection, le cardinal Ratzinger déclarait au Conseil des Conférences épiscopales européennes « que la lectio divina est un élément fondamental dans la formation du sensus fidei et par conséquent notre tâche la plus importante ».
Jésus lui-même qui, par personne inspirée, est l’auteur premier des Écritures, nous le demande : « scrutez les Écritures » (Jn 5, 39). Jean de la Croix écrit : « Je ne dirai rien qui ne soit déjà dans l’Écriture ». « Vous êtes dans l’erreur, dit Marc (12,24), parce que vous méconnaissez les Écritures et la puissance de Dieu ».
Lire et prier la parole de Dieu est un chemin incontournable de sanctification personnelle :
« La parole de Dieu est la substance vitale de notre âme ; elle la nourrit, l'entretient et la gouverne ; rien en dehors de la parole de Dieu, ne peut faire vivre l'âme de l'homme » (saint Ambroise).
« Une si grande force, une si grande puissance se trouve dans la parole de Dieu, […] elle se présente comme la nourriture de l'âme, la source pure et intarissable de la vie spirituelle » (Dei Verbum, no 21).
« La lecture assidue de l'Écriture sainte réalise le dialogue intime dans lequel, en lisant, on écoute Dieu qui parle et, en priant, on lui répond avec une ouverture du cœur confiante » (Benoît XVI, septembre 2005, Congrès international sur l’Écriture sainte).
« J’aime pas ça », disent souvent les enfants devant un plat. Et les parents répondent habituellement : « goûtes-y avant ». C’est la même chose pour la parole de Diu. « Goûtes-y avant ». Lire pour goûter, non pas pour apprendre du nouveau sur Dieu et encore moins pour préparer un cours de catéchèse.
Goûter la parole, prier la parole est un travail à entreprendre: Travail de l’intelligence : « il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures » (Lc 24, 45); travail du cœur : « aujourd’hui n’endurcissez pas votre cœur » (Ps 95, 7-8); travail de l’oreille : « chaque matin, il éveille mon oreille pour que j’écoute comme un disciple » (Is 50, 4-5); travail de la bouche : « ouvre large ta bouche et je l’emplirai » (Ps 81, 11). Il faut consacrer autant d’importance à prier la parole, à vivre de la parole comme nous en consacrons à parler de l’eucharistie.
Pour nous aider dans ce travail de goûter, de prier la parole, le synode reprend à son compte les grands auteurs spirituels et parle d’une échelle à quatre échelons: la lecture (lectio), méditation (meditatio), prière (oratio), contemplation (contemplatio). Elle a « peu d’échelon, dit Guigues II le Chartreux, mais elle est d’une incroyable hauteur ». Ces échelons nous élèvent de la terre au ciel. Pour le dire autrement : « la lecture apporte une nourriture substantielle à la bouche, la méditation mâche et triture cet aliment, la prière obtient de goûter, la contemplation est la douceur même qui réjouit et refait » (Guigues II le Chartreux).
LIRE LA PAROLE :
Tout commence par une lecture de la parole. Jésus le déclare : « scrutez les Écritures » (Jn 5, 39) Fréquenter la parole, la scruter, la courtiser, nous familiariser avec elle, garder comme un trésor dans le coffre-fort de nos mémoires de brefs passages. Lire pour faire une place à la Parole qui une fois en nous, va « pousser sans qu’on sache comment », que nous dormions ou que nous nous levions (Mc 4, 26-29).Pour prier la parole, pour que la semence porte du fruit, il faut d’abord lire la parole. Il faut avoir « les yeux fixés sur Jésus ». Simple évidence! Lire lentement le texte (certains suggèrent à haute voix) en évitant d’en faire une lecture comme les autres.
Ce n’est surtout pas une lecture rapide, ni une lecture profane ou pieuse, ni un simple survol du texte. Nous devons d’abord être des auditeurs (lecteurs) de la parole avant d’élever nos cœurs à la prière. Quelqu’un donne ce conseil très judicieux : « si vous disposez d’un quart d’heure avant de commencer votre lecture, ne lisez pas le Paris Match ». Si nous ne faisons aucun effort avant de commencer la lecture, « tout ce que nous avons dans l’esprit avant l’heure de l’oraison, nous est fatalement représenté par la mémoire tandis que nous prions », écrit Cassien (+435) le grand maître de la prière.
