2008-A- Mc 12, 28b-34-Jeudi 9e semaine ordinaire - c’est « dangereux » d’aimer
Année A : Jeudi 9e semaine ORDINAIRE (litao09j.08)
Mc 12, 28b-34 c’est « dangereux » d’aimer
2 Ti. 2, 8-18
Si vous avez porté attention, le mot « tu aimeras », ce premier commandement, ne fait pas la une de mes réflexions. S’il y a urgence actuellement, c’est bien celle de redonner aux mots leur sens profond. Il y a des mots tellement utilisés qu’ils se sont vidés de leur sens original. À force d’utiliser sur les cartons de cigarettes : « dangereux », nous n’y portons plus attention. Il en est ainsi des mots. De la Parole de Dieu.
Il y a des lois qui existent contre la fraude. Aucune n’existe contre la falsification des mots, de leur sens. Aucun mot, dans notre société comme dans l’Église, n’a subi le sort du pauvre mot « amour ». Rien n’est plus souffrant, déchirant que d’entendre constamment ce mot défiguré, affirmé d’une manière absurde, reposant sur le sable mouvant de nos « moi » égoïstes plutôt que sur le roc solide d’une vie donnée. Quelqu’un viole une femme et s’excuse en disant qu’il l’a fait par amour. C’est frauduleux. Inacceptable. Dans nos prédications, nous discourrons sur le mot en prenant soin – et c’est frauduleux- de le vider de sa dimension mystique. Face à cette page qui est un « copié collé » du mystère de Dieu, nous manquons terriblement de cette dimension mystique.
C’est frauduleux de prêcher cette page si elle ne conduit pas à affirmer qu’aimer – la fête du sacré cœur, celle de la Trinité, celle du Corps et du Sang de Jésus nous montraient cela - passe par une complète désappropriation de nous-mêmes. Discourir sur l’amour sans en vivre c’est comme bâtir nos vies sur du sable mouvant. Le vent viendra, les discordes surgiront et toutes nos belles paroles s’envoleront.
Aimer, c’est ne plus avoir de prise sur nos vies. C’est un « exode sans retour », une sortie sans retour de nous-mêmes. Si nous supportons l’épreuve – et je paraphrase la 1ière lecture - d’aimer comme Lui, avec Lui nous régnerons (2Tm 2, 11). Aimer est « le plus grand » parce que c’est vivre à « cœur ouvert », c’est vivre désinfecté de nous-mêmes. Nos vies ressemblent souvent à celle de ce scribe qui savait, mais qui ne parvenait pas à vivre ce qu’il savait, qui comprenait que « cette parole est sûre » (1ière lecture), mais ne pouvait vivre ce dont en quoi il croyait. Graham Green a cette expression qui ramasse tout ce que Jésus a vécu avant de nous donner ce commandement : « Aimer, c’est nous protéger contre nous-mêmes ».
Cette page nous presse à sortir de nous-mêmes pour vivre de « cette communion de volontés » (Deus est Caritas, #17). Cette page nous presse à se laisser tailler par Dieu (image de la vigne- lundi) pour porter un fruit agréable : celui de nous aimer les uns les autres. « C’est seulement à travers les autres que nous pouvons rendre amour pour amour à Dieu» (Madeleine Delbrel, Joie de croire, pp. 71-72).
Voilà la perle de l’Évangile. La mystique évangélique à annoncer. Voilà notre vocation première. Quand j’entends ma « sainteté des saintetés » me dire que vous êtes la plus belle communauté Jésus Marie, c’est à cela qu’elle fait référence. Entendez ce matin, vous ici vivant ensemble en communauté, Jésus vous dire par ma voix sacerdotale, « vous n’êtes pas loin du Royaume de Dieu (Mc12, 34)». « Voyez comme ils s’aiment ».
À votre contemplation : nous l’avons entendu dimanche dernier, les belles paroles ne suffisent pas. Il n’est pas suffisant de dire – c’est l’une des rares fois où un évangéliste rapporte que des auditeurs sont d’accord avec Jésus- « Maître, tu as bien parlé ». Il faut nous convertir à l’amour. Et ce règne de la beauté d’aimer – qui est plus que « bien parler »! - commence à l’intérieur de nous. C’est une aventure qui pénètre jusqu’aux entrailles de nos cœurs. Jean de la Croix disait que « la béatitude ne se donne qu’à l’amour ». Qu’à ceux qui aiment en acte. Humblement, mais pourquoi pas fièrement aussi, sachons « que nous avons du prix à ses yeux et qu’Il nous aime » jusqu’à se faire pour nous nourriture. Puisse cette eucharistie nous faire comprendre et goûter dans ce pain, la grandeur et la beauté de cet amour qui est TOUT, qui est mon TOUT. AMEN.