DIEU EST SERVICE
Causerie : UN DIEU CONCÉLÉBRATION DE PERSONNES
« Le plus élevé des hommes est leur serviteur.» Prophète Muhammad
«La vision de Dieu ne signifie pas Le voir mais voir ce qu’il faut faire.» Emmanuel Levinas
INTRODUCTION :
Il y a un temps où la Parole de Dieu devient un sujet de discussion, d’examen. Nous sommes ici pour autre chose. Nous sommes ici pour voir «la déité de Dieu, pas l’idée de la déité, mais la Déité ; pas l’idée de son Être mais l’Être même… pas par l’idée mais par la réalité» (Marie de la Trinité, Le Petit livre des grâces, Arfuyen, 2004, p.36s. Nous avons en nous une capacité infinie d’accueillir l’infini, de nous laisser immerger dans l’infini à la condition de laisser le Dieu «potier» nous travailler comme de l’argile (Jérémie 18,1-10). Nous avons en nous la capacité de voir la «perfection de Dieu, sa gloire, son ineffable béatitude» (ibid p. 37), jusqu’à nous laisser transformer à son «image et ressemblance».
Nous sommes ici pour voir «la perfection de Dieu». Mais qui donc est Dieu ? J’ai bien conscience que mes mots jurent avec ce que je veux exprimer. Nous sommes ici pour voir dans le sens d’éprouver, voir jusqu’à être immergé en Lui, voir que notre Dieu est un Dieu de concélébration de personnes, un Dieu concélébration de service mutuel (saint Basile). Un Dieu sans rivalité si ce n’est celle de rivaliser de service, de respect, de communion mutuelle. Quelque soit notre approche du service, non discursive mais contemplative, elle nous conduira – et cela toutes les spiritualités du monde le confirment - au mystère de Dieu.
Sans l’existence de l’autre, notre Dieu connaîtrait l’ennui. Sa vie serait monotone. Sans l’existence de l’autre, le mot «servir» n’existerait tout simplement pas. Sans l’existence de l’autre, nous aurions devant nos yeux un Dieu souffrant de narcissisme, du plaisir de «se servir». Existe en Dieu un état permanent de vivre pour l’autre, de disponibilité, de Présence, de don à l’autre. «Je vis que tout l’amour dont le Père aime les âmes est l’épanchement de son amour pour le Fils et de l’amour du Fils pour le Père. Cet amour est plénitude de service. Tout ce que j’écris là, je l’expérimentais» (ibid p.39). Concélébration de personnes, concélébration de «service» mutuel. Devant cette grandeur de Dieu, Maurice Zundel utilise un archaïsme «on sait qu’on ne saura jamais» comprendre.
Impossible en régime chrétien de concevoir Dieu autrement «qu’en tenue de service». L’être profond de Dieu, le Père, le Fils comme l’Esprit, est d’être «offrande» mutuelle. La signature de Dieu est d’être «respectueusement vôtre» (François d’Assise), «mutuellement vôtre». Le mot ″mutuellement″ revient plus de 35 fois dans l’Ancien Testament et plus de 80 dans le Nouveau.
Dit autrement, l’être profond de Dieu est «sacerdotal» . Le propre du sacerdoce n’est pas d’offrir à Dieu des sacrifices – même celui de l’eucharistie – mais de mener une vie offrande, une vie toute centrée sur l’existence de l’autre. (Je peux offrir du pain ; je peux aussi être pain. Je peux offrir un sacrifice ; je peux aussi «être sacrifice»). Cette manière d’être «offrande», «sacerdoce», «concélébration de personnes» ouvre en Dieu sur une plénitude de bonheur, d’accomplissement mutuel.
En prenant chair, Jésus est venu nous montrer non seulement la nature de Dieu mais surtout nous faire voir une manière d’être. Une manière de vivre «mutuellement», «entre nous». Cette manière là est «source de vie». Source de béatitude. Étonnant ! Dieu est service mutuel. Il n’est que service. Saint Jean précise «il est service et le service n’est pas toujours ce que l’on croit» (Jn 8, 31-5). Jésus est venu nous montrer un Dieu capable de servir sans s’appauvrir, de «s’aligner sur l’inférieur» (Boulgakof), sans se diminuer. Selon les très beaux mots de Maurice Zundel, «l’agenouillement de Jésus au lavement des pieds ne déroge pas à la grandeur divine, mais la révèle au contraire».