Guerric nous donne ce conseil judicieux : « Vous donc qui vous promenez dans les jardins des Écritures, gardez-vous de les traverser d’un vol rapide et inactif ; mais scrutez chaque chose, comme les abeilles diligentes recueillent le miel des fleurs, recueillez l’esprit dans les mots». « La lecture est la considération attentive des Écritures, faite par un esprit appliqué » (Guigues II). Lire la plume à la main pour nous constituer notre trésor de paroles de Dieu à ruminer. À la manière d’une abeille qui sait butiner le miel des fleurs, il nous faut butiner, extraire de la parole, tout le miel qu’elle cache. Cette lecture fournira un contenu à notre méditation.
Il faut étudier le texte en évitant une lecture fondamentaliste, rappelle le synode. Ce travail de base est exigeant. Il est incontournable. Il ne s’agit pas de nous adonner à une lecture trouvée par hasard, sans suite, mais à une lecture « déterminée à des heures déterminées » (Lettre au Mont-Dieu). La tentation est souvent forte d’ouvrir la bible quand nous en avons le temps. En pratique, nous n’en n’avons jamais.
Lire l’Écriture est un moment de rencontre avec la parole. Un temps consacré à l’écouter. Un temps qui nous ouvrira à la prière (deuxième étape). Un temps consacré à nous regarder dans le miroir de la parole. Le texte que nous lisons est un miroir de ce que nous sommes face à Dieu. Il faut laisser le texte se frayer un chemin par delà nos surdités et encombrements pour qu’il nous parle. C’est plus qu’un texte qui est devant nous, c’est une semence (Mt 13, 19). C’est un texte « écrit pour toi » (Ps 40, 8).
Nous lisons l’Écriture pour écouter Dieu nous parler tout en se promenant dans son jardin. « Lorsque nous lisons les Écritures, c’est Dieu qui se promène avec moi dans le paradis » (saint Ambroise ). Plus nous fréquentons ce jardin, plus nous prenons plaisir à en faire le tour, à lui laisser raconter sa vie, à découvrir les richesses de son cœur.
Nous lisons pour pratiquer la parole, pour la prier. Madeleine Delbrêl dit admirablement cela quand elle écrit : « si nous assimilons les paroles des livres, les paroles de l’Évangile nous pétrissent, nous modifient, nous assimilent pour ainsi dire à elles ».
Cette lecture requiert beaucoup d’attention d’autant plus que le texte nous est généralement connu. Il faut entrer dans le « monde du texte » (Ricoeur). Le passage que nous lisons est tout un monde avec ses mots, son style, sa vision, son message. D’où l’importance de lire pas seulement avec les yeux mais avec un crayon pour noter un mot, une série de mots, une phrase. Nous ne lisons pas la parole de Dieu pour y extraire un passage, pour y trouver un thème de catéchèse, mais pour laisser Dieu entrer en nous. La parole qui est sur nos lèvres doit entrer dans nos cœurs. Il faut comprendre ce qui est dit et non pas ce que me dit le texte. Il faut éviter d’en faire une lecture «subjective», précise le document préparatoire. La bible s’explique par la bible.
MÉDITER LA PAROLE
Il faut plus que lire un texte biblique. Il faut aller plus loin que les mots qui seront toujours extérieurs à nous. Il faut les intérioriser, les assimiler, les laisser pénétrer en nous. Il faut réfléchir sur la parole lue, discourir pour la comprendre, garder la parole pour s’en nourrir, la mémoriser. « Sans cela, la parole ne s’abaissera pas jusqu’à toi » (Origène). Elle ne pourra pas remplir nos vases vides.
Si nous lisons avec l’oreille du cœur, notre lecture transformera notre cœur à cœur en un face-à-face. Elle nous établira lentement dans une « conversation coulante » (H.U Balthasar) ou « un commerce d’amitié » (Thérèse d’Avila) avec Dieu. Jean de la Croix appelle cet échelon l’oraison mentale et Thérèse d’Avila l’oraison de recueillement.
