2006 -B - Funérailles dame agée Jn 14, 1-6-des heures de grand sens
DES HEURES DE GRAND SENS : Funérailles d’une dame de 94 ans
A l’heure où la mort est devenu le divertissement que nous offrent nos bulletins d’information; à l’heure où ce divertissement ne soulève que peu de passion tant il est perçu comme un mirage sur le point de disparaître à nouveau, nous devons « relever la tête », retrouver la dimension perdue d’accomplissement qu’elle représente. Il nous faut projeter sur ce dernier rendez-vous avec notre sœur Annette des yeux de Pâques, des yeux capables de voir dans la mort la vie, capables de voir que le visible de cette tombe laisse entrevoir l’invisible, capables de voir que le dehors pousse au-dedans. Nous sommes ici pour répondre à l’invitation qu’elle nous lance de vivre avec elle « des heures de grand sens.»
« Des heures de grand sens » parce que la mort qui s’intéresse à chacun de nous comme l’écrit quelque part Gilles Vigneault, ne jette pas de l’ombre sur la vie, sur nos projets, sur nos bonheurs. Elle projette plutôt comme l’écrit l’apôtre Paul aux Romains « déjà sa lumière sur les souffrances du temps présent. » (Rm8, 20)
« Des heures de grand sens » parce que « en avant de nous » écrivait le théologien allemand Bonhoeffer peu avant son exécution à Auschwitz « la victoire est certaine.».
« Des heures de grand sens » parce que et je cite ces mots du poète André Guillerand : « notre temps est court mais Dieu offre de l’allonger en le faisant entrer dans le sien. De nos pauvres jours qui s’envolent, Dieu offre de les introduire dans son éternité.».
« Des heures de grand sens » parce qu’Annette a été tellement vivante avant sa mort qu’elle le demeure maintenant dans la mort. Sa vie fut toute entière vécue en forme de vie pour les siens, vécue à l’image et à la ressemblance du Fils de Dieu. Pour elle se réalise maintenant le temps de la rencontre avec Dieu, d’un face à face avec ce Dieu qui vient de nous dire « je suis la résurrection et la vie.»
Ces mots ne sont pas évidents aujourd’hui. Il ne l’était pas davantage au temps de Paul qui se fit dire par les Athéniens de l’Aréopage « sur cette question, nous t’écouterons une autre fois » (AA 17,22). Ces mots, « Je suis la résurrection et la Vie », il faut les entendre sur le bord du mystère. Il faut les recevoir comme Paul qui affirmait que « tous ceux qui croient au Christ ne connaîtront pas la mort. »
Pour comprendre toute la profondeur du mystère de la vie qui se cache dans la mort, il faut avoir été visité par Dieu, avoir laissé Dieu nous « affecter » pour utiliser l’expression du mystique Ruysbroeck, avoir été « blessé » par Dieu dirait Jean de la Croix.
Mystère de foi. Nous sommes passées d’une vie en forme de mort à une vie en « forme de vie ». Mystère de foi : « la vie n’est pas détruite, elle est transformée ». Mystère de foi : « en mourrant il a détruit la mort et renouvelé la vie » (Préface de Pâques) Mystère de foi : « il s’est fait l’un de nous pour que nous devenions éternel» ajoute la préface de Noël. « Venant du grand jour de l’éternité, Jésus introduit dans notre temporel un grand jour éternel.» (Saint Augustin) Le penseur et philosophe - président qu’a été François Mitterrand voyant venir sa mort s’interrogeait : « n’y a-t-il pas en nous une part d’éternité, quelque chose que la mort met au monde, qui nous fait naître ailleurs? »
J’en conviens ces mots ne se laissent découvrir qu’après un long travail d’enfantement, une longue recherche de Dieu par la prière, l’écoute et la rumination de la Parole de Dieu. Notre sœur Annette a connue une vie en forme de « rumination » de ces mots qui étaient au cœur de sa vie de chrétienne.
Si nous pouvions ce matin projeter sur ce départ d’une mère, d’une grand-mère « un regard qui sauve » (Simone Weil), un regard qui voit au-delà du visible. « Vous avez des yeux et vous ne voyez pas. Vous avez des oreilles et vous n’entendez pas » dit Marc l’évangéliste (8,16) Socrate écrivait jadis que « la vie non regardée en profondeur ne vaut pas la peine d’être vécue, car ce n’est pas la vie. »
Ce que nous voyons, c’est une tombe. Ce que nous devrions voir - et c’est cela un regard qui sauve- c’est « une espèce de vie nouvelle » pour citer un père de l’Église. « Les hommes ont oublié cela, mais toi tu ne dois pas l’oublier » répondrait le Petit Prince. Pour elle, la mort n’était qu’un passage, qu’une « porte étroite » sur une immensité de plénitude de vie. Elle en était tellement persuadée qu’elle nous a quittée dans une grande sérénité et avec un calme réconfortant. Elle se savait partir pour habiter chez Dieu.
Ce matin nous nous faisons louange et gloire pour ce qu’a été Annette et qui a connu une vie pleine. Quelqu’un viendra tantôt lui rendre en votre nom un hommage sensible. Mais sachons que se termine une vie « donnée » au service de son époux; une vie « livrée » à sa famille qui était sa 1ière priorité; une vie « pain de vie ». Elle aurait signé de sa vie ce qu’une autre mère de famille, Jeanne Schmitz-Rouly, décédée en 1979 et dont nous venons de découvrir ses notes intimes et qui écrivait : « le mot exister, c’est quand je n’existe plus, qu’il est vrai. Je sens que je n’existe plus, car je vois (les autres). » Pour Annette aimer les siens passait par une forme de renoncement complet à elle-même. Pour elle, servir, demeurer en état de service était sa manière de démontrer toute l’attention qu’elle portait aux siens. Ce qui la rend si belle à nos yeux ne peut mourir.
Notre sœur va entrer dans l’enfouissement de la terre mais cet enfouissement est aussi pour nous chrétiens un enfouissement dans l’être divin. « Je ne pars pas, j’arrive » disait la petite Thérèse. « Mourir est un gain» disait l’apôtre Paul. Avec elle, devenons eucharistie. Devenons louange pour cette vie qui se termine. La mort, c’est la vie qui se recueille, recueillons-nous. AMEN