Ce Dieu «en tenue de service» n’est pas le propre du christianisme. Un mystique soufi, le prophète Muhammad, affirme que «le plus élevé des hommes est leur serviteur».
Si j’insiste tellement ce matin à nous faire entrer dans ce mystère de Dieu, à nous immerger en Lui, c’est qu’il est aussi notre mystère. Comme Dieu, nous sommes mystère de concélébration mutuelle. Comme Dieu, nous sommes appelés à rivaliser d’égard, de respect, de service mutuel. Emmanuel Levinas exprime bien cela quand il dit que «la vision de Dieu ne signifie pas Le voir mais voir ce qu’il faut FAIRE». Ce qu’est Dieu par nature, nous le sommes par participation. Les premiers mots du catéchisme de l’Église affirment que «Dieu nous a créés pour participer à sa vie bienheureuse». Dieu ne peut engendrer que des ″images″ de Lui-même. Choisis pour être ce que Dieu est : service.
«Je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir» (Heb5, 8-9). «Je suis au milieu de vous comme celui qui sert» (Lc 22,27).
LA NATURE DE NOTRE DIEU
La Révélation biblique est la révélation d’un Dieu existant pour l’autre. L’incarnation nous a montré ce que personne ne pouvait imaginer ou soupçonner : Dieu n’est pas «l'éternel célibataire des mondes» (Chateaubriand), solitaire, replié sur soi, sur sa richesse infinie, comme un avare sur son trésor. Dieu est «pluriel». Un Dieu «tout seul» connaîtrait une vie d’ennuie permanente. C’est invivable d’être tout seul.
Dieu est concélébration de Personnes distinctes et inséparables. Il est tellement générosité jaillissante, «source débordante» disaient les Pères de l'Eglise, qu’en Dieu il n’y a que «don parfait» (Jacques, 1,17). Le mystique Maurice Zundel a cette formule très belle que «Dieu n’a de prise sur son être qu’en se donnant».
Dit autrement le propre de Dieu c‘est qu’il ne possède rien, qu’il n’a aucun pouvoir. C’est la toute puissance d’une absolue renonciation à soi. Chaque personne n’est soi que par et pour les autres. En Dieu, il y a la perfection du détachement de soi. Le Père a «tout donné à son Fils», il s’est «vidé» de lui-même pour accueillir son Fils, pour qu’Il devienne «image visible du Dieu invisible» (Préface de Noël). Le Fils a tout «remis au Père». Le Père ne se recherche pas pour lui-même mais devient préoccupation de l’autre, disponibilité totale au Fils. «Tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi».
Jésus a dit clairement que Dieu ne peut être Dieu que parce qu’Il n’existe que pour disparaître dans un Autre. Il a montré qu’en Dieu, il n’y a que l’Autre qui compte. Le Père ne jure que par le Fils et vice versa. Le Père ne prend conscience de lui-même qu’à travers son Fils et l’Esprit. Il ne devient lui-même que dans le Fils et l’Esprit. En Dieu, il y a osmose tellement indélébile, une compénétration de personnes tellement indivisible, mais non fusionnée, que Jésus a affirmé - ce qui lui a mérité la mort – «Qui me voit, voit le Père» (Jn14, 1-12.) «Le Père et moi sommes un. Le Père est en moi comme moi je suis dans le Père» (Jn10, 38). Tel Père, tel Fils, dirions-nous aujourd’hui.
Ce que nous a dit sans arrogance, presque avec timidité pour éviter de nous effaroucher, «l’homme qui venait de Dieu» (J. Moingt), c’est qu’en Dieu, il n’y a ni ″auto suffisance″ ni ″auto complaisance″, ni ″auto affirmation″. Il n’y a que communion, communauté, réciprocité. Il n’y a qu’élan permanent de présence, de relation, et de souci de l’autre.
PRÉSENCE, RELATION, SOUCI :
Ces trois mots : présence, relation, souci de l’Autre, voilà ce qu’est SERVIR. Voilà ce qu’est AIMER. Ces trois mots confirment qu’en Dieu la théocratie – cette manière d’affirmer notre pouvoir sur l’autre – n’existe pas. À la veille de sa Passion, Jésus a donné congé à ses gardes du corps, aux légions d’anges de sa garde rapprochée (Mt 26, 53). Il n’a voulu détenir aucun pouvoir sur nous. Il a renoncé à ″paraître″ dans sa toute-puissance. Il a renoncé à se montrer Dieu. Chez Marc, il ordonne le silence à ceux (démons) qui le reconnaissent Dieu. A l'opposé d'Adam qui voulait devenir «comme Dieu», Jésus «ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu» (Phil, 2s).