Les grands priants nomment ce deuxième degré de l’échelle, la rumination. « Il faut chaque jour détacher quelques bouchées de la lecture quotidienne et confier à l’estomac de la mémoire un passage que l’on digère mieux et qui, appelé à la bouche, fera l’objet de fréquentes ruminations, qui mobilisera et centrera toute notre attention » (Guillaume de saint Thierry, Lettre aux frères du Mont-Dieu, no 122). Thérèse d’Avila affirme ici que l’intelligence se met en activité pour enflammer la volonté à atteindre la perfection.
Cette deuxième étape demande un effort. C’est un travail qui vise à éveiller en nous le souvenir permanent de Jésus et qui nous conduit à porter « une attention amoureuse » (Jean de la Croix, Montée du Carmel, 11,13, 3).
La lecture d’un passage des vendeurs du Temple, de la Samaritaine, de l’appel des disciples nous donne des images à méditer qui nourrissent notre imagination des choses de Dieu. Méditer fait surgir en nous une succession de mots, de pensées, de sentiments qui ouvrent sur un « commerce d’amitié ». «Chercher dans la lecture, vous trouverez par la méditation». Il faut amener à la mémoire, se souvenir d’un passage, le remémorer souvent pour nous en nourrir. La méditation permet d’entrer en nous-mêmes pour entretenir nos mémoires des choses de Dieu. Saint Augustin donne un conseil précieux : « ne te disperse pas au dehors ».
Pour qu’une « tune », une mélodie populaire atteigne le sommet du palmarès, il faut qu’elle soit jouée plus de 70 fois par semaine. Sans cela, elle n’arrive pas à s’imposer. Pour que la lecture devienne une « tune » à frelater, qui nous tienne en éveil, il faut fermer la porte aux « tunes» « des réalités d’en bas ». Fermer la tête et ouvrir le cœur, ce sont « des pratiques difficiles au commencement mais qui avec le temps deviennent faciles » (Jean Joseph Surin (1600-1665), Lettre Carême des cancres, 2007, p. 32.)
Méditer ce que nous lisons « c’est tendre les voiles de l’Esprit-saint, sans savoir sur quel rivage nous aborderons » (saint Jérôme, commentaire sur Ezéchiel XII, cité par Mgr Lebel p. 23). Méditer, « c’est sortir Jésus caché et emprisonné sous la lettre» (Saint Jérôme), pour le faire entrer dans nos cœurs.
PRIER LA PAROLE
La parole a été lue. Elle a été méditée. Cela dépend de nous, mais ne nous permet pas nécessairement de savourer la parole de Dieu. Lire et méditer, les non-croyants aussi le font. Sans que nous le réalisions, cette activité régulière, constante de lire la parole, de réfléchir sur elle, nous amène à passer à l’oraison. Contrairement aux précédentes étapes, ce passage ne nous appartient pas. Il repose sur la grâce de Dieu. Nous en recueillons les fruits. « Il est nécessaire que tous conservent un contact continuel avec les Écritures à travers la lectio divina […] à travers une méditation attentive et qu’ils se rappellent que la lecture et la méditation s’accompagnent par l’oraison » (Constitution Dei Verbum, #25).
De quoi s’agit-il ici ? Cela n'est plus un exercice intellectuel. C’est le début d'une conversation où Dieu nous parle. Beaucoup trop de chrétiens, dit P. Caffarel, s’imaginent que pour faire oraison, il faut « faire le vide » alors qu’il s’agit plutôt de « faire le plein » c’est-à-dire laisser l’Esprit de Dieu développer en nous cette « attention amoureuse » à Dieu. Il s’agit en fait du passage de « faire le vide » de nos pensées à « faire le plein » des « paroles de Dieu ». Moins penser, pour prier plus. Il faut penser pour prier, mais la pensée n’est pas la prière. Lecture et méditation sont des échelles qui nous conduisent au sanctuaire de la prière. Entretenir des pensées sur Dieu, réfléchir sur Dieu n’est pas la prière. Nous pouvons réfléchir sur Dieu sans prier. Le cœur n’y est simplement pas. Nous pouvons parler de lui sans être avec lui, sans l’aimer.
La méditation n’est pas à confondre avec la prière. Encore moins avec la rêverie. Elle nous y prépare. Elle nous y introduit. La méditation réveille en nous ce qui est endormi, mort. « Elle n’est pas morte », dit Jésus à sa mère, elle dort » (Mt 9, 24).
