2005 - A-Lc 6, 39-42- Vendredi 23e semaine ordinaire - 1Tm1, 1-2,12-14 ; La ferveur des yeux
Année A – Vendredi de la 23ième semaine ordinaire (litao23v.05)
1tm1, 1-2,12-14, Luc 6, 39-42 La ferveur des yeux (Paille et poutre)
Pour terminer son discours inaugural, Luc, aux béatitudes (Lc 6,20-27) qui précédaient le passage de ce matin, en ajoute une autre : heureux ceux qui trouvent ou retrouvent la ferveur des yeux. « Heureux ceux qui peuvent comme Job affirmer devenir les yeux des aveugles, les pieds du boiteux. » (Jb 29, 11-16) La ferveur des yeux est la marque de commerce de Jésus. « Allez rapporter à Jean ce que vous voyez. » (Mtt11, 5) Jésus avait un sens inégalé de la vue.
La ferveur des yeux est aussi le signe de notre arrivée dans le Royaume. C’est la marque de tout disciple, de tout Évangélisateur que d’avoir un esprit éveillé à la beauté de l’autre. Notre entrée dans le Royaume passe par une rupture avec nos regards de violence, de haine sur l’autre. « Il a enlevé la haine de nos cœurs. » Elle nécessite une cessation complète de nos tendances spontanées à « lier » les autres « d’un fardeau pesant qu’on ne saurait porter. » (Mtt 22,14) Qui peut dire en acte que l’autre a du prix à ses yeux ? Que ses yeux brillent de Lumière ?
Un tel regard «mystère lumineux »devrai-je dire, ne prend forme qu’après une longue et permanente descente au fond de nous-mêmes. C’est en nous imposant une grande lucidité sur nous-mêmes, sur l’authenticité de nos regards que nous éviterons de nous voir attribuer le titre « d’hypocrite » que Jésus a fréquemment utilisé pour interpeller ses auditeurs.
Quel empressement nous avons à projeter sur l’autre la ferveur de nos yeux embrouillés par notre propre monde intérieur! Quelle jouissance nous éprouvons d’offrir nos yeux misérables, habiles pour prendre en flagrant délit! Notre arrivée dans le Royaume se confirme quand nos regards deviennent capables de cette ferveur miséricordieuse qui va jusqu’à la délicatesse de « baisser les yeux » pour écrire non plus sur le sol mais dans les cœurs blessés : « personne ne t’a condamné, moi non plus ». La ferveur des yeux, c’est offrir à notre monde la grâce d’un regard qui relève, qui relance. C’est l’autre nom de l’Amour.
Contemplatives, contemplatifs, « il faut savoir s’arrêter » (Aristote) de tout voir avec nos yeux de chair pour voir avec l’œil intérieur du Christ. Quelle grande paix habite les amants de ce regard ! Quelle joie que d’unifier dans notre regard la misère et la miséricorde ! Cela passe par le refus de fixer, de nous arrêter à ne voir que l’extérieur, le visible. « Quand quelqu’un vit d’une grande paix intérieure, il peut déverser sur d’autres la lumière qui éclaire son esprit » dit dans une homélie Séraphim de Sorov.
S’il est vrai de déclarer « Heureux ceux qui peuvent admirer cet étrange et extraordinaire union qui a eu lieu quand le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité en nous » (St Radbert, moine bénédictin vers l’an 849), s’il est vrai d’affirmer que nous n’existons plus tant Jésus nous habite, alors faire offrande à notre monde d’un regard qui sauve, confirme que nos vies sont transformées en celle de Jésus.
La ferveur des yeux est le premier ministère que Jésus nous confie.. Elle dit notre enracinement en Jésus. Elle fait de nous des « lettres écrites de la main de Dieu», des « Évangiles vivants », des « évangélisateurs pédagogues » parce que nos yeux « rendent compte de l’espérance qui est en Lui » (1 Pi3, 8) Comment offrir un tel regard qui libère ? Comment cela peut-il se faire ? Pour nous humains, nous offrir un tel regard est impossible. Seul le Christ est capable de changer nos cœurs, de libérer nos regards de ce moi qui l’emprisonne.
À votre contemplation : « dis seulement une parole et mon regard sera guéri. » Nous pouvons être tellement imbu de nous-même, empêtré dans notre suffisance qu’il devient difficile d’offrir un regard qui ne voit pas le mal mais le pêcheur. Comprendre cela est la sagesse suprême. C’est le trésor le plus convoité. Salomon avait jadis demandé la Sagesse et cela avait plu à Dieu. Pourquoi ne demanderions-nous pas le don de la ferveur des yeux. « Ce que dit la bouche, c’est ce qui vient du cœur. » (Lc 6,45) AMEN