Vivre comme Dieu, c’est vivre en état permanent de relation à l’Autre, de Présence constante sans interruption, de souci sans relâche, voilà «notre programme social» (Fedoroff). Notre seul modèle ″social″ pour bien vivre notre manière de servir, c’est la Trinité. Pour vous en convaincre, regardez attentivement l'icône dite de la Trinité par Roublev. Les trois personnages autour de la table, semblent s'incliner constamment l'un devant l'autre, comme s'ils se relançaient sans cesse la question : que puis-je faire pour toi ? Comment puis-je te servir ?
Ce programme-là nous enseigne à ne jamais rien prendre sans demander, ne jamais rien posséder sans recevoir, ne jamais s’asservir en se servant, ne jamais rien s'approprier sans partager, ne jamais rien consommer sans rendre grâce, à offrir jusqu’à être roulé, à pardonner au lieu de faire souffrir, à donner sans récupérer, à se livrer jusqu’à être abandonné. Ce programme-là, qui est à l’opposé de la façon d’agir des Superman, Rambo et Bush de ce monde, pourrait nous éviter bien des conflits.
Alors qu’au cœur de nos vies, qu’au sein de notre Église, de notre société, la question du pouvoir se pose ouvertement, Jésus est venu nous montrer que le vrai service est d’abandonner tout pouvoir sur l’autre. «Rendez à César. Rendez à Dieu». Le conseil est simple mais cela risque de nous rendre la vie impossible parce qu’il nous invite à placer ″l’autre″ au centre, au cœur, au sommet, en première ligne de notre existence. Pour Jésus, «l’autre n’est pas l’enfer», «l’autre c’est le ciel» (saint Bernard).
Ma question est simple : Croyons-nous vraiment en ce Dieu sans pouvoir jusqu’à l’imiter ? Sommes-nous prêts à disposer, à devenir comme lui sans pouvoir pour être en état de service ? Il est temps de réapprendre de notre Dieu l’art de vivre «mutuellement», avec «grâce», et dans la «grâce» en concélébration mutuelle. Jésus est venu placer tous nos services humains, les plus superficiels comme les plus profonds au cœur de ce mystère de la dépossession de tout.
LA GRANDEUR DE JÉSUS EST D’ÊTRE MOINS QUE RIEN :
Pour bien nous faire comprendre cela, le Père nous a envoyé son Fils. Jésus est dans le sens le plus fort du terme, le premier «choisi» par le Père pour nous montrer ce que nous sommes. «Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé en qui j’ai mis toute ma joie» (Mtt12, 18). Il L’a fait en devenant le «serviteur parfait» dont parle Isaïe : Il fut «formé dès le sein maternel» (Is 49, 1-6), «déclaré le bien-Aimé en qui le Père a mis toute sa joie» (Is 42, 1-9; Mt 17, 5), «sur qui il a fait reposer son Esprit, à qui il a transmis sa force» (Is 49, 5) et «qu’il exaltera» (Is 52, 13 - 53,12).
Jésus ne s’explique pas par lui-même. Il ne se suffit pas à lui-même. Si nous voulons le comprendre, le suivre en étant ce qu’il est, nous devons à notre tour porter notre regard vers Celui auprès duquel il passait de longues heures, surtout la nuit, pour le prier. Si nous désirons comprendre Jésus, il faut le voir comme un «envoyé», un simple «serviteur» d’un Autre.
Il faut en convenir, cette façon de voir Dieu dans ce qu’il y a de ″plus bas″ se confronte à une autre image d’un Dieu «tout-puissant». Maurice Zundel écrit «que le plus grand, c’est celui qui écrase, qui a des sujets, qui commande et exige d’être obéi. C’est celui devant qui le peuple n’est que poussière. Et c’est pourquoi les Pharaons seront divinisés…. Mais si le Pharaon est Dieu. Dieu est aussi un pharaon (par sa non puissance). Dieu apparaîtra comme le maître absolu devant lequel nous ne sommes que néant» (nous qui désirons être tout-puissant) (M Zundel,, vivre l’Évangile, Ed. Saint Paul, 97, p33-34).