Dans la prière, nous pensons moins, avons moins d’images. Nous savons seulement que quelqu’un est là, qu’une présence nous habite. Prier, c’est changer de paroles. C’est passer de nos paroles à la parole qui nous parle. Dans nos méditations, notre imagination, notre « moi » occupe » tout l’espace. Dans la prière, Dieu, lentement, occupe tout l’espace. Nous n’existons plus tant sa présence nous ravit. Nous ne nous servons plus de Dieu pour penser (méditation), mais nous servons Dieu en nous taisant (prière). L’expression « aimer à mourir » traduit bien ce troisième échelon de notre échelle. Ce que je décris ici, c’est ce passage de prier avec les mots (effort de ma part) à vivre l’expérience de la prière (sans effort, parce que cela vient de Dieu).
Ici, nous nous laissons guider par l’Esprit de Dieu. Ici, tout n’est que regard. « Regarde-le, médite-le, contemple-le », répétait Claire d’Assise. La prière, pour Thérèse d’Avila, c’est cesser de nous regarder. C’est un simple regard posé sur lui. Plus ce regard est sans filtre, plus il nous nourrit, plus nous en éprouvons un contentement.
CONTEMPLER LA PAROLE
La contemplation est le dernier «degré» de cette échelle idéale. Ce n’est pas un titre réservé aux moines. C’est autre chose que l’extase, autre chose qu’une vision. C’est cette « joie indicible » (1 Pi 1, 8), imprenable, dirait Lytta Basset, de nous savoir non intellectuellement, non émotionnellement, non rationnellement, mais par le cœur, en présence de Dieu. Nous sommes dans un état de « demeurance » en Dieu, d’union à Dieu. Toute notre vie semble être sous l’influence de Dieu.
C’est le beau fruit qui résulte des échelons précédents. « Le plus grand bonheur», écrivait Jeanne Schmitz-Rouly (1891-1979), cette mère de famille qui a mené une vie très ordinaire, ménagère de son fils prêtre, c’est de se dire : je me sens fondue en Dieu, car je me sens disparue en lui » (Journal spirituel, le bonheur d’aimer Dieu, Éd. Carmel, 1998, p. 79).
Il peut s‘agir ici que d’un bref moment, mais il suscite une libération, « quotidienne ou sainte » de nos pensées, ajoute le Père Bianchi. Il n’y a plus de distance entre nos pensées sur Dieu et notre « être » en Dieu. Quelqu’un a écrit qu’il s’agit ici d’un état de recueillement qui nous fait entendre le bruit ténu d’un fleuve d’eau vive. Nous éprouvons un désir profond d’aimer comme Dieu, de vivre, d’agir « comme des paroles de Dieu ». Nous éprouvons la nécessité, et je cite l’homélie de clôture de Benoît XVI au dernier synode, de « traduire en geste d’amour la parole écoutée car ce n’est qu’ainsi que l’annonce de l’Évangile devient crédible, malgré les fragilités humaines qui marquent les personnes».
EN CONCLUSION
Ce n’est pas une technique que l’Église nous offre par cette échelle. Prier la parole ne sera jamais une question de performance mais un appel à tomber en amour avec elle. Pour les amoureux, il est fade de penser à autre chose qu’à sa bien-aimée. Ainsi en est-il quand nous tombons en amour avec la parole de Dieu. Nous réalisons alors qu’il est fade de penser à autres choses qu’à Dieu, qu’il est fade de prêter attention à ce qui est moins que Dieu.
Prier la parole, évangéliser par la parole passe par une fréquentation des Écritures. Comme le souligne Vatican II dans son document sur la vie des prêtres et repris dans le document préparatoire au synode, il faut que «chaque jour la Sainte Écriture soit [entre nos] mains pour [en] retirer l’éminence science de Jésus-Christ» (no 52). Il faut chaque jour nous «promener avec Dieu dans le paradis terrestre des Écritures» (Saint Ambroise). Chaque jour nous appliquer « tantôt à la lecture, tantôt à l’oraison : dans l’une, tu parles à Dieu, dans l’autre c’est lui qui te parle » (Saint Cyprien de Carthage).