À cette image de Dieu, l’Évangile nous propose une autre image, incroyable et dont nous commençons à peine d’en comprendre toute la portée, c’est celle de l’abaissement. Jésus fut tellement au service de son Père qu’il s’est dépouillé de lui-même pour assumer la «condition de serviteur» (Ph 2, 7). Tellement au service du Père que Jésus n’est pas le centre de l’Évangile, même s’il en est au centre. La prière enseignée par Jésus nous confirme que son existence de Fils est de disparaître pour laisser tout l’espace au Père. «Désire Moi pour le Père, ne Me désire que pour le Père» (Marie de la Trinité).
Tous les jours, c’est le Père que nous prions, que nous honorons, que nous servons. Jésus n’a fait que nous «montrer le Père». «En entrant dans le monde – donc dès son Incarnation, Jésus clame – «Je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté» (Hé.10, 5-7 citant le psaume 39, 7-9). Jésus n’a fait que la volonté de son Père. Dans ce qu’elle appelle la 1e grâce (11 août 1929), Marie de la Trinité « (je) vis que le Christ reçoit du Père tout ce qu’Il est» (Le petit livre des grâces, Arfuyen p. 38). Jésus se définit au service de son Père, de sa Volonté. Il a toujours voulu ce que voulait le Père. Il s’est effacé devant le Père. Sa volonté fut celle d’accomplir l’œuvre de son Père. Si nous pouvions entrevoir ″viscéralement″ tout l’impact d’un tel souci de faire voir l’Autre plutôt que de se faire voir ! L’identité de Jésus est dans le Père. Dans le service de son Père. Il fut tellement «perdu» dans le Père, qu’il lui a remis sa vie. En disparaissant dans le Père, il nous montre dans toute sa beauté ce qu’est une vie de «fils bien-aimé».
Dans l’Évangile, ce qui fait surface en invoquant le nom de Jésus, c’est Quelqu’un dont la nature profonde est d’être «serviteur». D’exister pour les autres. «Qui est ma mère, mes frères ?» Il s’est agenouillé pour guérir, toucher, relever. Jésus «n’a fait que descendre : descendre en s’incarnant, descendre en se faisant petit enfant, descendre en obéissant, descendre en se faisant pauvre,délaissé, exilé, persécuté, supplicié, en se mettant toujours à la dernière place» (Charles de Foucauld, VN # 208). Il ajoute qu’ «il est tellement descendu bas que personne ne pourra lui ravir sa place».
Jésus est le parfait modèle de ce qu’est «servir». Il est devenu ″homme nouveau″ dans le service. Jésus s’est accompli en servant. Service de son Père. Service de l’humanité. À noter que Jésus dans sa manière de «servir» n’a jamais connu le burn-out ! Il est démontré actuellement que le burn-out apparaît quand faisant tout pour se faire voir ou apprécier, la personne réalise qu’elle n’en fait pas encore assez. Le thème du message de la 40e journée mondiale de prière pour les Vocations (2003) nous invitait à retourner aux racines de toute vocation chrétienne.
Comme Fils bien-aimé, Il s’est consacré sans limite aux affaires du Père (Lc 2, 49) qui, en retour, lui a manifesté toute sa joie (Mt 17, 5). Sa volonté fut d’être à l’écoute du Père. Jésus n’est pas venu pour être servi, «mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude» (Mt 20, 28); il a lavé les pieds de ses disciples et il a obéi au dessein du Père jusqu’à la mort et la mort de la croix (Ph 2, 8). À aucun endroit dans l’Évangile, voyons-nous Jésus être servi. «C’est bien vrai, il n’a fait que nous servir tant qu’il a vécu sur la terre» (Thérèse de Lisieux). Sa vie fut un DON en «rançon pour une multitude» (Mt 20, 28) ; «jusqu'à la mort et la mort de la croix» (Ph 2, 8). C'est pourquoi le «Père lui-même l'a exalté en lui donnant un nom nouveau et en le faisant Seigneur du ciel et de la terre» (Ph 2, 9-11). Jésus fut un «serviteur souffrant» «comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir» (Isaïe chap. 42). Serviteur souffrant pour un peuple souffrant.
Quand il s’agit de l’abaissement de Jésus, les images que nous offrent les Écritures se télescopent les uns aux autres. Prises individuellement, elles offrent une vision au contour plutôt vague de l’ampleur et de l’importance d’une vie «en forme de service». Vues dans le contexte de tout l’Évangile, elles se transforment en une peinture qui ne cesse de capter, d’attirer nos regards. Que ce soit l’image qu’il s’est vidé volontairement de lui-même, qu’Il s’est abaissé vers le plus bas dans l’exemple du lavement des pieds, qu’Il s’est fait obéissant à son Père; que ce soit l’infatigable voyageur toujours attentif, disponible, proche des corps et cœurs blessés, toutes les images que nous avons de Jésus conduisent au sommet du service qu’est l’exaltation, l’élévation sur la Croix. La condition de la gloire, de l’élévation est dans l’abaissement.
Il y a dans cette description du Service quelque chose de radical. Tellement radical qu’on peut se demander si cela est possible au disciple. Dans notre culture, celui qui sert est perçu comme inférieur. Dans l’Écriture celui qui sert est une personne «accomplie», une personne qui a de l’étoffe. Elle possède la réputation d’être quelqu’un de «choisi» et dont la présence inaugure et suscite un grand chambardement. Le peuple voyait en eux une dimension mystérieuse et transcendantale.
IL N’EST PAS BON QUE NOUS SOYONS SEULS
Je disais hier soir que notre identité profonde comme humain est d’être sociale. «Il n’est pas bon que l’homme soit seul» (Genèse 2, 18). Cette vie sociale, relationnelle, de service qui est en Dieu et qui est nôtre, est un véritable ″paradis terrestre″. Paradis de communion (Gn 3, 23-24). Paradis recherché. Or, nous avons préféré une autre forme de vie, celle «d’être chassé du paradis, de la communion avec Dieu, avec les autres» (Gn 3, 23-24). Nous avons préféré l’exclusion, l’isolement, le chacun pour soi, la recherche de la toute-puissance comme écrasement de l’autre.
Dans l’esprit de Dieu, cette exclusion, cette sortie du paradis de communion, livre «le pauvre, l’étranger, la veuve et l’orphelin» (Isaïe 1, 17.23) entre les mains, à la merci de gens malintentionnés. Dans une vie «ensemble», Dieu souhaite que nous protégions les plus démunis, les plus faibles d’une façon particulière parce qu’Il les chérit comme une mère chérit ses enfants. L’isolement, les barrières entre nous sont des révélateurs de notre état de pécheur et sa vive perception devient un appel à la conversion. La maladie, la souffrance et la mort sont des occasions d’expérimenter la solitude comme étant un mal qui vient du péché; par contre elle peut devenir source de communion et de fécondité, si elle est unie à la solitude rédemptrice du Christ Jésus.
EN GUISE DE CONCLUSION :
Dieu se plait d’être avec nous. N’est-il pas le « Dieu avec nous » ? Comme le dit une approche théologique « Dieu ne veut pas être Dieu sans nous ». Cette manière de vivre de Dieu devrait nous « affecter ». Cette manière d’être service mutuel est un «coup de mort» à notre «ego». Rien de notre coté, dans notre ascension vers Jésus, n’est plus révélateur de notre «union à Dieu» que de vivre «un coup de mort» de notre moi. Si vous m’avez bien compris, servir pour Jésus a été son «coup de mort». C’est ce qui fut le plus précieux aux yeux du Père. Nous sommes plus souvent attentifs à ce que nous faisons qu’à ce qui se passe en nous quand nous le faisons. Ce qui se passe, c’est que nous avons ministère, sacerdotal pour les uns, diaconal pour d’autres, baptismal pour l’ensemble du peuple de Dieu, de ne plus exister pour qu’Il existe. Comme Jésus, notre premier service à rendre n’est pas de nous donner mais de nous laisser saisir avec une telle profondeur par Jésus que notre «Je est un autre». «Ce n’est plus moi qui vis» (Gal 2,4).
Pour nous réaliser pleinement comme humain, comme chrétien, comme disciple, notre première tâche en est une d’immolation permanente de nous-mêmes. Nous acheminer lentement vers l’oubli de nous-mêmes pour nous vider de nous-mêmes comme chemin du service d’évangélisation. Cette tâche-là ne sera jamais atteinte. Il faut seulement commencer à commencer.
Je termine par ces mots qu’entendaient Marie de la Trinité, femme débordée par les nombreuses tâches que lui confiait sa communauté naissante : «Laisse-Moi faire et laisse-toi faire. Je me glorifie plus par ce que je fais en toi que parce que tu fais pour Moi». Oui, servir est un véritable «coup de mort». Un travail permanent d’immolation de nos tendances à paraître plutôt que disparaître. «Il faut que je décroisse et qu’Il croisse».
Du temps pour évaluer où nous en sommes sur le chemin de servir comme Jésus l’a fait pour nous.
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